Laurence DANGUY, Le Nebelspalter zurichois (1875-1921) - Au coeur de l'Europe des revues et des arts, avant-propos de Philippe KAENEL, Droz, 2019, 255 p.

Depuis les premières décennies du 19e siècle, la caricature jusque-là principalement diffusée par le truchement des feuilles volantes, s’est installée dans la presse. D’abord présent dans des journaux spécifiquement tournés vers la satire, le dessin satirique de presse a gagné de nombreux supports médiatiques, prenant le risque d’une certaine dilution. Avant la Grande Guerre, l’Europe connaît un véritable âge d’or de cette presse à caricature, des milliers de titres, pour la plupart éphémères, étant diffusés, abandonnés, repris, oubliés, rénovés… Dans cet ensemble, quelques feuilles ont marqué leur époque, et pour certaines traversé les décennies. Laurence Danguy a choisi de s’intéresser à l’un de ces journaux, le Nebelspalter zurichois de langue alémanique, journal satirique dont la longévité dépasserait celle de tous les autres titres publiés en Europe. La recette de cette longévité ? Laurence Danguy qualifie à juste titre le Nebelspalter de journal « bourgeois », qualificatif qui pourrait presque passer pour un pléonasme tant la presse satirique s’est d’abord adressée à un lectorat aisé et cultivé plusqu’à tout autre. Dans son étude savante et très détaillée, l’auteure reconstitue l’histoire matérielle du journal (fondateurs, rédaction, dessinateurs), avant d’explorer les principaux thèmes abordés par les dessinateurs, analysant ainsi la ligne éditoriale. Comme de nombreux journaux libéraux de la période 1875-1921 (la période étudiée, un second tome s’intéressant à la vie du journal depuis 1921 est en préparation), le Nebelspalter brocarde la politique étrangère, européenne et internationale, mais ne manque pas non plus les cibles « nationales », comme le clergé catholique ou les juifs par exemple. Ayant opté pour un style graphique conventionnel et peu sensible aux avant-gardes, le Nebelspalter combine dessins politiques et dessins de mœurs (l’ouvrage propose de nombreuses illustrations grand format et en couleur), dans un esprit que l’on pourrait comparer à d’autres grands journaux européens « bourgeois » également comme le Kladderadatsch allemand ou encore Le Charivari et Le Rire français. Si la presse satirique a suscité nombre de publications ces dernières années, peu d’études ont été consacrées à des journaux spécifiques. Le travail de Laurence Danguy nous paraît d’autant plus exceptionnel et utile qu’il s’appuie sur des archives inédites du Nebelspalter, ce type de source faisant généralement défaut pour les journaux satiriques.

Guillaume Doizy

Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :