Bible-Express illustrée, par Gabby, présentée par Jacqueline Lalouette, Ed. La Martinière, 180 p., 29 euros.
Jacqueline Lalouette nous livre là un travail particulièrement savant en publiant aux éditions de La Martinière plus de cent ans après sa création, le manuscrit en
fac-similé d’une bible satirique jusque-là inédite (propriété du collectionneur Michel Dixmier).
Le pari de cette publication n’était pas aisé à relever, pour plusieurs raisons. D’abord, le dessinateur de cette bible, « Gabby », est un parfait inconnu. Le nom apparaît plutôt comme un pseudonyme, voire un diminutif de Gabriel (L’ange Gabriel ?). En outre, en parcourant cette bible parodique, il faut se faire à l’évidence : ce dessinateur, même s’il livre un ouvrage complet, n’a pas les qualités d’un dessinateur professionnel. Il ne maîtrise pas la perspective, ne donne quasiment jamais d’indications de décors, dessine de manière malhabile, recourt souvent à la copie en décalquant des vignettes ou des illustrations de l’époque. Son style varie d’un dessin à l’autre, et l’artiste utilise assez peu le jeu des déformations, des expressions faciales ou des postures pourtant propres à exciter le rire.
Cette bible irrévérencieuse n’est pour la fin du XIXe siècle pas une nouveauté. En effet, comme nous le signalions dans l’ouvrage Et Dieu créa le rire (1), les années 1880 voient la publication de plusieurs bibles antireligieuses, largement illustrées par des artistes très actifs à l’époque comme Alfred Le Petit, Lavrate, Pépin ou Frison par exemple.
/http%3A%2F%2Fi12.tinypic.com%2F62isbvm.jpg)
Contrairement à ses prédécesseurs, Gabby ne situe pas les personnages de sa bible dans un contexte antique, auquel seraient associés des éléments anachroniques dans un esprit comique. Il campe visuellement son histoire dans les temps médiévaux et à la fin du XIXe siècle, que l’on retrouve tant dans la calligraphie, dans le jeu des lettrines que dans les tenues vestimentaires de nombre de ses héros pourtant ancestraux. La majeure partie des dessins, du reste, hormis les légendes, semble totalement déconnectée de l’histoire biblique, mais plutôt tirée de la presse illustrée (souvent déshabillée) de la fin du XIXe siècle, sans que l’auteur ait cherché à travestir ces images d’emprunt.
Gabby ne recourt pas non plus aux stéréotypes employés par les dessinateurs satiriques qui ont cherché à transporter leurs lecteurs dans l’univers du divin. Alors que Dieu est généralement figuré sous l’apparence d’un vieillard portant une longue barbe blanche, le plus souvent assis sur un nuage, Gabby le représente (très rarement d’ailleurs) avec le poil noir et loin de tout environnement céleste.
Mais l’amateur ne manque pas d’imagination, et livre un texte amusant, traçant à grands traits quelques épisodes marquants de l’Ancien et du Nouveau Testament.
/http%3A%2F%2Fi17.tinypic.com%2F62ymmvt.jpg)
Jaqueline Lalouette présente le manuscrit dans une introduction très documentée d’une trentaine de page. Elle s’interroge sur la sensibilité politique de Gabby, ses emprunts à la littérature et l’imagerie de son époque. Elle décortique avec minutie les influences qu’aurait subit l’artiste en herbe, révélant un personnage nourrit de culture classique et imprégné du Montmartre de la Belle Epoque. Elle montre ses erreurs, ses oublis dans les deux Testaments.
L’auteure tente de manière convaincante de percer la mystérieuse identité de ce Gabby.
Cette Bible-Express reste en effet voilée de mystère. Pourquoi n’a-t-elle pas été publiée à l’époque ? On peut s’interroger sur les motivations de son auteur. En effet, non seulement le dessin relève de l’amateurisme, mais il faut signaler également l’omniprésence de la couleur dans les illustrations. Or, dans les années qui ont précédé et suivi, aucune des bibles illustrées publiées ne comportait, en dehors de la couverture de titre, d’images en couleur. Pour des raisons évidentes de coût. Il faut sans doute voir dans ce travail l’œuvre d’un autodidacte éclairé visant à amuser ses proches.
/http%3A%2F%2Fi9.tinypic.com%2F5y8laax.jpg)
Mais quel que fussent les motivations de Gabby et son identité véritable, cette bible rappelle combien la fin du XIXe siècle a été marquée par l’esprit satirique et l’anticléricalisme. La poussée républicaine de la fin des années 1870 entraîne une remise en cause profonde du rapport de la société à l’Eglise et à son dogme. L’image, libérée par la loi de 1881 sur la presse ne craint plus de caricaturer Dieu, acte sacrilège impossible dans les décennies précédentes.
Cette publication munie d’un appareil critique particulièrement riche amusera et intéressera tous ceux qui cherchent à comprendre par quels mille et un moyens le corps social s’est ingénié à séculariser ce que la religion chrétienne compte de plus sacré à savoir la Bible.
