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Dessin de Luz, Charlie Hebdo du 13 mai 2009

Dessin de Siné, Siné Hebdo du 13 mai 2009

 

L’auteur de cette chronique le dit haut et fort : les dessinateurs de Charlie Hebdo n’ont pas d’humour ! A l’heure où Philippe Val confirme dans Charlie son départ pour France Inter, maillon de la « plus belle maison de Service public qui se puisse imaginer », nulle caricature de cette originale promotion dans les pages du journal. Et pourtant, nos humoristes du crayon auraient pu nous amuser de cet étonnant transfert pour le patron de ce « petit » journal satirique, hissé d’un coup de baguette magique à la tête d’une des plus « grosses » radio du pays.

Philippe Val, qui se présente volontiers comme un défenseur de la vérité n’aide pas le lecteur de son édito d’adieu à comprendre pourquoi, un homme tel que lui, ouvertement anti Sarkozy et qui défend avec insistance son attachement à la gauche, a-t-il été choisi – justement – par Sarkozy en personne, pour diriger une entreprise publique pour laquelle il semble – a priori - n’avoir aucune compétence particulière. Aurait-il déjà dirigé une grande entreprise ou déjà travaillé dans une quelconque radio ? Sa fréquentation récente des micros et des caméras de télévision aurait-elle changé la donne ?

L’abonné à Charlie ne manquera pas de se demander comment Val a résolu l’adéquation suivante : en acceptant une place que me propose un adversaire politique, est-ce que je ne risque pas de renforcer son action, de passer pour son jouet, voir de le devenir tout simplement ?

Certes, en présidant une radio, Philippe Val n’affiche pas la solidarité gouvernementale des Fadela Amara, Kouchner, Besson, ou même Lang qui avait accepté une mission de l’Elysée en direction de Cuba. Pourtant, en prenant un peu de recul et vu la haine que suscite le président de la République en ces temps de crise, accepter une telle place n’est pas sans conséquence morale et politique.

En tout état de cause, le journal satirique, que l’on présente volontiers sans tabou et, comme l’écrit Philippe Val, mu par le « goût de la rigolade », reste quasiment muet sur cet événement fondamental du point de l’image. Les seuls dessins en rapport avec l’affaire dont nous honorent les caricaturistes de Charlie se contentent de portraiturer l’intéressé ou de le montrer jouant avec son cadeau de départ.

La caricature sait faire preuve de discrétion sur les sujets qui fâchent…

Après les ministres « d’ouverture », un patron de presse « d’ouverture » a de quoi interroger, surtout quand il s’agit du patron d’un journal satirique. Interroger sur le rôle et la place de la caricature dans la société.

Regretterions nous l’époque où les dessinateurs risquaient la prison pour avoir métamorphosé un Louis-Philippe en poire par exemple ? Regretterions-nous l’acharnement des censeurs sous la République de Mac-Mahon ? Regretterions nous les interdictions de l’Hebdo Hara-Kiri ?

Sans éprouver la moindre nostalgie pour ces époques plus ou moins lointaines, soulignons combien le dessin satirique a perdu de son caractère sulfureux, a renoncé à jouer un des rôles qui a été le sien, à savoir combattre avec acharnement pour des causes radicales. Notons que Philippe Val, dans ce dernier édito, accorde à Charlie Hebdo des objectifs forts limités, mettant côte à côte la lutte contre l’antiracisme et la défense des animaux (les victimes de la bêtise raciste apprécieront !) ainsi que « le respect de la vérité historique et scientifique, la justesse de l’information, l’amour de la culture » et enfin « les libertés démocratiques ». Exit la justice sociale, la lutte contre bien des infamies de notre époque. L’antiracisme ? Quel député de l’UMP défendrait le contraire aujourd’hui ? Ce qui ne l’empêche nullement de soutenir la politique d’expulsion des étrangers en situation irrégulière, de chasse aux sans papiers, voire de mise en centre de rétention d’enfants en bas âge ? Les injustices sociales qui crèvent les yeux en ce moment ici ou dans le reste du monde ne mériteraient-elles pas de passer « devant » la défense des animaux ??? En tous cas, Val ne met pas au programme de Charlie la lutte contre… Sarkozy et sa politique !

A chaque période ses revues satiriques. A chaque sensibilité sociale sa caricature. Le dessin satirique, dans sa version « minimale », amuse, ou doit amuser le lecteur, car il n’est pas toujours aisé d’y parvenir, même pour des maîtres du crayon !

Amuser, voilà bien le but que Val attribue à  Charlie Hebdo, qui, en tant qu’organe de presse ne cherche nullement à se faire le porte parole d’une cause, d’un mouvement, à passer pour un journal militant. Si c’était le cas, il y a fort à parier que Sarkozy n’aurait pas choisi son directeur pour diriger France Inter et gageons que la rédaction de Charlie Hebdo aurait alors crié à la trahison et n’aurait pas manqué de décocher ses flèches contre le patron, voire tout simplement démissionné.

Quant à Siné Hebdo qui se présente volontiers comme plus radical, se réclamant de Jean-Marc Rouillant ou d’un vague anarchisme ? A près avoir dénoncé avec vigueur son adversaire Charlie comme voleur professionnel de pétition contre le « délit de solidarité » l’accusant par la même d’avoir souillé la cause des Sans-papiers la semaine dernière, Siné Hebdo se montre très discret sur cette cause cette semaine. Exit la pétition. Les « 144 » de Siné Hebdo semblent avoir poussé un cri bien fugace, tandis que le grand frère Charlie persiste et fait signer...

