Par Jean-Marc Pau (http://www.gusbofa.com/heritiers.php3)
La première et seule fois que j'ai eu l'occasion de rencontrer Ronald Searle, c'était en 1999, au salon du livre, porte de Versailles. A l'heure dite de la
séance de dédicace, ma compagne et moi étions les premiers arrivés au stand en question... vide. Nous fûmes suivis par l'un de ces admirateurs inconditionnels qui se vantait de posséder toute
l'oeuvre du maître et qui sortit une bonne dizaine d'ouvrages d'un grand sac avec lequel il avait dû se ruiner le dos, espérant sans doute tous se les faire dédicacer... Enfin, pour grossir notre
file d'attente, arriva à notre grande surprise Pierre Tchernia, qui devait bien connaître Searle puisque s'ensuivit une longue discussion amicale entre les deux hommes à l'arrivée de ce dernier.
Toujours barbichu, le regard malicieux et d'une grande courtoisie, il nous dédicaça son recueil de dessins publiés dans Le Monde entre 1995 et 1998. Si je cite cette pauvre anecdote, c'est que je
m'étonne encore qu'un immense dessinateur comme lui puisse de nos jours être ainsi négligé, voire oublié du grand public... Il déclarait d'ailleurs sans rancoeur qu'en Angleterre, on le pensait
mort depuis une bonne trentaine d'années, époque à laquelle il décida de s'installer en Haute-Provence avec sa femme Monica.
Ce prodigieux artiste que l'on compare à William Hogarth pour sa vision satirique de la société, est né le 3 Mars 1920 dans une famille de la classe ouvrière,
à Cambridge, une ville renommée de tous temps pour ses originaux. Il fut baigné dès le plus jeune âge par la charmante excentricité de ses proches. Sa mère lisait l'avenir dans les feuilles de
thé, deux de ses cousines se produisaient sur la scène des musics-halls en qualité de femmes-serpents, son oncle Sid était peintre en bâtiment la semaine et peintre de natures mortes
(exclusivement de fruits) le dimanche... A cinq ans, Ronald commence à dessiner: "Toutes les possibilités que pouvaient me donner une simple plume, un simple crayon, exercèrent sur moi une sorte
de fascination qui tourna vite à l'obsession. Personne ne s'intéressait particulièrement à mes dessins, personne ne semblait choqué par leur caractère spontanément grotesque. Tout cela paraissait
bien naturel pour un garçon qui se servait de sa main gauche..."(propos recueillis en Mars 1984). Il put ainsi, à loisir, exploiter son don pour la caricature, faisant preuve d'un extraordinaire
talent. A quinze ans, il publie ses premiers dessins humoristiques dans le Cambridge Daily News et fréquente l'école des beaux-arts de sa ville natale.
Dessin de Ronald Searl, reproduit dans Ronald Searl dans Le Monde, Le Cherche Midi, 1988.
En 1939, il reçoit son diplôme de dessin du ministère de l'éducation et s'engage dans le génie militaire, comme volontaire en tant que dessinateur en
architecture. Il continue à fournir des dessins à des journaux et magazines pendant deux ans, puis il participe à la campagne de Malaisie. En Septembre 1941, il est envoyé à Singapour qui tombera
aux mains des japonais peu de temps après. Il sera fait prisonnier et ne sera libéré qu'en 1945, après trois ans et demi de captivité et d'enfer. Il séjournera au camp de prisonniers de Changi.
Travailleur forcé, il fut contraint, comme bon nombre de ses camarades, de participer à la construction de la ligne de chemin de fer qui en partant de Ban Pong en Birmanie, devait servir de
support logistique aux troupes japonaises pour pénétrer le pays. Des milliers de prisonniers de guerre y furent impitoyablement sacrifiés, épisode rendu célèbre à l'écran par "Le pont de la
rivière Kwaï". Malgré les maladies (béribéri, malaria, dont il fut atteint), les maltraitances (coup de manche de pioche dans le dos qu'il reçut d'un garde), les décès de ses compagnons... Searle
ne cessa de dessiner dés qu'il le pouvait, se faisant le chroniqueur de ce quotidien sordide. Il reste miraculeusement quelques dessins de cette époque qui sont autant de témoignages rares, voire
uniques... (portraits de ses bourreaux (un soldat de la Kempe-taï (Gestapo japonaise) ou d'un officier), de prisonniers malades, troupes japonaises au repos ou en route vers le front, repas de
Noêl à la prison....).
Après sa libération, Searle retourne à Cambridge en Octobre 1945 et expose ses croquis de guerre. Ces dessins sont reproduits dans un ouvrage s'intitulant "Forty Drawings" qui est un échec commercial. Il commence néanmoins à travailler pour de nombreuses revues et différents journaux en Angleterre, avant même sa démobilisation en 1946. Par moment, on sent une parenté graphique avec celle de Georg Grosz (1893-1959). Son second livre édité en France, "Le nouveau ballet anglais"(1946) remporte quant à lui un vif succès.
Dès la fin des années 40, son trait s'affirme de plus en plus, ses dessins sont remarquables par leurs détails tout en donnant l'impression d'avoir été griffonnés à la hâte. Searle exagère davantage le physique de ses personnages, il a la capacité de trouver l'élément amusant dans les sujets les plus austères. Ses dessins sont souvent à l'encre noire avec ou sans lavis. En Août/Septembre 1947 il voyage en Yougoslavie. En Août 1948 il dessine les ruines de Varsovie... des travaux assez sombres qu'il aura encore l'occasion de réaliser en qualité de reporter/dessinateur en Novembre 1959, en mission pour l'ONU, dans les camps de réfugiés de Salzburg, Aversa (près de Naples), Vienne.... Par la suite, il sera aussi sollicité par Life Magazine, pour illustrer la campagne présidentielle de J.F.Kennedy en 1960, prendra quelques croquis au procès d'Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961...
Dans les années 70, il abandonne plus ou moins la caricature de ses semblables pour se consacrer aux animaux afin, dit-il, d'atteindre un public véritablement international. Prodigieusement fécond, ses oeuvres non dénuées d'humour absurde sont publiées dans le monde entier. Il est aussi l'un des réalisateurs de dessins animés les plus respectés, on lui doit de nombreux génériques de films et quelques spots d'animation publicitaire. Peu d'artistes ont su exploiter leur talent avec une telle constance et une telle diversité.
En 2006, la BBC lui consacre un documentaire, mieux vaut tard que jamais!...
(Août 2007)
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