Le pari de cette publication n’était pas aisé à relever, pour plusieurs raisons. D’abord, le dessinateur de cette bible, « Gabby », est un parfait inconnu. Le nom apparaît plutôt comme un pseudonyme, voire un diminutif de Gabriel (L’ange Gabriel ?). En outre, en parcourant cette bible parodique, il faut se faire à l’évidence : ce dessinateur, même s’il livre un ouvrage complet, n’a pas les qualités d’un dessinateur professionnel. Il ne maîtrise pas la perspective, ne donne quasiment jamais d’indications de décors, dessine de manière malhabile, recourt souvent à la copie en décalquant des vignettes ou des illustrations de l’époque. Son style varie d’un dessin à l’autre, et l’artiste utilise assez peu le jeu des déformations, des expressions faciales ou des postures pourtant propres à exciter le rire.
Cette bible irrévérencieuse n’est pour la fin du XIXe siècle pas une nouveauté. En effet, comme nous le signalions dans l’ouvrage Et Dieu créa le rire (1), les années 1880 voient la publication de plusieurs bibles antireligieuses, largement illustrées par des artistes très actifs à l’époque comme Alfred Le Petit, Lavrate, Pépin ou Frison par exemple.
/http%3A%2F%2Fi12.tinypic.com%2F62isbvm.jpg)
Contrairement à ses prédécesseurs, Gabby ne situe pas les personnages de sa bible dans un contexte antique, auquel seraient associés des éléments anachroniques dans un esprit comique. Il campe visuellement son histoire dans les temps médiévaux et à la fin du XIXe siècle, que l’on retrouve tant dans la calligraphie, dans le jeu des lettrines que dans les tenues vestimentaires de nombre de ses héros pourtant ancestraux. La majeure partie des dessins, du reste, hormis les légendes, semble totalement déconnectée de l’histoire biblique, mais plutôt tirée de la presse illustrée (souvent déshabillée) de la fin du XIXe siècle, sans que l’auteur ait cherché à travestir ces images d’emprunt.
Gabby ne recourt pas non plus aux stéréotypes employés par les dessinateurs satiriques qui ont cherché à transporter leurs lecteurs dans l’univers du divin. Alors que Dieu est généralement figuré sous l’apparence d’un vieillard portant une longue barbe blanche, le plus souvent assis sur un nuage, Gabby le représente (très rarement d’ailleurs) avec le poil noir et loin de tout environnement céleste.
Mais l’amateur ne manque pas d’imagination, et livre un texte amusant, traçant à grands traits quelques épisodes marquants de l’Ancien et du Nouveau Testament.
/http%3A%2F%2Fi17.tinypic.com%2F62ymmvt.jpg)
Jaqueline Lalouette présente le manuscrit dans une introduction très documentée d’une trentaine de page. Elle s’interroge sur la sensibilité politique de Gabby, ses emprunts à la littérature et l’imagerie de son époque. Elle décortique avec minutie les influences qu’aurait subit l’artiste en herbe, révélant un personnage nourrit de culture classique et imprégné du Montmartre de la Belle Epoque. Elle montre ses erreurs, ses oublis dans les deux Testaments.
L’auteure tente de manière convaincante de percer la mystérieuse identité de ce Gabby.
Cette Bible-Express reste en effet voilée de mystère. Pourquoi n’a-t-elle pas été publiée à l’époque ? On peut s’interroger sur les motivations de son auteur. En effet, non seulement le dessin relève de l’amateurisme, mais il faut signaler également l’omniprésence de la couleur dans les illustrations. Or, dans les années qui ont précédé et suivi, aucune des bibles illustrées publiées ne comportait, en dehors de la couverture de titre, d’images en couleur. Pour des raisons évidentes de coût. Il faut sans doute voir dans ce travail l’œuvre d’un autodidacte éclairé visant à amuser ses proches.
/http%3A%2F%2Fi9.tinypic.com%2F5y8laax.jpg)
Mais quel que fussent les motivations de Gabby et son identité véritable, cette bible rappelle combien la fin du XIXe siècle a été marquée par l’esprit satirique et l’anticléricalisme. La poussée républicaine de la fin des années 1870 entraîne une remise en cause profonde du rapport de la société à l’Eglise et à son dogme. L’image, libérée par la loi de 1881 sur la presse ne craint plus de caricaturer Dieu, acte sacrilège impossible dans les décennies précédentes.
Cette publication munie d’un appareil critique particulièrement riche amusera et intéressera tous ceux qui cherchent à comprendre par quels mille et un moyens le corps social s’est ingénié à séculariser ce que la religion chrétienne compte de plus sacré à savoir la Bible.
(1) Guillaume DOIZY et Jean-Bernard LALAUX , Et Dieu créa le rire, satires et caricatures de la Bible, Ed. Alternatives, 2006, 128 p.
Août 2007, Guillaume Doizy