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Dessin de Riss, Charlie Hebdo du 22 juillet 2009

Dessin de Siné, martin et Vuillemin, Siné Hebdo du 22 juillet 2009

 

Comme de juste, cette semaine, Charlie et Siné Hebdo recourent une fois de plus au procédé si courant de la condensation : l’ex hebdo de Val associe l’épidémie de grippe A et les amours de vacances, tandis que son confrère combine la tradition des festivals estivaux et une actualité sociale qui hérisse tant l’UMP, à savoir les menaces d’explosions proférées par certains salariés jetés à la rue.

Notons que les deux hebdomadaires s’intéressent donc à ce puissant marqueur culturel que représente la pause estivale et ce, pour la troisième fois en quelques semaines chez Charlie Hebdo !

La grippe A forme le sujet anxiogène de l’été. Gouvernements et organisations sanitaires se présentent comme au plus haut point mobilisés pour préparer la société à affronter la pandémie.

On peut imaginer sans grand risque de se tromper que la quiétude liée au délassement des congés risque d’être fortement perturbée avec les dernières nouvelles en provenance du front sanitaire, notamment en Angleterre. Riss dépeint la manière dont ces vacances pourraient virer au cauchemar. Tout comme les journalistes interrogent leurs invités sur la possibilité de voir à l’automne des rues constellées de citoyens masqués, le dessinateur imagine une situation fort incongrue où la drague en bord de mer se transforme en rencontre entre deux monstres ingambes. La panoplie du parfait baigneur protégé contre le virus métamorphose les playboys filiformes, musclés et bronzés et autres playmates relax et séduisantes en bibendums aux corps enflés, sans visage, mais à la face quelque peu… porcisée (un comble !), vu la forme des masques particulièrement grotesque.

Autre élément du comique, les deux estivants ont enfilés sur leurs combinaisons prophylactiques des tenues de bain, slip léopard pour le garçon, bikini rose à fleur pour son improbable partenaire. L’effet comique relève une fois encore du violent paradoxe produit par la scène totalement surréaliste, et dans l’exagération, la combinaison médicalisée étant pour l’instant réservée aux professionnels de santé et tout à fait inadéquats pour pratiquer le sport en chambre. Ici, la protection devient synonyme de paralysie, elle empêche que se réalise la rencontre amoureuse et physique des deux individus. On retrouve déjà cette idée de protection paralysante sous le pinceau de Gilbert-Martin dans un numéro du Don Quichotte de 1887.

 

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Dessin de GILBERT P, « Qu'il approche ! », Le Don Quichotte n° 686, 13/8/1887.

 

Notons que, comme souvent, le paradoxe visuel fonctionne par un effet de miroir déformant qui s’appuie sur notre intelligence de la scène. Le dessinateur oppose à l’image attendue mais non montrée (celle d’un couple jeune et séduisant en pleine parade amoureuse sur une plage de sable fin), une mise en scène totalement antinomique qui travestit l’événement de manière comique.

Le titre, indispensable, permet de situer la scène dans cette actualité médicale, mais surtout, il présente le dessin comme l’illustration d’un conseil amical, ironisant sans doute sur la surenchère pédagogique des médias, toujours soucieux de distiller des recommandations éclairées à leurs lecteurs éblouis.

Quant à la couleur dans ce dessin centré, elle permet de focaliser sur deux éléments : le titre d’abord, et les deux personnages ensuite, deux zones vivement colorées incluses dans un espace peu saturé, composé de blanc et de gris chauds, évoquant plutôt les plages du grand nord…

Siné Hebdo choisit également un mode joyeux pour évoquer une question grave, mais sans représenter d’êtres vivants, pratique plutôt rare dans la caricature. Le dessinateur et ses complices recourent au procédé de la « cartocaricature », hérité du XIXe siècle. Siné prend parti une fois de plus pour l’action directe formulée par des salariés luttant pour obtenir de meilleures indemnités de départ après licenciement. Après avoir fêté la séquestration des cadres d’entreprises en « une » de Siné Hebdo il y a quelques mois, le dessinateur s’intéresse cette fois à une nouvelle forme de menace formulée  par les salariés : celle qui consisterait à faire exploser leur usine à coup de bombonnes de gaz. Le dessinateur ne retient pas les images télévisuelles mettant en évidence les fameuses bouteilles. Il préfère imaginer leur explosion réalisée, comme une sorte de feu d’artifice musical, dont les détonations formeraient la base de mélodies… techno !

Il s’agit bien, pour la revue, de se solidariser avec ces travailleurs en colère, en choisissant de donner de ces bruits de bombes une interprétation réjouissante, le trait d’union entre les deux événements étant, pour une fois, formé par des sons relativement similaires.

Le dessin de presse autorise un passage à l’acte qui reste jusque-là limité à l’état de « simple » menace chez les salariés. Tout comme lorsque la caricature tue un adversaire de manière symbolique, le dessin peut permettre au lecteur de réaliser des objectifs difficiles à atteindre : pendre son patron ou un curé à une potence, faire exploser son usine, etc., permettant ainsi à tout un chacun de jouir au moins virtuellement d’une fiction revendiquée.

Du point de vue graphique, le dessinateur et ses acolytes s’autorisent une très classique représentation géographique de la France, dont la presse s’inquiète des spécificités en matière d’expression des revendications sociales. Le contour du pays, formé d’un gros trait noir, sépare deux espaces : le bleu de l’arrière plan, et la grisaille de l’hexagone, comme si la zone géographique constellée d’explosions se retrouvait entourée de vide interstellaire ou de quelqu’océan (en tous cas séparé du reste de l’Europe).

