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  M. Clemenceau. - Moi aussi, je bois l'obstacle !  "Le Président Bibendum", dessin de Léandre, Le Rire n°198 17/11/1906.

« GONFLÉ, MAIS PAS GONFLANT ! » (1) Bibendum : un personnage publicitaire prend son autonomie

Par Margarethe POTOCKI. Article paru dans Ridiculosa n°12, Caricature et publicité.

 

Qui ne connaît Bibendum ? Ce bonhomme amusant, composé de pneus, logo d’une célèbre marque de pneumatiques, Michelin, que l’on peut rencontrer des milliers de fois en France, de même en Chine et au plus pro fond de la brousse africaine, sous les formes les plus diverses…, affiches, cartes postales, poupées sur les camions et, bien sûr, dans les fameux guides….(2)

Aujourd’hui, le personnage est plus que centenaire. Une étude retraçant le rôle qu’il a pu jouer dans la publicité ne finirait pas d’étonner au vu de la richesse du corpus et du nombre d’ouvrages qui lui sont consacrés. Il résumerait presque à lui tout seul tout ce qui a été fait depuis un siècle en matière de publicité. Ses transformations et son itinéraire font comprendre tant l’évolution des modes dans cet art qu’est la publicité que les changements dans la mentalité des consommateurs. Nous n’en voulons pour preuve que les récits et dessins de la page de publicité d’un hebdomadaire comme l’Illustration, où en 1920 Bibendum lui-même racontait ses origines dans un long récit que l’on ne trouverait sûrement plus dans la presse aujourd’hui.(3) Et que dire des cartes postales éditées par la Manufacture Michelin au début du XXe siècle, qui rappellent les images moralisantes d’Epinal ! Sur ce même support publicitaire on découvre l’évocation d’événements politiques, comme la guerre russo-japonaise et l’attaque inopinée de Port Arthur en 1904. La résistance des Russes aux forces japonaises est attribuée ici – avec un clin d’œil – aux services de Bibendum, ce qui permet aux responsables de l’armée russe de trinquer et de fumer tranquillement leurs cigares, protégés par Bibendum ! La suite de l’histoire ne fut pas aussi glorieuse pour l’armée russe.

Une telle exploitation de l’actualité politique serait difficile, voire impensable de notre temps. La publicité est devenue plus agressive dans sa façon de s’emparer du consommateur, mais aussi plus modérée, plus « politiquement correcte » face à la politique et aux conflits internationaux. Ce cas exemplaire dans la publicité (6) a aussi un parcours unique dans le dessin satirique où l’on trouve toutes les possibilités imaginables que permet le bonhomme : gonflable, gonflé et dégonflable. Bibendum, cette trouvaille extraordinaire, pourrait donc servir à une recherche, aussi bien sur l’exploitation d’événements politiques ou des faits de société dans la publicité que sur l’utilisation d’une figure publicitaire dans le dessin satirique de presse ou le dessin d’humour. Nombreux sont les ouvrages sur l’histoire et l’exploitation de ce phénomène en publicité (7), mais les publications sur son utilisation dans la satire politique sont plutôt rares et ne traitent pas exclusivement de cet aspect.(8) C’est à la satire politique que nous nous intéresserons ici, et plus particulièrement à Bibendum dans le dessin de presse. Le corpus à notre disposition ne contient que quelques exemplaires, mais chacun d’eux représente un type d’exploitation paradigmatique couvrant la période du début du XXe siècle au début du XXIe.(9) Nous les analyserons selon la nature des dessins, qui représentent soit un commentaire politique, soit un commentaire du monde des affaires, soit encore un moyen de lutte syndicale.

