Bravo Riss, et merci

Il est fort probable que parmi les centaines de milliers de lecteurs du nouveau Charlie, peu de se reconnaîtront dans l’éditorial de Riss. Un éditorial qui n’a pas le sens du vitriol de ceux rédigés par Charb, mais qui répond à l’hypocrisie ambiante avec une force incontestable.

Depuis le 7 janvier, nous n’avons cessé ici-même de dénoncer la mauvaise foi des soutiens exprimés envers la rédaction de Charlie Hebdo. En fait, il ne s’agissait pas de mauvaise foi. Chacun, révolté par le massacre, a tenu à dire sa légitime colère, mais en étant ce qu’il était, en restant ce qu’il avait été : Plantu avec ses réserves (le fameux « oui, mais »), les racistes avec leur connerie raciste, les tièdes avec leur tiédeur, les intellectuels « de gauche » avec leur antiracisme, les islamo-gauchistes avec leur islamo-gauchisme, les religieux avec leur souci du respect des religions, les réactionnaires avec leurs idées réactionnaires.

La manifestation du 11 a accrédité bien des illusions. La première consistait à croire que la foule avait fait reculer l’islamisme, la bêtise, l’antisémitisme, que face à la réaction « unanime » et unitaire, les intégristes de toutes obédiences n’auraient plus la force de ressortir les armes. Foutaises ! Une autre illusion a rendu aveugle bien des observateurs, en leurs donnant le sentiment que la colère légitime valait soutien d’un certain nombre de valeurs. Ah oui, la « République » a été fêtée ! Mais les frères Kouachi ont sorti leurs kalachnikov pour une raison fondamentale : pas en finir avec la République, pas tuer la « liberté d’expression » contrairement à ce que beaucoup ont dit ou écrit, mais faire taire ceux qui s’arrogeaient le « droit au blasphème », c'est-à-dire la critiques acerbe des religions, et pas seulement de l’intégrisme.

Il est de bon ton aujourd’hui d’éluder cette dimension de l’attentat du 7, d’autant plus facilement que les intégristes islamistes ont une autre cible, sans rapport direct avec la première : les juifs.

Dans sa défense du droit à la critique des religions, Charlie Hebdo menait un combat, un combat militant. Sur cette question du blasphème, l’hebdomadaire avait très peu d’amis parce que contrairement à d’autres temps (la Révolution de 1789, les années 1880 ou 1900-1906, les années 1960-70 notamment), notre époque va de reculs en reculs. Pas seulement sur le terrain social, mais aussi sur celui des idées. Depuis plusieurs décennies, les idées réactionnaires gagnent du terrain, elles contaminent même ceux qui se revendiquent « progressistes ». La laïcité s’est dite de plus en plus « positive » ces dernières années, c'est-à-dire de plus en plus complaisante vis-à-vis des religions, de plus en plus consensuelle, de plus en plus favorable aux expressions communautaristes. Face à un État de plus en plus dur vis-à-vis des pauvres et donc de certaines minorités, face à une extrême droite triomphante, l’empathie envers les « musulmans » s’est muée en complaisance envers l’intégrisme. D'où la très grande solitude de Charlie Hebdo depuis 2011 notamment.

Les 200 000 abonnés et les millions d’euros de soutien ne changeront rien à cet isolement « philosophique » de l'hebdomadaire. Tant que la société continuera de reculer et les idées réactionnaires de progresser, le « droit au blasphème » et plus généralement la critique progressiste radicale resteront marginales.

Malgré les menaces de mort qui continuent de pleuvoir et la pression générale peu favorable (sur le fond) à Charlie Hebdo, Riss garde le cap. Garder le cap et non s'agenouiller face aux exigences liberticides des intégristes, c’est le meilleur hommage que l’on puisse rendre aux morts de janvier. Bravo et merci Riss d'avoir ce courage-là !

Guillaume Doizy

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