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Après 30 années d’intense production et après avoir été remercié en 1899 par le journal satirique Le Grelot pour désaccord politique dans le cadre de l’affaire Dreyfus, le dessinateur de presse Pépin (Claude Guillaumin, né à Moulins dans l'Allier le 11 août 18421 et mort à Paris le 9 mars 1927) fonde Le Fouet, qui ne parvient pas à s’imposer dans la durée. Pépin trouve alors à placer ses dessins au Petit rouennais, un journal républicain que le dessinateur alimente depuis Paris. La distance impose un dialogue par lettre entre la direction et le dessinateur, les lettres de Pépin ayant été conservées par un collectionneur de nos amis. Les archives de dessinateurs de cette époque n’étant pas légion, ces lettres sont d’un grand intérêt. Bien que courtes, elles comportent trois types d’informations : la description textuelle des croquis proposés par le dessinateur au journal, les croquis eux-mêmes et en général quelques phrases qui relèvent de la relation avec le commanditaire, informations qui permettent de caler le mode de fonctionnement voir un échéancier pour que la conception des dessins, leur validation par la rédaction, le passage à la gravure (à Paris) et l’envoi du cliché à Rouen avant impression, puisse s’opérer sans encombre.
Au fil de ces notes, on découvre un Pépin, qui pourtant aligne déjà une longue et brillante carrière, tout en rondeur dans sa relation avec le journal. Le dessinateur insiste à plusieurs reprises pour obtenir du directeur des conseils, « critiques et observations », des idées de sujets, le laissant à loisir modifier ses légendes et assurant qu’il n’en serait pas vexé pour autant. Le 24 avril 1901, Pépin explique au directeur du journal que « si de votre côté vous avez des idées plus d'actualité, je suis prêt à les mettre à exécution ». Dans ces échanges, le dessinateur semble totalement soumis au bon vouloir de la direction et affiche sans ambages cette soumission. Néanmoins, Pépin semble souffrir de l’exigence de modération qui lui est imposée. Dans une lettre du 1er novembre 1901, il invoque un confrère comme faire valoir : le dessinateur Guillaume, dans Le Matin, un quotidien tout à fait « ministériel », a publié un dessin bien plus impertinent que ceux diffusés par Le Petit rouennais. Pépin demande à son directeur de lui « lâcher un peu la corde », c’est à dire de lui donner un peu plus les coudées franches pour égratigner le gouvernement. Dans un courrier précédent, Pépin décrivait sa caricature du président Loubet comme « respectueuse ».
Les lettres témoignent de la difficulté à trouver « le » sujet d’actualité, le dessinateur évoquant même la réalisation de dessins « bouche-trous » en cas d’absence d’événement notable à croquer.
Pépin entrevoit bien son travail comme une collaboration, une création en duo. Ainsi, le 29 mai 1901, il n'hésite pas à solliciter une fois de plus le directeur du journal : "De votre côté, cher Monsieur, il ne me serait pas désagréable que vous me donniez votre avis sur tel ou tel croquis pour en augmenter l'esprit de critique ou satirique".
Parfois, pour des raisons de gestion du temps, Pépin ne parvient pas à travailler sur un sujet qui relève pourtant de la plus chaude actualité. Ainsi, explique-t-il dans un courrier du 3 juillet 1901, "j'ai fait des recherches rapides parmi mes nombreux documents pour retrouver les faces de nos élus, mais tenu par la remise du dessin au graveur à heure fixe, j'ai passé outre. Depuis, j'ai remis la main sur ces messieurs". La question de la documentation est centrale. En 1902, Pépin revient à la charge en demandant au directeur du Petit rouennais de lui mettre de côté des portraits de candidats mélinistes, documents indispensables pour réaliser ses caricatures (25 février 1902).
Les lettres de Pépin témoignent en permanence de la pression du temps, des difficultés à anticiper les jours fériés qui perturbent la chaîne de production du journal. Le dessinateur prend parfois l’initiative de faire graver un dessin qu’il n’a pas soumis « à la censure » du directeur. Le terme, sous sa plume, est fort. Il témoigne combien, loin des clichés sur la liberté d’expression du dessinateur de presse, la production satirique reste avant tout déterminée par la direction du journal.
Il faut dire que le gouvernement est alors dirigé par Waldeck-Rousseau, nettement plus progressiste que ses prédécesseurs. Le Petit rouennais tient à conserver son lectorat en évitant d’égratigner trop fort l’exécutif. Pour ce journal, c’est plus rentable alors de charger Méline et les nationalistes !
