DANS LE VENTRE DE HARA KIRI, par Arnaud Baumann et Xavier Lambours

Arnaud Baumann et Xavier Lambours, Dans le ventre de Hara Kiri, Éditions La Martinière, grand format, 234 p., 35 euros.

Depuis la fondation de La Caricature en 1830, la presse satirique s’est construite dans sa relation à l’image dessinée, au point de donner naissance un siècle et demi plus tard à l'expression « dessin de presse », encore largement usité de nos jours et qui exclut de fait certaines productions relevant pourtant de la satire visuelle, et notamment la photo "satirique". Si Hara Kiri lancé en 1960 s’inscrit dans cette tradition du journal satirique, c’est d’abord en en transgressant les codes. Dans ces temps marqués par le gaullisme finissant, Hara Kiri renouvelle en effet résolument le genre avec une incroyable liberté de ton, donnant bientôt naissance au génialissime esprit « bête et méchant ». Hara Kiri renouvelle également la forme, en explorant un procédé qui se répand alors, celui du détournement photographique et du pseudo roman photo.

Ce livre s’appuie sur le travail de deux photographes, Arnaud Baumann et Xavier Lambours, qui intègrent en 1973 l’univers Hara Kiri, en adoptant comme pseudonyme le nom de « Lambau ». Depuis cette date, les deux compères mitraillent la rédaction et lui fournissent matière à déconnades photographiques sans fin. Ce sont ces deux sources iconographiques qui s’entremêlent dans ce livre, pour le plus grand bonheur du lecteur d’aujourd’hui.

L’ouvrage fait la part belles aux acteurs de cette incroyable aventure qu’a été Hara Kiri, avec des portraits (en photos et en textes) de Cavanna, Choron, Gébé, Wolinski, Cabu, Willem, Reiser, Delfeil de Ton, Siné, etc., mais rend surtout un inestimable hommage à cet apport de la photographie dans la construction de cet esprit « bête et méchant ».

On avait connu auparavant les photomontages surréalistes, et ceux, très politiques et finalement très sérieux de Heartfield en Allemagne et de Marinus en France. Avec les pseudo roman-photo, avec les rubrique « Les faits » ou les « Photos parlantes » et encore les clichés pour les « unes », la photo aux mains de l’équipe animée par Cavanna et Choron a pris un tout autre chemin, investissant la vie quotidienne dans sa formidable banalité, servant de support aux plus joyeuses provocations autour du sexe, de la merde, de la maladie, de la bêtise ou de la mort.

Certes, ce livre ne remonte pas aux origines de Hara Kiri, laissant en hors champ la mémoire des débuts héroïques, entre 1960 et 1973. Ce livre n’analyse pas non plus en profondeur cette veine photographique nouelle et son apport spécifique. Mais au fil des pages, on découvre certains aspects de la pratique « professionnelle » des deux photographes. On apprend par exemple que pour contourner les procès liés au nouveau « droit à l’image », les Lambau sont contraints de réaliser leurs clichés à l’étranger.

Par ses biographies, ses témoignages en noir et blanc sur la vie intime du journal, ses portraits des uns et des autres, et surtout par la place importante consacrée au travail photographique des Lambau qui a tant nourri l’imaginaire de Hara Kiri tout au long des années 1970, ce livre constitue une formidable plongée dans un univers dont on a trop longtemps valorisé les seules œuvres dessinées. Avec ce très bel ouvrage, on comprend combien la photographie par ses détournements loufoques constitue un apport majeur et inédit dans l’histoire de la presse satirique transgressive, hélas aujourd’hui exsangue sinon disparue.

Guillaume Doizy

Tag(s) : #Comptes-rendus recueils
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