Permis de croquer – Un tour du monde du dessin de presse, Paris bibliothèques / Seuil, 2008, 143 p., 20€.
Le lecteur assidu de la presse française, et des dessins satiriques qui y sont publiés feuillettera avec intérêt ce beau catalogue, édité à l’occasion d’une exposition organisée par la
Bibliothèque Forney de Paris (mais qui se déroule dans les locaux de la BHVP) et l’association Dessins pour la paix/ Cartooning for peace. En effet, le point de vue franco-français qui prédomine
le plus souvent dans nos journaux nous pousse à voir le monde de manière très partielle et bien sûr très partiale.
Décrypter des dessins de presse étrangers élargit nos horizons. Sur le langage employé par les dessinateurs, mais également sur les préoccupations qui s’expriment sous d’autres latitudes, même si
le recueil cherche plus les points communs que les spécificités régionales. Des points de vue très divers se confrontent autour de quelques thèmes phares : « affaires d’Etats » qui s’intéresse
aux tensions internationales ; « portraits des puissants », dessins sur les méfaits des grands de ce monde ; « le choc des cultures » où l’on s’intéresse au à l'autre considéré comme un étranger,
au racisme ; « SOS Terre » bien sûr, répondant au grand défi écologique mondial, et enfin « délit d’humour » qui dénonce la censure et les pressions que subissent les journalistes.
Un entretien réalisé avec Plantu éclaire le lecteur non seulement sur les objectifs de l’exposition et au-delà des activités de Dessins pour la paix/ Cartooning for peace, mais permet encore de
faire le point sur la situation du dessin de presse en France et dans le monde. Plantu s’explique sur son métier, sur la difficulté grandissante des dessinateurs à pouvoir s’exprimer librement
même en France, non pas du fait d’une quelconque censure administrative où juridique, mais à cause de la « chape de plomb » qu’impose le politiquement correct. Le dessinateur qui dénonce la «
druckerisation des esprits » ( !) relève combien les rédactions de la presse écrite ou télévisée se montrent frileuses et prudentes quand il s’agit de publier des images. De ce point de vue, la
photographie, souvent plus neutre, concurrence nettement le dessin de presse, sommé de s’affadir pour survivre.
Avec les logiciels de traitement d’image les styles tendent à s’uniformiser et Internet laisse imaginer d’autres manières de s’exprimer pour les dessinateurs chassés peu à peu de la presse papier
qui connaît depuis des années d’importantes difficultés.
Dessins pour la paix / Cartooning for peace a été fondée suite à l’affaire des caricatures de Mahomet, avec deux objectifs principaux : défendre la liberté de la presse, mais en même temps,
lutter pour une forme d’entente mondiale des dessinateurs et des peuples. Plantu qui défend là un certain humanisme, milite pour un moratoire sur le blasphème en général, pour ne pas prêter le
flanc aux extrémismes religieux. Blasphème au sens large, puisqu’il englobe sous ce terme les accès d’antisémitisme d’une certaine presse publiée dans les pays arabes. Ainsi explique-t-il, si
certains réclament que soit « respectée » l’image de Mahomet, ils doivent également ne pas franchir une certaine ligne rouge contre leurs adversaires, notamment contre leurs adversaires
juifs.
Finalement, Plantu en appelle à la responsabilité des dessinateurs qui savent combien, aujourd’hui, avec Internet et la mondialisation, leurs œuvres peuvent être détournées et manipulées. Il
s’agit alors d’être « plus malins » que les manipulateurs…
Mais une moquerie, voire une insulte à l’égard d’un dieu (dont au demeurant personne n’est assuré de l’existence), peut-elle se comparer à une saillie raciste ?
Saluons ce « tour du monde du dessin de presse », au demeurant passionnant, même si ce « tour du monde » se limite aux œuvres de dessinateurs de « seulement » dix-huit nationalités différentes.
Ce qui n’est déjà pas si mal !
G. Doizy, le 7 décembre 2008