Nouvelle preuve de cette tension entre Pépin et le journal, le dessinateur propose deux croquis et ajoute « je ne vois pas pour le moment d'autre sujet à moins que nous ne touchions légèrement le ministère sur son étrange jeu de bascule - mais, vous le ne voudriez pas ». En décembre, Pépin évoque un thème qui lui semble intéressant, autour des tensions et de la vie intime du Roi de Serbie et de la Reine de Hollande. Mais, ajoute-t-il, « il y a des dames, soyons corrects ». Plus tard il explique avoir eu « l'intention de préparer un croquis sur Pâques mais peut-être aurait-il effarouché quelques lecteurs timides » (18 mars 1902). Le dessinateur suggère des sujets tout en fournissant des argument pour ne pas les aborder, en espérant sans doute un télégramme de dernière minute du Petit rouennais l’autorisant à réaliser le croquis envisagé !
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Au fil des mois, la collaboration prend de l’essor. Alors que Pépin, dans ses premières lettres, exprimait le vœux de voir le tirage du journal augmenter grâce à ses dessins, début 1902, Le Petit rouennais envisage de lancer une nouvelle formule, sous le titre La Vérité par l’image – Organe de défense républicaine, qui doit toucher Paris et la province, une formule centrée sur un grand dessin politique. Pépin suggère que le premier tirage à paraître fonctionne comme un « programme » car les lecteurs « ne connaissent pas la ligne politique [de ce nouveau] supplément ». Il se rend d’ailleurs chez l’imprimeur et le coloriste, situés à Paris, pour exercer son œil expert, et s’implique d’ailleurs dans la communication de ce nouveau supplément hostile aux nationaliste, qu’il compte adresser à certains députés « ou leur comité » avec une petite note suggérant que le numéro peut être acheté chez tel marchand ou à la vente « en gros » pour diffusion auprès des électeurs. Le quotidien La Lanterne du 24 février 1902 se réjouit d’ailleurs dans son article leader d’avoir reçu un exemplaire de la Vérité par l’image et en décrit le dessin. Dans les semaines qui suivent, Pépin précise "Rien de nouveau à Paris pour le Supplément - on se le procure en le réclamant - il y a à Paris 5600 marchands. À moins de couper le supplément en deux, il ne peut être partout. On le voit, dit-on, dans la grande banlieue" (11 mars 1902).
La Vérité par l’image semble avoir des difficultés à trouver son public. Le dernier numéro connu par nous date du mois d’avril-mai 1902.
En Avril, on retrouve Pépin en « Une » d’une nouvelle petite feuille à caricatures républicaine de circonstance, les élections législatives approchant, La Satire, dont la BNF possède seulement 4 numéros.
On se représente généralement le travail du dessinateur comme une œuvre de proximité avec la rédaction, du moins jusqu’à l’invention du fax et d’internet. Néanmoins, à la fin du 19e siècle, de nombreux dessinateurs parisiens – ou des officines de presse - alimentaient la province. Si la communication s’opère par courrier et par télégramme (pour les validations ou les demandes de modification), les clichés étaient alors acheminés par voie ferroviaire, ce qui n’était pas sans poser problème lors des pannes notamment. Cette correspondance de Pépin témoigne de la précarité du dessinateur dans le choix des sujets soumettant systématiquement à son journal deux voire trois croquis, possiblement amendés par la direction. Lorsque nous lisons la presse satirique ancienne, la question de la gestation des dessins nous échappe totalement. Par ses échanges avec son journal, Pépin témoigne de la difficulté à choisir le « bon » sujet d’actualité, cherchant par ailleurs en permanence l’équilibre entre la ligne éditoriale du journal et les susceptibilités ou les attentes du lectorat, déjà. La direction, elle, a les yeux fixés sur le tirage et les ventes !
Dans cette quête du Graal graphique, le dessinateur de presse semble soumis à une ultime exigence, qui transparaît dans chaque courrier : celle du temps. Temps de la conception, temps de la réalisation, temps du clichage puis de son acheminement jusqu’à l’imprimeur, avant celui de l’impression, de l’acheminement cette fois des numéros tirés et enfin de la vente en kiosque ou à la criée.
Le temps, plus intraitable pour le dessinateur que le plus intraitable des patrons de presse !
GD