Dessin de Charb, Charlie Hebdo du 8 juillet 2009
Dessin de Siné et Delépine, Siné Hebdo du 8 juillet 2009
Bien que traitant de deux sujets différents, cette semaine, nos deux hebdos satiriques présentent divers points communs dans leurs « unes » : la métaphore sexuelle autour de l’idée assez peu originale de pénétration annale, un certain esprit de provocation et enfin, la volonté de faire rire.
Siné Hebdo s’intéresse cette semaine, bien après son confrère rappelons-le, à l’affaire du prof de philo traîné en justice pour avoir crié « Sarkozy je te vois », en vue de protester contre un contrôle policier quelque peu musclé à la gare St Charles de Marseille. Charlie Hebdo, ému à l’époque des faits, avait tiré de ce surréaliste épisode de police/justice un dessin de « une » (un œil) décliné sur un tee-shirt toujours vendu par le journal et même payé les frais de justice de l’accusé. Siné Hebdo joue cette fois l’ironie provocatrice estimant que puisque l’expression « Sarkozy je te vois » a été relaxée, peut-être que « je t’encule » ne le serait pas. Remarquons tout de même que le dessinateur se garde bien d’écrire en « une » de son canard « Sarkozy je t’encule »…
Siné éclaire son dessin d’une astuce graphique qui consiste à donner une forme de fessier à la partie de la bulle qui vient s’insérer dans le doigt du personnage. Siné Hebdo joint sinon l’utile à l’agréable, du moins le dire et le faire, le geste à la parole. Il s’agit bien, en la matière, de se montrer démonstratif. N’oublions pas que le journal s’est lancé avec deux dessins de « une » principalement centrés autour de la personne de Siné, réalisant un, puis deux doigts d’honneur. L’insulte visuelle ou langagière trouve comme on le voit un bel écho chez le vieil homme…
Charlie Hebdo, par le crayon de Charb, donne également à voir une métaphore sexuelle. Il ne s’agit pas cette fois de provoquer le président de la République, mais plutôt d’évoquer la série noire des crashs d’avions, vécus comme un événement aussi récurrent que les amours de vacances, amours spécifiques d’une période où les corps redécouvrent l’allégresse, où les couples se séparent pour quelques semaines, etc.
Charb condense les deux éléments, l’avion en chute libre s’apprêtant à « pénétrer » l’arrière train d’une juillettiste en train de se faire dorer la pilule : une rencontre estivale et amoureuse bien incongrue au demeurant.
La pénétration en cause risquant, on l’imagine bien, de tout provoquer sauf du plaisir. Dans ce dessin très dynamique, le cockpit fait figure de phallus se dirigeant à grande vitesse vers une paire de fesse bien rebondie et nue. La « rencontre » estivale des deux personnages, un homme, le pilote, et une femme, nue sur sa serviette, bien que tragique, est rendue comique par l’expression des visages et par l’incongruité de la scène. Charb affuble toujours ses personnages de pifs patatoïdaux et proéminents. Les yeux du pilotes, exorbités, figurent la crainte liée au crash mais également l’étonnement produit par cette forme incongrue et attirante qui lui fait face, tandis que la vacancière ouvre un œil, manifestement dérangée dans sa séance de bronzage et interloquée par un bruit étrange provenant du ciel.
Notons le cadrage intéressant du dessin, un gros plan sur l’avion en piqué, dont les ailes et la queue disparaissent au-delà du cadre virtuel, car non matérialisé par un liseré quelconque, ce qui permet une interconnexion visuelle entre l’image composée d’aplats et le reste de la page, via la couleur de l’aéronef. Charb ne recourt pas aux trucs graphiques traditionnels de la BD pour traduire le mouvement de l’avion qui semble comme suspendu et immobile, ce qui réduit encore le côté tragique de la mise en scène pour mettre l’accent sur les visages des deux individus et non sur le crash lui-même.
Signalons que l'animation flash du site de Charlie Hebdo propose une mise en mouvement du dessin très différente de la "une" papier : on y voit l'avion entier effectuer quelques allers-retours sur un fond bleu avant de s'approcher, par le haut, de la vacancière ébahie. L'animation se termine sur la position du dessin, sans aller plus loin non plus...
Charlie et Siné Hebdo optent pour des points de vues comiques et assez peu dénonciateurs. Pour bien mesurer la différence en jeu, il n’est pas inintéressant de se référer au billet de Charb qui porte sur la discrimination dont a fait preuve la presse dans le traitement des deux récents crashs, celui du Rio Paris et celui des Comores. Charb, dans son texte, relève le voyeurisme des médias pour le premier accident ayant mis en jeu la vie de français de souche, tandis que la disparition plus récente ne présentait pas le même intérêt émotionnel et médiatique, les morts étant issus des « minorités visibles ».
Le dessin de Charb ne pose pas du tout le problème sous cet angle, ne dénonce pas le racisme qui sous-tend cette différence de traitement de deux événements quasi identiques.
De même, Siné et Delépine formulent une bonne blague visuelle, sans grande portée politique.
Il nous semblait pouvoir distinguer, pendant les premiers mois de vie de Siné Hebdo, une radicalité supplémentaire chez le jeune hebdo satirique. Depuis plusieurs semaines, nous modérons ce jugement. Les dessins de « une » de Siné ou Charlie Hebdo, nonobstant le savoir faire et le style de leurs auteurs, demeurent globalement interchangeables.
A une exception près : Siné affectionne les autoportraits, tandis que Charlie se montre résolument hostile au procédé. Les fans de l’octogénaire verront là la géniale marque de fabrique du jeune Siné Hebdo, ses détracteurs réprouveront dans cette propension à se mettre en scène une tare congénitale…
En tout état de cause, l’esprit satirique du temps cherche moins la radicalité que l’humour.
Guillaume Doizy, le 12 juillet 2009