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Dessin de Catherine, Charlie Hebdo du 26 novembre 2008
Dessin de Loup et Siné, Siné Hebdo du 26 novembre 2008

Dans un de ses éditos, Siné qualifiait haineusement Charlie Hebdo et ses collaborateurs de « sarkozystes ». Pour autant, dans le challenge graphique qui oppose les deux journaux, signalons un match nul : depuis la création de Siné Hebdo en septembre, les deux hebdomadaires n’ont pris pour cible dans leurs dessins de « une » qu’une seule fois chacun notre super président de la République : Siné Hebdo dans le cadre du fichier Edvige, Charlie Hebdo, cette semaine, à propos de la situation au PS.
Le lecteur pourra s’étonner qu’en 12 livraisons, nos dessinateurs se soient finalement si peu intéressés à l’homme qui pourtant, du fait de la crise financière et de par son rôle momentané à la tête de l’Europe, a multiplié les déclarations sur la « moralisation » du système financier mais également entériné des mesures mettant en jeu des centaines de milliards d’euros d’argent public. Mais nos satiristes, clairement « de gauche », ont préféré porter leurs flèches ailleurs, peut être las de l’omni présence de cet omni président.
Le sujet d’un dessin compte autant que les sujets dont il ne traite pas. En matière de caricature et d’image en général, l’absence ou l’évitement doivent être analysés (c’est également ce qu’implique l’effacement d’une certaine bague de Rachida Dati comme on le verra…). Il y a ce que l’on dit, les flèches que l’on tire, mais également celles qu’on choisit de laisser dans son carquois, pour parfois ne pas servir de porte voix à des hommes dont on rejette l’action. A la fin du XIXe siècle, le portrait-charge publié en « une » d’un journal satirique reflétait déjà la notoriété du personnage brocardé. Aujourd’hui, l’apparition d’une marionnette aux Guignols traduit le même processus. Ainsi les dessinateurs peuvent-ils attaquer tel ou tel de deux manières : en le présentant sous un jour défavorable ou au contraire en faisant passer son image à la trappe médiatique. Sarkozy a d’ailleurs lui-même modulé ses apparitions dans la presse, se faisant plus discret après l’épisode « bling-bling ». Multiplier les saillies à son égard peut équivaloir à lui accorder trop d’importance, que l’on peut vouloir atténuer en offrant d’autres sujets à ses lecteurs.
En tout état de cause, l’absence d’attaques contre Sarkozy de la part de Siné en « une » de son journal n’est pas sans étonner, l’hebdomadaire s’étant présenté dès ses débuts comme particulièrement « rebelle » et si l’on comprend bien comme anti-sarkozyste.
Contrairement à Luz qui, le 20 août se moquait des rodomontades de Sarkozy face à ce que le gouvernement ne voulait pas appeler la récession, Catherine n’attaque qu’indirectement le président de la République. Elle met en scène son bonheur face à un PS décapité suite au vote des militants qui n’a pas réussi à départager nettement les deux candidates au poste de premier secrétaire. La lutte des places au PS a en effet occupé les commentateurs toute la semaine, les soutiens de Royal et Aubry multipliant les attaques verbales, les mises en cause du camp adverse et les accusations de fraude. Dans le cas présent, Charlie Hebdo ne vise pas la politique du chef d’Etat, mais le plaisir exprimé par la droite face aux déchirements du PS. Contrairement aux charges des deux semaines précédentes qui flétrissaient Ségolène Royal (caricatures de Riss), cette fois, avec Catherine, le dessin ne choisit pas entre les deux adversaires. L’issue du combat intéresse assez peu la dessinatrice, puisque dans le cas présent, c’est la droite qui profite des divisions socialistes.
Catherine, en recourant à une métaphore saisonnière et culturelle, Noël, procédé déjà présent au XIXe siècle, fait coup double. Non seulement elle montre à quel point Martine Aubry et Ségolène Royal sortiront affaiblies de leur affrontement (décapités, elles sont présentées comme mortes…), mais elle insiste sur le « cadeau » que ces divisions représente pour la droite. Néanmoins, le personnage principal du dessin reste Nicolas Sarkozy. Vêtu d’un pyjama rayé, chaussé de charentaises, notre omni président arbore un sourire juvénile, non pas à la vue des cadeaux qu’il vient d’ouvrir, mais en regardant le lecteur. Comme dans Siné Hebdo, le personnage principal « happe » le regard de celui qui regarde l’image, artifice qui permet de l’engager sur un terrain plus émotionnel, de créer un lien direct entre lui et l’espace dessiné. Montrer un personnage de face favorise évidemment le dévoilement de ses expressions faciales, donc de ses sentiments.
La posture de Sarkozy, fesses en arrière et sourire béat, sa tenue vestimentaire et le petit ventre rebondi dont l’affuble la dessinatrice contrastent fortement avec l’image médiatique du président, toujours vêtu d’un costume sombre, arborant souvent une mine sévère ou parfois moqueuse quand il attaque un adversaire.