Le personnage du Bibendum fut créé en 1898 par les frères André et Edouard Michelin. Le slogan « Nunc est bibendum » existait déjà. Cette formule d’Horace, utilisée par Michelin à partir de 1896, fut librement traduite par « C’est maintenant qu’il faut boire », sous-entendu « boire l’obstacle ». Voilà ce qui caractérisait la supériorité du pneumatique, sa capacité à absorber les chocs provoqués par la chaussée. Ce slogan connut un énorme succès.(10)

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Dessin de O'Galop, une des premières affiches avec Bibendum au début du XXe siècle (11).

Ce n’est donc pas le personnage sympathique seul que nous connaissons encore aujourd’hui, qui est à la base de la popularité de cette publicité, mais d’abord le slogan. Grâce à la rencontre d’André Michelin et du dessinateur O’Galop fut créé Bibendum. On le voit sur les nombreuses variantes des affiches à partir de 1901. Notons que Bibendum est toujours au centre, levant sa coupe remplie de clous et de tessons de bouteilles. Des deux côtés se tiennent, les pneus concurrents, en mauvaise posture, un bel exemple de publicité comparative. Très vite, le slogan connut une vie autonome et il est même rapporté qu’en 1906, « Georges Clemenceau consacre la gloire du slogan Michelin : au moment de former son gouvernement, il aurait assuré : "Mon ministère est constitué, comme le pneu bien connu, je bois l’obstacle" ».(12) C’est ainsi que commence la carrière de Bibendum dans le dessin satirique.

Bibendum en politique

Il n’est pas étonnant qu’un dessinateur, en l’occurrence Léandre, ait exploité cette remarque de Clemenceau, fraîchement arrivé à la présidence du Conseil. Toutefois, le dessinateur Léandre entoure le Président Bibendum de personnages significatifs et remplit sa coupe d’objets non moins évocateurs. (voir illustration en tête d'article)

Tous ces « obstacles » rappellent le passé du Président et annoncent l’avenir qui l’attend. Devant Clemenceau on voit Paul Déroulède, écrivain et homme politique de droite, vieil ennemi de Clemenceau, avec lequel il s’était battu en duel le 22 décembre 1892, sans résultat d’ailleurs. Il se traîne lamentablement, un pneu dégonflé à la main. Marianne et un haut dignitaire de l’Église observent la scène et réagissent chacun à sa façon. Marianne en rit, elle a même l’air de bien s’amuser. L’évêque, en revanche, semble plutôt effrayé de voir Paul Déroulède dans cet état pitoyable.(14)

Le contenu de la coupe montre toutes les embûches qui attendent le nouveau Président : la tête de Jean Jaurès sortant comme un diablotin de sa boîte, la tiare ainsi que le goupillon, symbolisant le pouvoir de l’Église et la politique de séparation de l’Église et de l’État, que Clemenceau aura à mener à terme. S’y ajoute le casque à pointe renvoyant à l’Allemagne et à son empereur aux allures guerrières. Devant cette boisson corsée, Clemenceau n’a pas l’air particulièrement heureux, mais la légende se veut optimiste, elle reprend justement le slogan : « Moi aussi, je bois l’obstacle ! »

L’histoire de Bibendum et de Clemenceau dans ce numéro du Rire n’est pas finie. Dans les pages publicitaires à la fin de la revue, O’Galop, créateur de Bibendum et ami de Léandre, intervient, lui aussi. Il ne dessine pas Bibendum cette fois-ci, mais se sert encore une fois du slogan. Au volant d’une belle voiture, Clemenceau, digne conducteur du « Char de l’État », se promène dans un paysage rural, accompagné d’une Marianne bien plus digne que celle de la couverture. Il s’est arrêté devant un débit de boisson du nom de la vigne appartenant au Président Fallières. Celui-ci en bon vivant tend un verre de vin à Marianne et demande à Clemenceau : « Et toi, Georges, qu’est-ce que tu bois ? Un verre de Loupillon ? » Et Clemenceau de répondre : « Oh ! moi, mon Président, je suis comme nos pneus Michelin : Je bois l’obstacle. » Et sur les deux pneus avant de la belle voiture, on reconnaît « Pneu Michelin ». Le char de l’État est porté par Michelin !