Après les « lèche-culs » de la semaine dernière, Charlie continue à mettre en scène le beau Nicolas, cette fois sous la signature de Luz, condensant, comme à son habitude, deux événements sans rapport apparent : le contrôle positif à la cocaïne du tennisman Gasquet et l’hyperactivisme du président de la République.

Le dessinateur joue sur le mot « contrôlé », qui, ironiquement, traduit l’idée que l’Elysée a pour locataire un chef d’Etat totalement « incontrôlé » c'est-à-dire un peu dingue.

Notre époque, finalement assez peu passionnée par les enjeux politiques du moment, privilégie une vision très anecdotique du pouvoir. Plutôt que de mettre en avant le caractère réactionnaire de Sarkozy, on préférera souligner son côté « bling-bling », ses tics nerveux ou encore sa mégalomanie et son irresponsabilité.

Dans le dessin qui nous intéresse, la métaphore sportive prédomine. Comme on le sait, la cocaïne donne à son consommateur un coup de fouet énergisant sans pareil, traduit ici visuellement par la multiplication des bras et des raquettes, sur un corps paradoxalement totalement figé. Le dessinateur affuble Sarkozy d’un visage particulièrement expressif, composé d’yeux surdimensionnés et d’une bouche pourvue d’une forte dentition. La couleur du visage, un rose bien plus soutenu que la couleur chair du reste du corps, traduit l’effort du personnage, sa puissante tension intérieure.

Luz a choisi de ne pas transformer la balle d’entraînement en un élément significatif, contrairement à son illustre prédécesseur Hermann-Paul qui fustigeait deux magistrats s’adonnant au tennis et s’acharnant, dans un bel effort, sur une tête d’homme décapité…, ou encore dans un dessin présentant Krüger pendant la guerre des Boers aiguisant son coup droit contre ses adversaires catapultés. D’autres sports ont également inspiré les dessinateurs : la boxe, la lutte ou l’escrime pour illustrer le combat politique entre deux figures politiques, l’alpinisme pour dire la difficulté d’atteindre un but, etc.

De son côté, Siné Hebdo accorde cette fois un peu plus de place aux idées : visant lui aussi le chef de l’Etat, la « une » montre, en recourrant à une allégorie très ancienne, les conséquences dramatiques de la politique menée par Sarkozy. Siné Hebdo prend prétexte du 62e festival de Cannes pour présenter deux France, deux images totalement opposées du pays. A la scène du baiser romantique diffusée sur un écran décoré d’un dégradé de bleu, s’oppose le reste du décors : au-delà de l’écran s’étale une réalité lugubre caractérisée par la saleté, le pourrissement, l’usure et la proximité de rats.

Plutôt que de recourir au traditionnel « avant et après » ou à la figure de Janus qui permettent de mettre en exergue des paradoxes, des contradictions ou des évolutions funestes, Siné confronte deux univers imbriqués dans un même espace. Il insère une image dans l’image, pour opposer la dure réalité d’un côté, et les paillettes de la Croisette de l’autre, qui nous sont bien présentées comme un prolongement l’un de l’autre et non comme deux entités distinctes.

Pour conforter l’opposition visuelle, Siné construit deux espaces très différemment colorés. Couleurs vives et disposées de manière régulière pour l’image de fiction (aplats et dégradé impeccables), ternes et imprécises pour le monde réel.

Dans ce cas, la technique de représentation joue un rôle de premier plan. Aux aplats de couleur, voire au dégradé impeccable, réalisés par un logiciel de traitement d’image, le dessinateur oppose les jeux de superpositions de nuances, de mélanges hasardeux, de teintes délavées, permis par l’aquarelle ou son équivalent.

Comme nous l’avons dit, le film choisi par Siné met en scène le flirt de Sarkozy et de Marianne, symbole tout aussi bien de la République, de la France et de ses habitants, personnage le plus représenté dans le dessin de presse depuis 1830. Vêtue d’une traditionnelle robe tricolore, d’un bonnet phrygien et d’une cocarde, l’allégorie arbore un collier de perles dont il est difficile d’évaluer la valeur, mais qui renvoie à une certaine richesse. C’est la Marianne officielle, la République et le pays dont on voudrait bien nous convaincre de la bonne humeur et du bien être. Hors l’écran, Marianne a tous les attributs de Cosette : pieds nus et sales, vêtement rapiécé et décoloré. Le lecteur aura plus de difficulté à identifier son amant du jour, que Siné, décidément, ne parvient pas à « faire ressemblant ». Pour autant, la présence de caisses de bois qui permettent de hisser l’homme à la hauteur de Marianne pour le baiser tant attendu, caractérise sans doute possible le chef de l’Etat, accablé par un puissant complexe lié à sa petite taille, faiblesse qui fait le régal des caricaturistes.

Siné condense donc lui aussi deux éléments qu’il oppose, le réel (figuré, donc également fictif) et la fiction, celle de Cannes et de ses stars, des paillettes et des gros cachets. Il met en exergue de manière symbolique les souffrance de la France réelle, c'est-à-dire de tous ceux qui aujourd’hui subissent la crise, tandis que Sarkozy est montré « faisant son cinéma », c'est-à-dire se montrant affable et même aimant avec la France, une Marianne qui se montre plus que consentante…

Voilà un dessin complexe dans lequel le décor et les références symboliques jouent un rôle important. Siné produit une image sans doute plus difficile à déchiffrer que la « une » de Charlie Hebdo, mais finalement bien intéressante.

 

Guillaume Doizy, le 13 mai 2009

 

 

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