Avant le 7 janvier, aucun journaliste n'aurait imaginé pouvoir proposer à une chaîne de télévision un documentaire d’une heure sur un échantillon de quelques jeunes dessinateurs de presse, fussent-ils talentueux ! Les attentats de janvier ont bien sûr modifié le regard porté sur un art déclinant, relégué depuis des décennies par nombre de journaux autant que par le grand public. En témoigne la quasi absence de dessin de presse dans la pub, les ventes médiocres des recueils de dessins d'actu ou de certains quotidiens lorsqu'ils choisissent d'illustrer exceptionnellement leur "une" d'un dessin satirique, ou encore la quasi absence de ce type de dessins en couverture des magazines à grand tirage, les médias papier préférant de beaucoup la photo ou l’illustration au dessin satirique.
Si les attentats de janvier n'ont pas profondément modifié les conditions du métier et la place du dessin dans la presse, c'est bien sûr le regard social sur un genre particulier qui a changé. La machine éditoriale et médiatique lancée, nombre d'ouvrages ont évoqué le sujet, les reportages se sont multipliés. Il faut saluer l'angle choisi par Anouk Burel et Frédéric Bazille pour Envoyé Spécial (France 2), qui se sont intéressés au métier de dessinateur de presse et à ses enjeux à travers les yeux de trois "jeunes" dessinateurs : Coco, Besse et Soulcié.
On pourrait s'interroger sur la représentativité de ce panel, les dessinatrices étant fort rares dans la profession. Quant à l'âge du capitaine, on soulignera que ce choix de se focaliser sur des trentenaires, exclut de facto les anciens aux carrières plus fournies et plus diversifiées, les « stars », ou encore les jeunes pousses. Mais la critique la plus décisive consisterait à invoquer la très grande proximité des trois élus : proximité journalistique, stylistique, idéologique. Certes, Besse ne cache pas l’importance de la dimension politique dans sa démarche, tandis que Soulcié s’en démarque. Mais globalement, ces trois-là ont des formations, des parcours et des sensibilités assez proches.
N’empêche, aiguillés par le questionnement intelligent des auteurs du documentaire, chacun a soulevé le voile sur ce métier complexe, donnant des éclairages tout à fait intéressants. Un métier qui concerne quelques dizaines de gens en France, et qui pourtant fait la « une » de l’actualité mondiale quand des intégristes en font leur cible mortelle. Réalisé au mois de mars-avril, ce film répond à quelques grandes interrogations : les réactions très différentes de chacun face aux attentats, la question de la liberté d’expression et des enjeux sociaux et symboliques autour de la pratique du dessin de presse, enjeux que le dessinateur lui-même se refuse (avec raison) souvent à assumer, et enfin bien sûr, la question des conditions dans lesquelles le dessin se réalise, les difficultés matérielles, la précarité professionnelle, et éventuellement l’instrumentalisation possible de dessin par autrui, aspect évoqué notamment avec Pascal Gros (Marianne, Charlie Hebdo).
L’engagement du dessinateur à faire connaître son métier n’est pas le moins intéressant du documentaire. Coco à l’école Estienne lors de la remise du Trophée Presse Citron organisé par Luce Mondor, Soulcié en compagnie de jeunes élèves dans un établissement scolaire ; Besse, lors d’une table ronde publique, aux côtés de Tarik Ramadan notamment. Un face à face courageux et constructif, au travers duquel des doutes s’expriment sur ce qu’était ou non Charlie, sur la manière d’interpréter les caricatures de Mahomet, sur la question de savoir quelles sont les cibles de la caricature, si dessiner sur la religion équivaut ou non à s’en prendre au « faible ».
Le doc pose une foultitude de questions fondamentales et apporte des commentaires nuancés, ouverts. Le ton est très juste, et c’est là son plus grand mérite. En plus d’intéresser le grand public, il intéressera tous les enseignants qui voudraient engager la discussion sur le sujet avec leurs élèves.
Guillaume Doizy
Pour voir le film en replay, cliquer ci-dessous : le doc sur la caricature arrive en troisième partie.