L'exposition Arte per ridere, réalisée à la Bibliothèque Mai de Bergame (Italie) et ouverte du 9 février au 5 mai 2018, est le fruit de la collaboration féconde entre institution publique et collection privée. En effet, cette ville abrite à quelques mètres de distance la Bibliothèque "Angelo Mai" - avec son important patrimoine documentaire - et le siège du Fonds Paolo Moretti pour la satire politique, une collection réunie à la suite d'un travail de recherche scrupuleux visant à illustrer les développements internationaux d’une forme d'art longtemps considérée comme «mineure».
Le titre de l'exposition veut attirer l'attention des visiteurs sur une production visuelle où illustrateurs, peintres et graphiques développent « une autre histoire de l'art »: un art pour rire, bien sûr, mais un art quand même. A travers les feuilles, les albums et les journaux exposés - on y retrouve à la fois des documents originaux et d'excellentes reproductions - il est possible de retracer le trajet qui accompagne les transformations du goût en Italie en matière d'image, un goût que les caricatures sont capables de témoigner de manière puissante et, parfois, significative.

On peut situer les débuts d'une telle évolution de thèmes et de formes expressives dès les recherches de Léonard de Vinci en matière de physiognomonie et les déformations opérées, dans le domaine du dessin, par les Carrache, auteurs de ritrattini carichi ("portraits chargés" ou portraits-charges) visant à établir une ressemblance avec les modèles représentés.
En réalité, il y a deux types de caricatures: celles qui soulignent - tout en les grossissant - la laideur et les infirmités physiques du sujet ciblé; celles qui s'arrêtent plutôt sur les aspects psychologiques de celui-ci. Ces dernières s'acharnent contre les passions et les vices de la victime. Les premières relèvent d'une sorte de divertissement d'artiste. Ce sont des fantaisies bouffonnes, des blagues légères ; les deuxièmes, au contraire, peuvent donner lieu à une production satirique violente et vengeresse qui peut s'étendre de l'individu à la société ou aux institutions.
Les reproductions publiées dans Maestri della caricatura (éd. Fratelli Alinari, 1981), ont montré de manière synthétique les développements de l'art italien au fil d'une époque qui va des têtes de soldats dessinées par Léonard de Vinci entre 1503 et 1505 aux planches réalisées par Gian Battista Tiepolo, au XVIIIe siècle. Gian Lorenzo Bernini a eu ensuite le mérite de faire connaître la caricature italienne en France. L'artiste n'a pas hésité à cibler des personnages célèbres ou puissants, tels que le pape Innocent XI appartenant à la famille Odescalchi ou le prince Virginio Orsini, par exemple.
[L'exposition montre (?)] deux caricatures réalisées par Giovanni Battista Tiepolo: un couple de personnes âgées et un gros homme. Elles témoignent de la capacité du peintre à exploiter sa fantaisie pour se gausser, plutôt que d'un individu - les sujets sont d'ailleurs toujours anonymes - , de la classe sociale à laquelle celui-ci serait censé appartenir. Il s'agit d'images pourvues d'une grande ironie et réalisées sans un fonds de malice. Ici, l'auteur a tout l'air d'être conscient que la vérité peut être plus cruelle que la caricature…
Trois albums exposés illustrent, en outre, la richesse du panorama éditorial italien du XIXe siècle. Dans Caos 1867, album pour rire, les dessins satiriques de Melchiorre De Filippis Delfico, bien qu'inspirés à la caricature française, s'éloignent de leur modèle grâce au trait tridimensionnel capable de faire disparaître le caractère pictural typique de ses dessins précédents. Artiste éclectique et dessinateur excellent, Delfico est également un coloriste remarquable et sa touche chromatique est synonyme de caractérisation.
L'Album de caricatures pour Manganaro est publié à Naples, en 1870. Ses planches, en noir et blanc, sont riches en détails et alimentent un certain débat parmi les contemporains qui trouvent de telles images particulièrement bizarres. Celui intitulé L'Arrivo dei crociati (L'Arrivée des croisés) a été publié en 1871, sans doute à Rome, avec les dessins de Zeffirino Falcioni, un prêtre qui a abandonné sa soutane pour devenir positiviste et franc-maçon. Il s'agit d'une œuvre très rare qui contient soixante caricatures en couleurs portraiturant figures politiques et religieuses de la Rome des papes. D'après le style de l'époque, le dessin se caractérise par la représentation de têtes disproportionnées par rapport aux corps. Le frontispice et les cinquante-neuf planches sont reproduits à la manière des tirages photographiques : réalisés grâce à la technique de l'albumine, ils sont coloriés à la main par la suite.
La galerie de portraits parue dans le journal Pasquino en 1905 réunit les planches réalisées par les majeurs dessinateurs satiriques actifs entre le XIXe et le début du XXe siècle. Elle présente des caricatures des plus célèbres personnages de la littérature et du théâtre.
Date de 1917 l'album I protagonisti (Les protagonistes) est dédié aux personnages majeurs de la Première Guerre mondiale. Il s'agit d'une œuvre d'Umberto Tirelli, caricaturiste au trait original et cruel qui met à l'œuvre sa profondeur psychologique et ses qualités artistiques tout en s'engageant dans le cadre d'une campagne interventionniste violente.
En 1919, l'album Loro (Eux) est publié à Milan. Il contient des caricatures d'Enrico Sacchetti. Ici, l'artiste montre le chagrin et la résignation des vaincus avec une certaine sensibilité et une grande humanité.
Le style sobre de Pietro Ardito, peintre, dessinateur et caricaturiste raffiné, apprécié à la fois en Italie et à l'étranger, représente le monde contemporain. En tant que caricaturiste, Pierre Ardito est parvenu à une synthèse et une stylisation du trait très efficaces et très originales. Son langage graphique évoque celui du grand artiste Olaf Gulbransson censé employer la gomme à effacer plus que la pointe. Ardito est un maître en psychographie, à savoir l'art de l'essentiel, d'un certain hermétisme appliqué aux arts graphiques: il peut suggérer tel ou tel personnage à l'aide de quelques simples traits.  Le dessin achevé est clair et net, même si, en réalité, il est le fruit d'un long travail de réflexions et de remaniements qui demandent un effort considérable de reconstruction logique chez l'observateur. Les planches originales, exposées à Bergame, représentent des personnalités illustres de la politique étrangère et nationale sans méchanceté mais avec une certaine dose d'esprit.
Les collections de la Bibliothèque municipale "Angelo Mai" conservent une quantité surprenante de caricatures, disponibles dans un large éventail de supports: livres imprimés, revues et journaux, planches, partitions musicales. Elles témoignent de la grande variété de revues publiées dans la région de Bergame entre fin XIXe-première moitié du XXe siècle. Produites à l'initiative de groupes politiques, d'anciens-étudiants, d’ouvriers ou de simples citoyens, elles montrent d'un côté la vivacité de l'engagement politique et social au sein du terroir; de l'autre, la force de la caricature en tant qu'outil expressif efficace, capable de faire en sorte que le lecteur reconnaisse immédiatement les personnes ciblées. Les chroniques journalistiques publiées dans ces feuilles régionales et exposées dans le cadre de Arte per ridere montrent, une fois de plus, le succès des graphismes humoristiques en Italie à l'aube du XXe siècle.

(merci à Michela Lo Feudo pour la traduction)

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