Reiser à la une, Glénat, 191 p., 19 euros.
La polémique entre Cavanna et Caroline Fourest au sein de Charlie Hebdo, entre les tenants de l’esprit « bête et méchant » et ceux de la « démocratie politique », donne une actualité plus grande encore à l’édition de ce recueil composé des meilleurs dessins de Reiser parus en « une » de Charlie Hebdo, Hara-Kiri Hebdo et L’Hebdo Hara-Kiri. Entre les « anciens » et les « modernes », Reiser incarne bien sûr résolument le camp des « anciens », des dessinateurs les plus bêtes et les plus méchants, brocardant avec verdeur les pouvoirs constitués, tout autant que la société dans son ensemble, ses tabous, ses habitudes, ses croyances, ses peurs et même son langage.
A regarder ces dessins réédités par Glénat, on se surprend à éprouver une étrange admiration pour cet art provocateur où le rire ne joue pas obligatoirement sur le gag, qu’il soit graphique ou de situation, mais souvent sur l’absurde et le paradoxe, base de toute provocation. Reiser, dont le graphisme faussement sommaire et brouillon résulte d’une grande maîtrise du dessin, « tape » sur tout ce qui bouge, pousse de forts « coups de gueule », sans pour autant défendre obligatoirement une idéologie positive déterminée.
Le dessinateur satirique « tire dans le tas », brocardant aussi bien le stalinisme que la sécu, le budget de l’armée que le tourisme de masse (qu’il vomit), les dictatures fascistes que la place des femmes dans la société, la pilule que le fils de de Gaulle qu’il n’hésite déjà pas à attaquer ! Des sujets très variés comme on le voit, car Reiser ne limite pas sa critique acerbe à la stricte actualité politique.
Au travers de ses blagues graphiques souvent très triviales et paradoxales, dans lesquelles le sexe et les gros mots jouent comme des révélateurs frappants et anticonformistes, Reiser évoque les grandes questions qui taraudent la société en dénonçant toujours les hypocrisies, les contradictions et les poncifs les plus navrants.
Contrairement aux dessins des journaux satiriques actuels qui pratiquent la quadrichromie (et donc les nuances et le dégradé), l’art de Reiser devait se limiter au noir et à une couleur unique (en plus du blanc du papier). Art forcément simple, mais résolument efficace, que les techniques d’impression actuelles et leur capacité à traduire avec facilité matières et textures n’ont sûrement pas dépassé en terme de force d’expression. Les jeux de contrastes maximums entre des aplats de couleurs, le trait irrégulier et noir du dessin et le blanc de la page, associés à une vulgarité volontaire, forment les constituants plastiques d’une rhétorique agressive et sifflante dans laquelle le dessinateur (et le journal satirique qui l’accueille) n’hésite pas à insulter le lecteur ou quelque groupe social pour mieux révéler ses travers et secouer les consciences. Au résultat, une vision du monde marquée par une forme d’agitation nihiliste, une forme d’art de vivre propre à bousculer le bon sens conformiste par trop sclérosant. Un art de la provocation sans prétention, une mise en image très gestuelle du « jouir sans entrave » individualiste de 1968, jouir du non sens, de l’obscénité, du rire et des plaisirs grossiers derrière lesquels se cache une vive et sincère révolte contre les aspects les plus rebutants de la société d’alors. En nos temps de résignation et de triomphe des idées réactionnaires, cette colère, bien que peu constructive, réveillera bien des nostalgies.
GD, le 22 décembre 2008
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