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Dessin de O’Galop : « Une Halte à Mezin », Le Rire, n° 198, 17 novembre 1906. (15)

On doit d’abord constater que dessin satirique de presse et dessin publicitaire sont proches et intimement liés dans ce cas précis. Le caricaturiste part du slogan de Michelin prononcé par Clemenceau pour en faire tout un récit autour de la prise de fonctions du Président du Conseil. Le publiciste reprend ce motif et raconte un nouvel épisode de l’histoire politique, mais cette fois-ci à des fins publicitaires, un bel exemple de connivence entre publicitaire et dessinateur satirique. En tous cas, Léandre et O’Galop ont dû bien s’amuser. L’histoire de Clemenceau en Bibendum n’est toujours pas terminée !

Quatorze ans plus tard, phénomène plutôt surprenant, la caricature de Léandre est reprise telle quelle sur le dos de La petite Illustration théâtrale : grâce aux liens entre le journal et son supplément, la stratégie publicitaire est double. Elle se sert d’un personnage politique important pour renforcer le dessin, même plusieurs années après les événements. Clemenceau n’est, certes, plus Président du Conseil et il n’est même plus actif en politique, mais sa popularité renforcée pendant la guerre (« Père La Victoire ») est telle que le publicitaire n’hésite pas à faire appel à ce qu’il représente. Il le fait même doublement, puisque la publicité dans l’Illustration rappelle encore une fois le moment où Clemenceau fut appelé à la Présidence du Conseil en 1906. Dans ce numéro du 5 juin 1920, Bibendum conte son histoire dans le « 57e samedi de Michelin » (16), rubrique publicitaire mensuelle. Et nous voyons à nouveau Clemenceau, une coupe à la main, trinquant cette fois-ci avec Bibendum qui, lui, a les clous et les tessons habituels dans sa coupe, tandis que dans celle de Clemenceau, c’est le casque pointu qui prend maintenant toute la place ! Le mot de Clemenceau « Moi aussi, je bois l’obstacle » est répété et le lecteur est renvoyé au supplément de ce numéro.

Nous nous trouvons en effet ici devant un cas probablement très rare où une caricature politique devient le support de stratégies publicitaires. L’ensemble est plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. L’utilisation du logo montre que Bibendum et même son exploitation dans la presse satirique sont déjà bien entrés dans la mémoire collective. Le lecteur est capable de comprendre son impact. Mais si le lecteur a suivi les indications du publicitaire et regarde immédiatement le dos du supplément, il comprend le rapport entre la reprise du dessin du Rire et la pièce de Henry Bataille. Bibendum écrit sous la reproduction : « L’ANIMATEUR DE … LA BATAILLE. Ne croyez pas que j’aie la prétention de consacrer une étude littéraire aux personnages de M. Henry Bataille et d’écrire quelque chose comme un Guide des Gens de Bataille ! Je veux simplement vous rappeler cette page du Rire du 17 novembre 1906. Elle illustrait un mot de Clemenceau : comme il venait de constituer un ministère, il avait dit à ses interviewers : « Comme le pneu bien connu, je bois l’obstacle ! » Or, vous remarquerez que, dans la coupe que brandit le Tigre, le maître Léandre, en 1906, avait fait figurer déjà un casque à pointe. Et cet obstacle, certes, l’animateur de la bataille l’a bu …. à Boche que veux-tu ! BIBENDUM. » (17)

« L’animateur de la bataille » qui a combattu les Boches « à bouche que veux tu » et auquel Bibendum fait ici allusion est évidemment Clemenceau. S’agit-là d’un simple jeu de mots où y a-t-il, en plus, un rapport avec la pièce de Henry Bataille…? Le héros de la pièce, un journaliste s’efforçant de rester honnête dans un monde très douteux réussit à garder les mains propres, malgré les attaques de ses adversaires, et même de sa propre épouse. Nous penchons davantage pour l’explication par le jeu de mots. Notons toutefois que ce jeu de mots introduit aussi le Guide Michelin, créé en 1900, même si Bibendum l’applique ici ironiquement aux Gens de Bataille !

