Document 1
Par Marina Bujoli-Minetti
La fuite et l’arrestation de la famille royale le 21 juin 1791 suscitent outre-Manche la parution de 16 caricatures du 26 juin au 2 septembre 1791, le délai de réaction par rapport à l’événement est court car déterminant pour le succès de ce type de documents. La nouvelle a atteint Londres le 25 au matin et bien que les circonstances exactes soient connues trois jours plus tard, les auteurs n’ont pas freiné leur imagination. Les représentations choisies sont donc très diverses, elles retranscrivent l’imaginaire britannique et les conflits politiques intérieurs entre loyalistes partisans de la prérogative royale, whigs défenseurs des droits des Communes et radicaux, appellation regroupant tous les courants idéologiques opposés au régime monarchique.
Les productions de ces derniers étaient trop chères pour les artisans et ouvriers londoniens, qui pouvaient les admirer dans les vitrines des magasins d’estampes et les tavernes, seules les élites conquises par ces idées les achetaient pour les exposer sur les murs de leurs résidences. Les 6 caricatures produites par les radicaux, dont la première paraît le 26 juin, désacralisent Louis XVI dont elles renvoient une image très défavorable. Quatre d’entre elles intègrent des éléments étrangers à Varennes, le Diable, seul sur « Une Déclaration Francois !!! », est associé à Pie VI sur « An Escape a la Francois » et « Absolution », Edmund Burke sur « French Flight Or the Grand Monarque and the Rights of Kings Supported in a Sublime and Beautiful Manner » (document 1).
Auteur des Reflections on the French Revolution éditées en 1790, il porte le couple royal dont il justifie la fuite et qu’il aide par ses
œuvres, pamphlets dont s’échappent des serpents. Selon « La Fuite française ou le Grand Monarque et le Droit des Rois portés de manière magnifique et sublime » Louis XVI s’illusionne sur
l’importance de son rôle politique, l’Assemblée nationale détient la réalité du pouvoir et rayonne alors que la couronne des Bourbons n’est plus qu’un excrément.
Cette caricature fantaisiste ne veut pas décrire l’événement mais en dégager le sens politique. « Une Fuite à la Française » fait de même, comme l’explique la chanson en légende, « La, voici le
Roi de France / Qui va diriger une Danse de Guerre / La la la la la. Il pense ses ennuis finis / Mais il sera pris tout de même a La la la la la », et le sous-titre, « Scrupules de
conscience soulagés et la Route vers Canaan montrée par le Diable et le Pape » (1).
Document 2
Or il ne craint rien car ce dernier lui accorde l’« Absolution » (document 2), sujet repris sur une satire où seuls le monarque français, le
seigneur des Enfers et le souverain pontife figurent, leur proximité physique symbolisant leur union. La religion et l’ivresse sont à l’origine de la trahison du « Serment » de Louis XVI à
l’Assemblée le 4 février 1790, réduit à un pet s’échappant de ses fesses nues. Il est seulement obnubilé par le vin que lui propose Satan pour l’enivrer, Pie VI accroupi sur son dos se
réjouissant de la situation.
Enfin, pour sa troisième apparition sur une caricature, le Diable souffle au souverain français « Sur mon Serment civique, je n’ai jamais eu l’intention de quitter le Royaume », ce qui constitue
« Une Déclaration Francois !!! » faite à La Fayette et aux deux députés envoyés à Varennes par l’Assemblée. Après l’intrusion de personnages extérieurs aux événements, les auteurs choisissent un
autre thème, les réactions de divers groupes à cette fuite avortée.
Document 3
Il en est ainsi de « The National Assembly Petrified – The National Assembly Revivified » (2) (document 3), dont le succès immédiat s’est poursuivi jusqu’à la fin du XIXe siècle où elle a été
reportée sur une carte postale. Les visages allongés en partie supérieure qui reculent, horrifiés par la fuite, contrastent avec les visages ronds en partie inférieure qui avancent, joyeux à
l’annonce de l’arrestation, et entament une danse.
Louis XVI et le régime politique qu’il incarne sont menacés par des individus féroces dotés d’instruments tranchants. La radicalisation de la Révolution est inévitable car « L’Assemblée nationale
pétrifiée – L’Assemblée nationale revivifiée » se compose de petits artisans dont la violence ne cherche qu’à s’exercer. Le fragile équilibre institutionnel entre la monarchie et l’Assemblée a
été remis en cause par cette fuite dont Gillray décharge partiellement le roi, son but principal étant d’alerter ses compatriotes, l’horreur va déferler en France.
