L’Image railleuse, La satire visuelle du XVIIIe siècle à nos jours, sous la direction de Laurent Baridon, Frédérique Desbuissons et Dominic Hardy.

Cette publication regroupe les actes du colloque qui s'est tenu du 25 au 27 juin 2015 à l'Institut national d'histoire de l'art, à Paris, organisé par l'Institut national d'histoire de l'art, l’université du Québec à Montréal et le LARHRA-UMR 5190 du CNRS, avec le soutien de l’Agence universitaire de la Francophonie et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Comité d'organisation : Laurent Baridon (université Lumière Lyon 2 / LARHRA UMR 5190), Frédérique Desbuissons (Institut national d’histoire de l’art, Paris) et Dominic Hardy (département d’Histoire de l’art, université du Québec à Montréal / Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises).

Comité scientifique : Peggy Davis (université du Québec à Montréal), Jean-Claude Gardes (université de Bretagne Occidentale – Brest), Annie Gérin (université du Québec à Montréal), Thierry Groensteen (Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, Angoulême), Laurence Grove (University of Glasgow), Philippe Kaenel (université de Lausanne), Ségolène Le Men (université Paris Ouest Nanterre La Défense), Todd Porterfield (université de Montréal) et Bertrand Tillier (université de Bourgogne).

Avant-propos :

L’idée d’un colloque consacré au « visuel de la satire » remonte à 2013, au terme d’une première série d’initiatives qui avait aidé à faire éclore la question. Dominic Hardy travaillait depuis 2009, avec Annie Gérin, sur le passage de l’objet satire depuis son espace considéré comme « naturel » et « légitime », celui de l’imprimé, dans lequel il existait depuis le xviiie siècle, au registre du satirique, dans un autre espace, celui de l’art contemporain, du musée et des centres d’art, en particulier au Canada. Ensemble, ils avaient organisé un premier colloque, « Satire graphique au Canada, avant et après l’art contemporain », au Congrès annuel de l’Association d’art des universités du Canada (Edmonton, novembre 2009), qui avait été suivi d’un deuxième, présenté dans le cadre du neuvième Congrès triennal de l’Association internationale pour l’étude des rapports entre texte et image (Montréal, août 2011), élargissant le propos à l’ensemble de l’art moderne et contemporain et aux questions de la langue dans laquelle s’énonce la satire visuelle. Puis un troisième colloque, « La satire dans les arts visuels : questions de la recherche actuelle », présenté au Congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS ; Québec, mai 2013), interrogea à la fois la fonction de vecteur de la satire, sa capacité à porter les inquiétudes et les polémiques sociales, politiques, culturelles et identitaires, mais aussi sa capacité à transformer l’histoire de l’art en tant que discipline. Il fut alors envisagé de poursuivre cette réflexion avec l’Institut national d’histoire de l’art, où un domaine était dédié aux pratiques changeantes de l’histoire de l’art, à sa capacité à absorber de nouveaux corpus et à développer de nouvelles méthodes.

Au printemps 2014, un quatrième colloque québécois, « L’Histoire de l’art aux limites du satirique », s’attachait au rôle joué par la satire dans les transformations des arts visuels et de l’histoire de l’art. La satire y était exclusivement abordée sous l’angle de la culture visuelle, de sa productivité et de sa diffusion dans les médias modernes et dans l’art contemporain. Un intérêt particulier était porté à ce que l’on peut qualifier de dimension somatique de l’image : l’identification des processus d’affectation des corps dans l’image et par l’image. Le titre même d’« Image railleuse » possède une dimension corporelle évidente si l’on admet la gutturalité de la raillerie – en raison de sa consonne radicale. L’efficacité du qualificatif « railleuse » n’est pas seulement iconique : parler d’image railleuse, plutôt que satirique, c’est désigner non pas une catégorie d’objets plus ou moins stable, mais une action ; c’est envisager l’image dans une perspective dynamique et, au travers de sa transitivité et de sa contextualisation, interroger sa productivité : pas seulement ce qu’elle est, mais ce qu’elle fait. En juin 2015, nous présentions notre colloque alors que retentissaient encore de très près ces trois journées de janvier lors desquelles seize personnes trouvèrent la mort, dont cinq caricaturistes. Ce « moment Charlie », auquel furent consacrés de nombreux événements et publications, nous conforta dans l’idée qu’il était salutaire de dépasser l’affrontement de deux cultures irréconciliables de l’image.

En couverture du programme du colloque de 2015, et de nouveau en figure de proue pour la présente édition, c’est un détail du tableau Trappers of Men (2006), de l’artiste d’ascendance crie Kent Monkman (né en 1965 ; vit et travaille à Toronto), qui a incarné pour nous cette volonté de penser les complexités de l’actualité et de l’histoire : d’aller là où l’art, et la satire visuelle en particulier, peut nous mener. L’alter ego de l’artiste, Miss Chief Eagle Testickle, figure anadyomène drapée de rose, nous invite à nous émanciper du binaire et – qu’on nous permette ce néologisme – à queeriser la question du satirique. Miss Chief vient quelque peu gauchir les oppositions a priori inconciliables : se détachant des roches monumentales d’où jaillit une cascade, dans un paysage colonial très inspiré de la peinture d’Albert Bierstadt, Miss Chief évoque aussi bien un Christ marchant sur l’eau qu’une Vénus de Botticelli. Kent Monkman, par ailleurs connu pour ses installations, ses vidéos et des performances, s’empare des formes les plus traditionnelles de la peinture occidentale pour les subvertir. L’histoire de l’art y est évoquée par ses « grands hommes » – ainsi ce Jackson Pollock rattrapant dans ses bras un Piet Mondrian subjugué par la resplendissante Miss Chief –, qui prêtent leurs traits aux trappeurs venus à la découverte d’une nature vierge et disponible.

L’œuvre de Kent Monkman est ainsi emblématique de la plasticité de la satire, qui trouve à s’épanouir dans la culture queer comme dans la dénonciation de l’effacement des peuples autochtones, en Amérique du Nord comme partout sur le globe. La satire visuelle serait alors ce lieu à partir duquel il devient possible d’activer l’ambiguïté afin de dépasser les discours réducteurs qui, dans l’immédiat, peuvent servir à clore les débats, à empêcher d’y trouver le moyen de penser les complexités, non seulement d’une situation donnée, mais du champ social, politique et culturel dans lequel cette situation est chargée de sens par celles et ceux qui la vivent, qui la portent en mémoire, dans leur corps.

Laurent Baridon, Frédérique Desbuissons et Dominic Hardy

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