La prochaine représentation de Bibendum date du 12 novembre 1927 et est la couverture du journal Aux Ecoutes, un journal plutôt de droite. Comme dans l’exemple précédent, Bibendum est utilisé ici pour représenter un homme politique, mais non défini, non individualisé. Il personnifie le parti radical-socialiste. Bibendum est bien gonflé, de sorte qu’il donne l’impression d’avoir du mal à avancer. Au-dessus, on peut lire « Bibendum crevable … », et en dessous, « Si vous le touchez, il se dégonfle… » La signification semble claire.

Elle est d’ailleurs confirmée par un article dans ce même numéro. En vue des élections de mai 1928, « une vaste campagne [est] entreprise par les radicaux-socialistes et les socialistes participationnistes (18) en vue d’habituer l’opinion à l’avènement, après les élections, d’un ministère auquel collaboreraient les collectivistes. » (19) Mais d’après le dessinateur et selon les auteurs de l’article, il suffit, de peu de choses pour le dégonfler. Nous sommes même tentés de croire que l’on vise un radical-socialiste en particulier, Pierre Renaudel, dont la rondeur et les lunettes ressemblent beaucoup à Bibendum avec ses lunettes d’automobiliste.

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Dessin de LODE, « Bibendum crevable », Aux Ecoutes, n° 495,12 novembre 1927 (20).

Contrairement aux exemples précédents, Bibendum n’est pas présenté sûr de lui et de sa victoire, mais fragile par sa nature même et par les risques d’une mauvaise manipulation : le pneu trop gonflé peut crever ! Le dessinateur tente de stigmatiser les faiseurs de promesses et se moque de leur activisme. En même temps, il rassure le lecteur de droite en montrant que finalement leurs adversaires vont se dégonfler ou seront « dégonflés ».

Nous retrouvons Bibendum bien plus tard, en 1958, sous la plume de Jean Effel qui a souvent croqué le Général de Gaulle, l’homme le plus caricaturé du monde.(21)

Jean Effel commente un instant important de l’histoire de France, le référendum sur la Constitution de la Cinquième République en 1958. Le dessinateur se sert ici de l’image de Bibendum dans un contexte particulier, à savoir dans le rôle que joue le personnage dans le fameux Guide Michelin, guide des hôtels et restaurants pour voyageurs. Bibendum a totalement changé, il a minci, s’est allongé et a la physionomie du Général de Gaulle. L’ensemble du dessin présente un curieux mélange de données et de significations : Bibendum-de Gaulle s’appuie sur une borne routière Michelin formant un livre ouvert qui rappelle les représentations classiques des tables de la loi de Moïse. On pense à Dieu dictant ses commandements. Ici le Bibendum-de Gaulle fait sa propre publicité en se servant de signes similaires à ceux du Guide Michelin, mais renvoyant à la vie militaire. Les sardines classant le « très bon colonel » et le « capitaine simple mais convenable » signifient les galons dans l’Armée. De même, les fayots correspondent certes au classement des restaurants du Guide, les fameuses fourchettes, mais renvoient aussi dans le domaine militaire aux lèche-bottes et autres haricots, nourriture des bidasses.

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Dessin de Jean Effel : Quelques Conseils de Référendum, 1958, © Michelin.

De façon humoristique, Jean Effel mélange la religion, le guide hôtelier, la figure publicitaire, tout en se moquant peut-être de ce référendum qui doit asseoir la position du Général et le faire revenir à la tête de la Nation. A-t-il été inspiré par le nom du ministre Edouard Michelet qui avait été particulièrement actif dans la préparation du référendum et qui apparaît tout en bas du dessin comme l’auteur du « Guide Michelet » ? Ce qui nous intéresse ici, c’est l’utilisation aussi bien de la figure du Bibendum que du Guide Rouge pour commenter un événement politique.