« Long faces ; or the first meeting of the National Assembly after the King’s escape » a le même sujet et s’inspire de l’œuvre précédente, en mêlant les deux types d’attitudes. Les « Visages
longs ; ou la première réunion de l’Assemblée Nationale après la fuite du Roi » se réjouissent ou pleurent, en fonction de leur appartenance politique et de leur perception de l’évènement. C’est
l’unique satire produite par les radicaux à faire preuve de neutralité envers Louis XVI, ses objectifs étant commerciaux, connaître un succès comparable à son modèle, et non politiques.
Deux caricatures montrent d’autres réactions à l’annonce de l’arrestation du roi, « An Aristocrat » se lamente et l’ouvrage de Burke ne peut le réconforter, alors que les partisans de la
Révolution se réjouissent sur « Malbrouke ». Un postillon, un couple de la bourgeoisie et un couple des professions libérales sont devenus des sans-culottes dont ils ont adopté la mauvaise
éducation et la vulgarité, déféquant et urinant tout en dansant sur la célèbre chanson dont ils reprennent certains passages. Cette estampe clôt le cycle de 6 satires sur lesquelles le souverain
français apparaît de façon allusive.
Document 4
Il est par contre au centre des 6 représentations de l’arrestation, dont celle se déroulant à l’intérieur d’une auberge, « Le Gourmand, Heavy Birds
fly slow Delay breeds danger. A Scene at Varennes June 21, 1791 » (document 4). Elle a paru en France cette même année sous le titre « Le Gourmand. Scène a Varennes 21 juin 1791. Les gros oiseaux
ont le vol lent » (3) avec un contenu identique et des textes très proches après traduction, l’orientation de la version française, présentée ici, étant inversée et réduite par rapport à la
britannique.
Les têtes de mort sur les bonnets des hussards matérialisent le danger pesant sur la famille royale qui reste insouciante, le roi mange tranquillement, la reine est obsédée par l’image que lui
renvoie le miroir et le dauphin fait difficilement ses besoins dans une chaise percée. Or les temps ont changé, et si « Louis XIV » en jupe romaine tient des éclairs dans sa main droite et écrase
les Français sous ses pieds en regardant le temple de la Renommée, un arrêté officiel « Par le Roy » à l’envers est prêt à tomber au sol. Le peuple et la Garde nationale détiennent maintenant le
pouvoir politique, comme le montre le « Juillet 14, 1789 », dernière des trois illustrations fixées au mur de la salle.
Certains éléments de ce document complexe appartiennent à l’iconographie britannique traditionnelle, alors que d’autres sont tout à fait originaux. L’absolutisme de Louis XIV n’est pas
véritablement critiqué et semble l’exemple à suivre pour son descendant, contenu politique suggérant une élaboration par des Français partisans d’un régime monarchique fort, en dépit de la
signature d’auteurs anglais. La présence de textes officiels en français, sans fautes d’orthographe, paraît confirmer cette hypothèse, la copie de ce document se serait alors effectuée en
Grande-Bretagne, où l’original français aurait été apporté par des émigrés, un mois après l’événement.
Les autres gravures représentent l’arrestation en plein air, la plus fantaisiste d’entre elles sort des presses radicales, « A Bungling Disguise ; or, a French Discovery ! ». Louis XVI, revêtu
d’une jupe longue bouffante rose, affirme à Drouet qui n’est pas dupe de ce travestissement, « Ce n’est pas ce que vous pensez, homme, je suis un Russe, j’appartiens au Gouvernement en Jupon ». «
Un Déguisement Saboté ; ou une Découverte Française ! » fait allusion aux passeports russes utilisés par les fugitifs, ce qui met en évidence la précision des informations circulant
outre-Manche.
« The Grand Monarck discovered in a Pot de Chambre. Or the Royal fugitives turning Tail. Louis XVI, Queen Marie-Antoinette, and the Dauphin, arrested in their flight from Paris, 1791 » a un
contenu différent. « Le Grand Monarque découvert dans un Pot de Chambre. Ou les fugitifs royaux tournant Queue. Louis XVI, la Reine Marie-Antoinette, et le Dauphin arrêtés dans leur fuite de
Paris, 1791 » par Drouet et un membre de la Garde nationale sont caricaturés de façon très défavorable. L’auteur fait un jeu de mot sur le type de cabriolet et la scatologie tout en soulignant,
par la déclaration de la reine « Nous sommes tous Foutus » et l’irruption du cavalier brandissant férocement une dague, la réalité des dangers encourus par la famille royale.