La caricature prend le contre-pied des images et des codes officiels. Dans le cas présent la caricature découvre l’intimité peu valorisante et triviale de notre président en chef. En règle générale, le dessin de presse humanise ses cibles, les prive de leurs attributs habituels, contrarie les fonctions sociales traditionnelles. Ici, notre homme d’Etat subit la régression infantile. L’ambiance « noël » est bien sûr renforcée par la multiplication des couleurs vives mais aussi par le ruban rose sur lequel figure le seul texte de l’image, un mot unique (le dessin se montre très économe en expressions verbales et pourrait tout aussi bien se passer de texte), « gâté ! », propre à renforcer l’infantilisation de Sarkozy.
Catherine, en mettant en scène les déboires du PS, nous invite malgré tout à nous moquer de Sarkozy, dénoncé pour son plaisir jubilatoire à bon compte face à des présents particulièrement macabres ! Le lecteur de gauche, désespéré de voir « son » parti à genou, gagne un petit réconfort en riant d’un président surpris dans l’expression d’un plaisir intime et ayant perdu de sa superbe. Mais l’humour ne transforme pas le réel. Jules Vallès concevait la caricature comme « l’arme des désarmés ». Voilà qui caractérise bien le dessin de Catherine. On se moque d’un adversaire au sommet de sa puissance à défaut de parvenir à le contester (Sarkozy remonte d’ailleurs depuis quelques temps dans les sondages). L'auteure, par son dessin, crée chez le lecteur une illusion momentanée de puissance, voilà une des fonctions du rire !
Notons tout de même l’analogie de couleur entre les trois visages, ceux de Aubry, Royal et Sarkozy : le blanc. Pour les deux premières il s’agit sans doute de la pâleur de la main. Pour le dernier, il pourrait s’agir d’une couleur prémonitoire : Sarkozy pourrait bien à son tour subir quelques revers politiques propres à remettre en scelle… la gauche.
Siné Hebdo, de son côté, s’inscrit une fois de plus sur un terrain bien différent. Nous insistions la semaine dernière sur l’ancienneté de la métaphore sexuelle et ses divers ressorts dans la caricature politique. Dans le cas présent, Siné et Loup jouent la provocation pour évoquer un problème important : le trucage des photographies de presse. Le Figaro, pour illustrer les relations tendues entre la Garde des sceaux et les magistrat, a en effet choisi le 19 novembre d’effacer sur une photo couleur la bague que Rachida Dati arborait, expliquant après coup que l’objet risquait de parasiter l’image, de donner à la Garde des sceaux un côté « bling-bling » sur lequel le journal ne voulait pas insister. On se souvient que Paris Match avait gommé quelques bourrelets de Sarkozy, photographié en short lors d’une séance de canoë-kayak pendant l’été 2007.
On le sait, le réel et sa représentation entretiennent des relations complexes. Magritte, dans son tableau intitulé « Ceci n’est pas une pipe », ne disait pas autre chose. Pour autant, la manipulation grandit lorsqu’on gomme une partie du document ou si l’on recompose une image par un stratagème fondé sur l’illusion.
Siné et Loup, dans un camaïeu d’aplats rose et surtout bleu, couleur associée au quotidien dirigé par Etienne Mougeotte, choisissent d’évoquer la question en montrant de manière ostentatoire ce qui a été dissimulé par le Figaro, mais bien évidemment, à un endroit et dans une situation auxquels on ne s’attend pas. Dans le cas présent, Siné et Loup ont affublé le personnage dont nous disions la semaine dernière qu’il pouvait devenir une marque de fabrique du journal, d’un sexe « bagué » de bonne taille (ici la taille de l’organe viril n’a pas de fonction symbolique mais vise à mettre en valeur un objet menu, donc surdimensionné). Les dessinateurs, il faut le souligner, recourent à des artifices tirés de l’imagerie religieuse pour distinguer l’objet du scandale : une auréole jaune associée à une série de traits rayonnants font ressortir la bague par un jeu de contraste de couleur et de forme et attirent le regard vers… ce que l’on cache généralement ! L’objet du délit, totalement banal et dérisoire mais fortement symbolique du point de vue de l’éthique de l’image dans le cadre de son effacement, prend soudain une toute autre valeur. La bague « à Dati » (familiarité qui s’oppose au caractère « sérieux » du Figaro) est devenue un… sex toy !
Siné Hebdo s’inscrit dans la tradition de l’humour grivois, un tantinet « bête et méchant » pour évoquer une question importante. Ce dessin graveleux mais finalement assez drôle rappelle bien des images publiées quelques décennies en arrière par Hara-Kiri, et également par Charlie Hebdo.
Mais l’époque a changé. Dévoiler la nudité dans les années soixante pouvait légitimement choquer une société engoncée dans un carcan idéologique, moral et culturel puissant, que Mai 68 a mis à mal. La provocation liée à la sexualité porte évidemment moins aujourd’hui qu’il y a quarante ans. Maintenant les présidents de la République divorcent, les Gardes des sceaux communiquent sur leur grossesse qui se déroule hors de tout mariage…
Pour une fois, Siné Hebdo mérite bien le qualificatif de « mal élevé » dont il affuble sa couverture sous forme d’un discret médaillon tandis que Catherine en "une" de Charlie Hebdo (soulignons ici que peu de femmes pratiquent le dessin de presse, alors chapeau !), tout en nuance, apporte du réconfort aux électeurs de gauche dépités.

Guillaume Doizy, 26 novembre 2008

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