Trente-quatre ans plus tard, Cabu reprend la figure de Bibendum dans Le Canard enchaîné du 29 avril 1992. Il représente Pierre Bérégovoy qui, après avoir été Ministre des Finances, vient d’être nommé Premier Ministre par le Président François Mitterand (le 2 avril 1992).

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Dessin de Cabu, "Bérébendum", Le Canard enchaîné, 29 avril 1992. (22)

Le dessin date de la fin du premier mois des nouvelles fonctions de Bérégovoy qui, dans les sondages, était très bien placé et montait régulièrement. Cabu le fait même sortir du cadre de son dessin pour évoquer son succès, tout en l’appelant « l’enflure » ce qui est pour le moins équivoque. Mitterand, en revanche, fait des efforts considérables pour remonter sa cote. Il actionne la pompe et transpire à grosses gouttes. Pourtant lui ne décolle pas… Cabu nous révèle ce fait avec beaucoup d’ingéniosité. Il crée, par le biais des feuilles au titre de « sondages », un lien fort entre Bibendum et un gonfleur. Nous visualisons ainsi l’écart important entre les deux hommes politiques.

Bibendum et l’économie française

Bibendum n’a pas seulement servi aux caricaturistes pour représenter des hommes politiques ou des partis, il a aussi été identifié à la Manufacture Michelin elle-même. Quoi de plus naturel ! Lorsque, en 1934 André Citroën se trouve en grande difficulté et appelle Michelin à l’aide, un dessinateur trouve une variante impressionnante pour rendre compte des hésitations de Pierre Michelin à s’occuper des automobiles Citroën.

Bibendum est bien devant une table, comme sur les premières affiches publicitaires, mais il est seul et pas dans une posture centrale et dominante. Il n’est pas accompagné d’autres pneus, et la coupe n’est pas levée, mais posée sur la table. Bibendum avance les deux mains comme s’il voulait refuser ce verre-là. Dans le récipient se trouve une boisson mousseuse sur laquelle nage un cygne (24) monté par un homme, les bras en l’air, comme pour appeler au secours. Les chevrons sur le verre renvoient, bien évidemment, à Citroën et aux « pompiers du quai de Javel » (25), les sauveurs de Citroën. La légende reprend le slogan, mais sous une forme négative : « Michelin ne boit pas toujours l’obstacle ». Effectivement, l’affaire Citroën n’était pas facile à avaler pour la Manufacture.

Bibendum et les syndicats

Que Bibendum dans le cas précédent représente la Manufacture Michelin semble tout naturel. Bien entendu, Bibendum signifie aussi Michelin dans son rôle de patron, quand il s’agit, par exemple, des syndicats. L’exemple choisi est un dessin qui, cette fois-ci, ne sort probablement pas de la plume d’un caricaturiste de presse. Il se trouve sur un tract élaboré par le syndicat Force Ouvrière et date de février 1974.

« La fin des années soixante et le début des années soixante-dix signifient […] regain de tensions entre les différents syndicats. » (27) Le dessin fait partie de ces luttes intersyndicales. Il identifie bien Bibendum à la Manufacture Michelin ou à sa direction qui tiendrait les candidats des syndicats indépendants dans ses griffes de sorte qu’ils apparaissent comme des pantins. Bibendum semble avoir bien changé, il n’est pas le personnage rondouillard et sympathique que l’on connaît et prend plutôt des airs de robot. Ce qui frappe, c’est qu’il n’a pas de bouche. Est-ce un hasard ou veut-on faire comprendre qu’il n’a même pas besoin de parler pour se faire comprendre par les candidats ? L’ensemble est en tout cas très efficace dans toute sa simplicité.