Ce dernier thème est au cœur des 3 documents émanant des presses loyalistes. Les « French democrats surprizing the royal runaways » (4) tiennent
Louis XVI et Marie-Antoinette en joue, menaçant le Dauphin, tombé à la renverse, par la pointe acérée d’une baïonnette. James Gillray dépeint « Les démocrates français surprenant les fugitifs
royaux » en cruels assaillants qui veulent se débarrasser du roi et du régime monarchique, son attitude est donc plus claire ici que sur l’œuvre consacrée à l’Assemblée nationale. Le message
politique de « Capture of the Royal Fugitives » est identique et en dépit de chiffres exagérés, « La Capture des Fugitifs Royaux » est la caricature la plus conforme à la réalité historique tout
en intégrant des éléments symboliques.
« Sa Majesté ayant été découverte à Varennes par un maître de Poste, il informa deux soldats de la Garde Nationale qui ont arrêté le Carrosse et l’ont conduit avec sa Famille à stopper. Quand en
l’espace de quatre minutes ils furent entourés par plus de 4000 membres de la Garde nationale et tout espoir de " fuite " ôté. Quatre membres de l’Assemblée nationale ont été envoyés pour les
reconduire à Paris ». Pour l’unique fois dans les satires britanniques, la famille royale est au complet et se trouve au centre d’une composition où dominent les troupes en armes. Leurs vêtements
aux couleurs vives égayent étrangement cette scène éditée le 28 juin 1791 préfigurant la séparation de Louis XVI d’avec sa famille la veille de son exécution, le 20 janvier 1793.
Cette gravure est l’une des rares caricatures relatives à Varennes à ne pas faire de références scatologiques. Celles-ci ne sont pas l’exclusivité
des radicaux, dont la particularité est d’utiliser l’iconographie traditionnelle en Grande-Bretagne pour représenter les Bourbons, l’association du roi français au Pape et au Diable. L’union de
ces trois personnages n’est pas utilisée en France où le monarque est atteint physiquement par sa transformation en cochon, alors qu’en Grande-Bretagne il figure en singe pour la dernière fois en
1787 et n’est plus animalisé ensuite.
Par contre, son goût pour la boisson est dénoncé des deux côtés de la Manche, les estampes françaises n’hésitant pas à le représenter en ovin noyant sa honte dans un tonneau rempli de vin, sous
l’œil critique d’Henri IV. Les graveurs allemands, bruxellois et hollandais ayant retranscrit l’événement ne font pas usage de la satire, à laquelle ils préfèrent les scènes historiques. Les
caricatures britanniques constituent donc une spécificité étrangère où l’hostilité à l’encontre du souverain français domine avec 12 documents, dont 5 font preuve d’une certaine modération, 3 lui
sont favorables et la dernière gravure est neutre.
La production des loyalistes reste faible, ce qui est traditionnel en Grande-Bretagne, et n’évolue qu’avec le repli conservateur de la société à partir de 1792. Les poursuites judiciaires
entamées contre les radicaux se multiplient, de nombreux whigs se rallient au Gouvernement et les clubs royalistes fleurissent. Cette modification de l’échiquier politique a un impact sur
l’interprétation de Varennes, traduite alors par 7 scènes historiques, celles produites après le 21 janvier 1793 ayant en outre subi l’immense élan de compassion
envers Louis XVI provoqué par son exécution.
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Notes
(1) Les citations, en anglais dans
les documents, sont traduites en français dans cet article.
(2) Il existe trois versions de ce document, intégrées au corpus, ce sont le dessin préparatoire à l’aquarelle de la partie supérieure, l’estampe définitive tirée en noir et sa version en couleurs, le coloriage doublant le prix de vente.
(3) Cette réédition du XIXe siècle est extraite d’un recueil de gravures révolutionnaires, où elle porte la référence « Planche 45C ». Des numéros avec renvois sous le titre identifiant les personnages et un essai d’analyse du document ont été ajoutés par le collectionneur.
(4) Cette estampe a une version tirée en noir et une en couleurs, qui font partie toutes deux du corpus.