Dans le dernier et fort sympathique numéro de la revue Humoresques (printemps 2014, n°39) la directrice de la rédaction Nelly Feuerhahrn, analyse un dessin de Bosc en rapport avec la thématique choisie, à savoir "humour et catastrophe". Ce dessin, paru en décembre 1964, avait été précédé d’un autre, légèrement différent, publié par le journal Minute au mois de novembre. Évoquer cet hebdomadaire n’est pas si simple et provoque la gène, la ligne éditoriale d’abord antigaulliste ayant par la suite fait place à la défense des idées d’extrême droite, toute la question étant de savoir à partir de quand s’effectue la bascule. En note de bas de page, Nelly Feuerhahrn indique que « L’hebdomadaire Minute fondé le 6 avril 1962 par Jean-François Devay était à l’origine animé par une critique radicale de la politique gaulliste à l’instar du Canard Enchaîné (actif depuis 1915) et s’appuyait sur la présence de nombreux humoristes pour profiter de la vague satirique florissante à l’époque (Hara-Kiri avait été créé en 1960). L’orientation de ce support vers l’extrême droite se manifestera à la fin des années 1960 ». Voilà une manière tout à fait élégante et subtile de « sauver » l’honneur de Bosc, qui cesse toute contribution à Minute en février 1965, l’association de Minute aux célèbres Canard Enchaîné et à Hara Kiri visant à donner une image sympathique au journal de Devay. Soulignons tout de même que si Hara Kiri n’est pas un journal politique, le Canard en 1962 est plus gaulliste qu’anti gaulliste, par défense de la République face aux attaques frontales des partisans de l’Algérie française (voir le livre de Laurent Martin)…

Minute bascule en fait à l’extrême droite dès 1964, ce que semble ignorer Nelly Feuerhahrn malgré l’aplomb avec lequel elle affirme qu'il faut attendre "la fin des années 1960" pour pouvoir qualifier Minute comme tel.

A son lancement en 1962, des dessinateurs fameux ou qui le deviendront collaborent au journal de Devay, la ligne antigaulliste et la rétribution très correcte attirant les jeunes talents : Topor, Sempé, Cardon, Bosc (en une dès le numéro un) sont présents dans les premiers numéros de l'hebdomadaire. Topor et Sempé quittent rapidement le navire. Cardon cesse sa collaboration en 1963, adressant une lettre au journal, que Devay évoque dans le recueil de dessins qu’il publie en fin d’année. Devay ne cache pas que le départ de Cardon a pour base un « désaccord politique personnel ». Un désaccord lourd de sens, car à ce moment, Cardon se démarque sans ambages d’une ligne éditoriale de plus en plus graveleuse et réactionnaire. Mais c’est en fait en 1964, que l’on peut et que l’on doit qualifier Minute de journal d’extrême droite, sauf à préférer enjoliver la réalité.

Début octobre 1963, Minute publie les souvenirs de Jacques Susini sous le titre « Nous, l’OAS ». Au début de l’année 1964, le 3 janvier, la radicalisation s’accélère avec les « révélations du docteur Manskill », dernier médecin personnel du maréchal Pétain qui raconte les derniers jours de Darnand, chef de la milice. Le 7 février, une pleine page de dessins de Bosc est publiée en vis-à-vis d’un long texte de Robert Brasillach, qui raconte les événements du 6 février 34, une juxtaposition qui semble ne pas gêner Bosc... Le 27 mars, la couverture dénonce en gros titre : « L’invasion Algérienne en France ». En page 3, on peut lire que « cette fois, ce n’est plus de l’inquiétude, c’est de la peur. Le mot n’est pas trop fort. Paris a peur la nuit. Dans certains quartiers des XIIIe, XIVe, XVIIIe , XIXe, XXe arrondissements, le long des boulevards extérieurs, dès la nuit tombée, la pègre nord africaine attaque. Gestes déplacés envers les femmes, insultes aux hommes, provocations : on cherche l’incident à la faveur duquel on pourra voler, violer et même tuer ». Le 10 avril 1964, même ritournelle, cette fois en « une » contre « La Gangrène Algérienne – Comment « ils » envahissent nos hôpitaux dévalisent la sécurité social et discréditent ceux qui travaillent ». L’article sur deux pages fustige ces « « frères » qui débarquent chaque jour en France, [dont] une bonne part sont déjà malades. Vous pensez bien que ce n’est pas par amour propre national que le gouvernement de Ben Bella refuse aux autorités françaises le droit de participer à un quelconque contrôle sanitaire au départ des immigrants. Toute la combine s’effondrerait : celle qui consiste à noyer ses malades se faire entretenir par la Sécurisé sociale française ». Enfin le 30 octobre la première page annonce dans une titraille imposante : « Assez de crimes algériens !! Assassinats, viols, rixes en hausse continuelle… Et la police avoue son impuissance ».

Alors, toujours envie de comparer Minute, Hara-Kiri et Le Canard Enchaîné ? Pas « d’extrême droite, le journal de Devay, en 1964 ? Pourrait-on imaginer Hara-Kiri et Le Canard republiant Susini, Brasillach et Manskill, tout en cognant sur les Arabes ? Peut-on vraiment penser qu'ils appartiennent à la même famille de journaux satiriques "antigaullistes" que Minute, et ce, "jusqu'à la fin des années 1960" ?

Le dernier dessin de Bosc dans Minute paraît en février 1965, une collaboration tardive qui étonne et pose question chez un dessinateur caractérisé par son anticolonialisme et son antimilitarisme. Que les descendants d’un dessinateur aient tendance à éluder certains aspects de la carrière de leur illustre ancêtre par respect mémoriel, peut se « comprendre ». Mais quand le savant, le chercheur, l’historien, l’universitaire se méprend sur la réalité, c'est nettement plus ennuyeux...

Guillaume Doizy, avril 2015

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