Pour terminer sur une note humoristique citons last but not least un des nombreux exemples de dessins d’humour montrant que Bibendum ne sert pas que la satire. Bibendum n’est pas du tout « franchouillard parce qu’universel » (28), il fait partie du paysage dans tous les pays, en Espagne comme en France et ailleurs : Ronaldo (Ronaldo Nazarion de Sousa), le fameux joueur d’origine brésilienne du non moins fameux Football Club Real Madrid, revient en force en janvier 2005 sur le terrain, après avoir perdu un certain nombre de kilos.

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Dessin de Gallero & Rey, " Ronaldo", El Mundo, 17 janvier 2005, © Michelin.

Cet événement de la plus haute importance est illustré par les dessinateurs espagnols Gallero & Rey grâce à l’image de Bibendum dans une de ses attitudes habituelles de fonceur souriant et dynamique. Son corps est parsemé de rustines, signifiant le délestage (ou dégonflage) dû au régime diététique. L’identification qui ne doit pourtant pas poser le moindre problème est facilitée par les deux incisives bien visibles qui caractérisent Ronaldo.

  Du pouvoir d’une figure publicitaire

« … Associer le nom d’un produit à une image familière, créer de toutes pièces un être à qui on arrivera à donner une personnalité, la parole, le geste, l’expression et la pensée, voilà le fin du fin … Cet inimitable Bibendum, le modèle incontesté du genre », peut-on lire déjà en 1934.(29) Figure de légende et connue de tous, Bibendum s’émancipe et devient autonome. Possédant une malléabilité naturelle par sa nature même, il ne pouvait échapper à la caricature. Bibendum devient ainsi homme politique, aussi bien de droite que de gauche, ou joueur de football, patron d’usine ou syndicaliste. Les dessinateurs le font se gonfler et foncer, se dégonfler et s’apitoyer, s’allonger et dominer, avaler et gagner ou refuser d’avaler et gagner quand même. Ses traits presque humains permettent mainte expression et, en cas de besoin, il suffit d’un nez proéminent ou de deux dents pour que le lecteur comprenne.

Dans les exemples observés, les dessins vont du plus complexe – exploitant aussi bien le personnage que le slogan – au plus simple. Dans ce dernier cas, il suffit de la figure du Bibendum pour signifier soit un adversaire, soit un protecteur ou un gagnant. Au fur et à mesure, une simplification est à l’œuvre et prouve la popularité du personnage. Peu d’autres logos, même parmi les plus connus, pourraient jouer un rôle tel que celui joué par Bibendum par le passé et qu’il jouera probablement encore longtemps. Le champ de recherches est loin d’être épuisé !

Margarethe Potocki, Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand

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Bibliographie de l'auteure



Notes

1 Titre partiel de la contribution de Martin, Pascal : « Un mec gonflé, pas gonflant », in Parlez nous de lui. Bibendum vu par …. Anthologie créée et présentée par Maxime Prodromidès avec Marc Payet et Florence About, Paris, Les Éditions Textuel, 1998, pp. 52-53.

2 Cf. Pierre-Gabriel Gonzalez, Bibendum. Publicité et objets Michelin, Paris, Éditions du Collectionneur, 1995.

3 Cf. L’Illustration, n° 4031, 5 juin 1920. Cf. aussi la figure 7 ci-dessous. Cf. l’article de Bruno de Perthuis et celui de Raymond Bachollet dans ce même numéro où ils analysent l’un des cartes postales, l’autre des affiches de la même période.

4 Commentaire sous le dessin : « Il paraît que l’héroïque résistance de la vaillante forteresse russe, toute méritoire qu’elle fût, n’a rien d’inexplicable. Les Russes se sont tout simplement assuré les services de Bibendum. Les Japonais pouvaient vomir clous et schrapade. Le pneu Michelin boit l’obstacle. »

5 Cette carte postale fut éditée sous forme d’affiche, avec neuf autres cartes, en 1907.

6 Déjà en 1934, un publicitaire écrit un article sur Bibendum et sur sa carrière exceptionnelle. Cf. Marc Saurel, « Les fétiches de la publicité. Bibendum. », dans ABC Magazine, n° 114, Juin 1934, pp. 152-154.