Pour figurer l’explosion les auteurs puisent dans le langage graphique de la BD, embryonnaire dans le dessin de presse du XIXe siècle, comme on le voit ci-après, avec une caricature de 1883 qui évoque des attentats à Londres.

 

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Dessin de LUQUE, Le Monde parisien, 24/3/1883.

 

Le dessinateur multiplie les nuages blancs (la fumée) entourés d’une zone rouge-jaune (la combustion) et constellés de traits concentriques tracés de manière gestuelle (l’éclatement) auxquels le dessinateur a associé divers particules blanchâtres censées former les débris. Tout comme dans la BD, l’image ne parvient pas à s’affranchir de l’onomatopée qui caractérise, dans notre langue, l’explosion d’une bombe ou d’un ballon, le « boum » devenant inséparable de sa traduction graphique. La couleur rouge, comme chez Charlie, sert de couleur d’appel, tant pour matérialiser la multiplicité des explosions, que pour introduire le dessin par le truchement d’un bandeau oblique sur la gauche.

L’association bruit de bombe/musique techno forme le seul ressort comique de l’image. Pour autant, le dessin, très simple, échappe à la monotonie grâce à la répétition d’un motif assez dynamique et complexe, évoquant des événements tragiques présentés ici comme réjouissants.

La « cartocaricature » a pris tout son essor dans le dessin de presse à la fin du XIXe siècle, à une époque où les tensions internationales liées aux colonies se multipliaient. Le dessin satirique, en reprenant le dessin de frontières connu, évoquera une nation, ce qui lui permettra de ne pas recourir à l’allégorie. En montrant des cartes plus complexes, parfois anthropomorphisées ou animalisées, le dessinateur choisira de mettre en scène les rapports complexes et conflictuels qui peuvent s’établir entre différents pays. Mais la carte géographie peut également devenir un objet, sur lequel un personnage surdimensionné marche pour exprimer sa domination, ou que l’on tient comme un vulgaire tissus, voire que l’on répare avec l’idée de modifier la forme des frontières, ou que l’on tire à soi comme un tapis, que l’on manipule ou encore que l’on dévore…

 

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Dessin de GILL André (1840-1885), « Guet-apens », L’Eclipse, 17/3/1872.

 

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« Le réveil de la question d'Orient », Le Petit Journal, 18/10/1908.

 

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Dessin de CHARLET A.R. (1906-?), « Un beau cadeau du Front populaire ! », L’Espoir français, 16/10/1936.

 

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Dessin de CHARLET A.R. (1906-?), L’Espoir français, 23/6/1939.


Ici symbole national, la carte géographique permet de matérialiser le pays réel dans lequel fourmillent des travailleurs isolés, pris de part et d’autre du pays, par une même et explosive colère… Pour rendre leur dessin intelligible, ses auteurs se voient contraints de recourir à un fort hiatus du point de vue des proportion, les explosions apparaissant finalement immenses par rapport à la taille de la carte.

Notons que ce sujet des menaces d’explosions inspire peu les dessinateurs, avec un seul dessin de Charb dans Charlie en forme de vengeance, puisque le travailleurs faisant exploser son usine justifie son geste auprès de son patron désespéré en expliquant qu’il réalise, à son tour, une « délocalisation », mais également un dessin de Sergio dans Siné Hebdo ironique qui inverse la situation en montrant un patron menaçant de tout faire « sauter » si on touche à son pognon, ses bombes étant formées par des… bouteilles de champagne (avec un cadrage en contre plongée désignant le bourgeois comme un dominant et un exploiteur).

 

Un visiteur du site Caricaturesetcaricature signale dans un commentaire (voir le match Charlie/Siné du 1er juillet 2009) une forte similitude entre le dessin de Riss de cette semaine et un autre, antérieur, de Carali publié dans Psikopat et sur le blog de dessins consacrés à la fièvre porcine (voir le dessin), mais aussi entre la « une » dessinée par Luz le 1er juillet et une charge contre Mickael Jackson par Maëster. L’auteur du commentaire y voit là de vulgaires copies et une preuve que les dessinateurs de Charlie s’essouffleraient. Les similitudes semblent évidentes. Néanmoins, les dessinateurs, pétris d’une culture commune, peuvent naturellement trouver des trucs graphiques ou des traits d’humour assez proches, comme c’était le cas la semaine dernière pour un dessin de Charb et un autre de Lasserpe sur le temps les vacances des « français » qui se réduit de plus en plus en temps et en distance. Sauf à imaginer que Charb espionnerait son confrère, ou vis versa, nul ne peut, dans le cas de ces deux dessins parus le même jour, évoquer l’idée d’un plagiat. Et pourtant, leur proximité ne fait aucun doute. Idem pour deux dessins de cette semaine, imaginés par Catherine et Pakman, présentant tous deux Carla Bruni, tournée vers la droite, une guitare à la main, ânonnant l’ineptie prononcée par Sarkozy sur l’Afrique et les africains qui ne seraient pas rentrés dans l’Histoire. Les deux charges donnent le nom des auteurs des paroles et de la musique, dans une symétrie quasi parfaite !

Il n’est pas aisé de mesurer le degré d’originalité d’un dessin de presse, tant la production d’images satiriques à l’échelle de la planète est devenue exponentielle et tant le langage caricatural s’appuie sur des traditions, sur une rhétorique déjà fixée et commune, renvoyant souvent à des stéréotypes et même à des images connues.

Il faudrait peut-être suggérer à Charlie et Siné Hebdo d’effectuer une conférence de rédaction commune avant parution, pour éviter de diffuser des dessins trop proches ! Une solution peut être explosive, mais les dessinateurs prendront, on s’en doute, leurs « précautions » !

 

Guillaume Doizy, le 24 juillet 2009

 

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