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Saluons la naissance d’un petit dernier dans la cour des blogs satiriques, tenu par des auteurs de bande dessinée aguerris se frottant pour la première fois au genre. Le titre choisi est à lui seul tout un programme : http://jeveuxtravaillerpourlecanard.blogspot.fr

Fondé en mai 2012 par Guillaume Bouzard, le blog est depuis début juin également animé par James (le titre devenant « On veut travailler au Canard enchaîné »). Il  accueille ponctuellement des invités venus eux aussi de la bande dessinée, tels que B-Gnet ou Gilles Rochier.

 

Les fondateurs ont déjà exercé leur verve dans des domaines plus ciblés : Bouzard met en scène depuis plusieurs années l’univers impitoyable du football dans le magazine So Foot (repris aux éditions Dargaud sous le titre Football Football, deux tomes) ; James s’est quant à lui attaqué depuis 2005 au milieu de la bande dessinée en exprimant ses « mauvaises humeurs » avec son complice la Tête X (http://ottoprod.over-blog.com, publié en recueil chez 6 Pieds sous terre en 2007).

Le blog politique a démarré le 6 mai, « jour 0 », saluant la défaite de Nicolas Sarkozy en évoquant simplement quelques attributs du Président « bling-bling », et la fin d’une époque :

 

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Le changement de Président se traduit par un intéressant transfert du désir. La roue tourne, d’un Sarkozy longtemps courtisé et désormais mis en danger affectif, à un Hollande à présent sollicité par ceux qui l’ont auparavant ignoré. Les deux dessins, construits de manière similaire (mais orientés différemment) peuvent se lire en miroir :

 

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L’essentiel du propos des auteurs se concentre sur cette transition profonde initiée par l’élection Présidentielle, et prolongée par la campagne des Législatives. Leurs regards et leur ton sont néanmoins très différents sur la forme.

Guillaume Bouzard donne à la vie politique la saveur de la vie tout court, en humanisant les situations rencontrées par les uns et les autres après la défaite ou la victoire. Les rapports de force, les enjeux internationaux, les déclarations officielles plus ou moins intempestives prennent une surprenante légèreté. L’inexpérience du Parti socialiste, à l’écart de l’État depuis dix ans, le conduit à confier les réjouissances à Julien Dray, un peu hésitant près avoir mis en péril la campagne en invitant DSK à son anniversaire. L’occasion se présente enfin de réunir la famille, et d’évoquer de manière « taquine » ceux qui s’en sont éloignés en d’autres circonstances :

 

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Les situations plus difficiles, comme les échecs de la Droite et les premiers couacs de la Gauche, sont traitées sur le même ton, tranquille et badin. À l’UMP, le parti se transforme en groupe de parole pour soulager une souffrance pendant qu’au gouvernement le « recadrage » des plus jeunes se fait de manière très naturelle :

 

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De son côté, James porte un regard plus acide, mettant surtout l’accent sur les tensions qui divisent les appareils politiques : luttes de pouvoir, jalousies et bâtons dans les roues se multiplient dans ce moment particulier de transition, où les uns se déchirent après avoir perdu et les autres cherchent à confisquer la victoire. Le ton est grinçant, les visages fermés. À l’UMP comme au PS, il faut trouver sa place dans la nouvelle configuration :

 

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Les rivalités sourdes s’insinuent jusque dans l’intime, et toute solution de sortie de crise apparaît comme un glissement de plus vers la rupture :

 

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Chacun à sa manière, plus humoristique pour l’un, plus satirique pour l’autre, Bouzard et James tiennent donc le pari de mettre en scène les effets d’une transition « normale ». Le temps des grosses montres, lunettes et talonnettes révolu, chacun apparaît tel qu’il est (ou qu’on suppose qu’il puisse être), avec ses maladresses, son ego, ses peines et ses jalousies. La mise en place d’une nouvelle ère renvoie tous ceux qui y prennent part à eux-mêmes, à leurs propres sentiments, ambitions et compétences. C’est une belle manière de nous rappeler que, tour à tour lunaires ou mesquins, nos acteurs politiques ressentent les choses à peu près comme nous.

 

Autant en profiter pour dire aux auteurs qu’ils n’ont pas besoin, eux, de se cacher derrière le Canard ou d’espérer sa bienveillance : ils s’en sortent parfaitement sans lui.

 

Fabrice Erre

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