7 Cf. entre autres Ollivier Darmon, Le grand siècle de Bibendum, Paris, Éditions Hoëbeke, 1997, Pierre-Gabriel Gonzalez, Bibendum à l’af. che. Cent ans d’Image Michelin. Clermont-Ferrand, Michelin et Cie, Propriétaires-Éditeurs, 1998.

8 Christian Moncelet reproduit ou évoque des exemples de dessins satiriques dans Christian Moncelet fait rire, Éditions CANOPE, 1995, pp. 15-18 et Christian Moncelet, Fouchtrah ! Ah ! Ah ! L’humour auvergnat, Éditions Horvarth, 1982, pp. 35-40.

9 Merci aux archives de la Manufacture Michelin d’avoir mis à ma disposition leurs trésors ! 10 Cf. Lionel Dumond, L’épopée Bibendum. Une entreprise à l’épreuve de l’histoire, Toulouse, Éditions Privat, 2002, pp. 9-28. Cf. aussi Martin, Marc, Trois siècles de publicité en France. Paris, Éditions Odile Jacob, 1992, pp. 183-187.

11 Darmon, op. cit., p. 26.

12 Dumond, op. cit., p. 17. Cf. également L’Illustration, n° 4032, 5 juin 1920.

13 Merci à Hervé Dupichaud et son site très utile : ttp ://perso.wanadoo.fr/images.collections.

14 Je remercie Bruno de Perthuis de m’avoir aidée à élucider quelques énigmes de ce dessin.

15 Je remercie Peter Ronge d’avoir attiré mon attention sur cette page publicitaire. Merci aussi à Bruno de Perthuis pour son aide.

16 L’Illustration, n° 4031, 5 juin 1920.

17 La petite Illustration théâtrale, n° 19, 5 juin 1920.

18 Favorables à la participation au gouvernement.

19 Aux Ecoutes, op. cit., p. 15.

20 Je remercie « Journaux - Collections » de m’avoir fait connaître ce journal et de m’avoir procuré ce numéro. www.journaux-collections.

21 Christian Moncelet cite aussi le nom d’Edouard Herriot, fumeur de pipe, devenu « Pipendum », nous ignorons s’il a été dessiné sous ce surnom. Cf. Christian Moncelet fait rire, op. cit., p. 18.

22 Merci beaucoup à Alban Poirier qui m’a fait pro. ter de son fonds de dessins !

23 Source : www.journaux-collection.com.

24 Le cygne voguant entre deux chevrons est le symbole de la C4 G et de la C6 G, les premières voitures à moteur flottant, sorties en 1932.

25 Cf. « Les pompiers du quai de Javel », titre d’un chapitre dans le livre de Alain Jemain, Michelin. Un siècle de secrets, Paris, Calmann-Lévy, 1982, pp. 83-96.

26 Pascal Quincy-Lefebvre, « Le système social Michelin de 1945 à 1973 ou l’épuisement d’un modèle » in Lionel Dumond, Pierre Mazataud, Christian Lamy, Pascale Quincy-Levebvre, Les Hommes du pneu. Les ouvriers de Michelin à Clermont-Ferrand de 1940 à 1980, sous la direction d’A. Gueslin, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 1999, pp. 93-219, ici : p. 205.

27 Ibid., p. 204.

28 Alain Carrier, « Un centenaire gon. é à bloc », in Marius Rossillon dit O’Galop. L’affichiste de Bibendum 1867-1946. Catalogue réalisé sous la direction de Kléber Rossillon. Sarlat. Ancien Évêché. Exposition présentée du 28 juin au 23 septembre 1998, © Kléber Ruinton 1998, p. 13.

29 Marc Saurel op. cit., p. 152.

 

 


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