Match Charlie / Siné Hebdo du 29 juillet 2009

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Dessin de Luz, Charlie Hebdo du 29 juillet 2009

Dessin de Siné et Martin, Siné Hebdo du 29 juillet 2009

 

D’après un article publié dans le supplément de Courrier International du 1er août intitulé « Mourir de rire » et dirigé par Odile Conseil, les humoristes américains se désespèrent de Barak Obama, très capable d’autodérision et peu coutumier des gaffes qui font la matière même des comiques. En France, avec Sarkozy, beaucoup déplorent le contraire. Depuis l’élection de notre supermédiatique président, le dessin de presse n’a cessé (quasiment toujours, sauf exception), de s’en prendre au locataire de l’Elysée. Charlie Hebdo y avait consacré un tiers de ses « unes » en 2008 et s’achemine vers une même récurrence en 2009.

Le chef de l’Etat représente de loin l’individu qui intéresse le plus les médias français, pour une raison principale : les excès de sa personnalité qui semblent en contradiction avec la gravité et le sérieux liés à sa fonction.

Cette semaine, nos deux hebdos s’amusent une fois encore de celui qui aura, depuis des mois, cherché à policer son image, regrettant même à l’occasion certains « écarts » de langage. Siné Hebdo choisit le mode allusif mais très ironique, quand Charlie vise le président de front, avec un dessin de Luz qui s’inscrit, comme souvent, dans la tradition dixneuviémiste du portrait-charge. Tous deux s’amusent du malaise de notre superman élyséen.

Le dessin de Luz ferait sans doute rire même un agélaste. Le dessinateur associe en effet au jeu de mots, les puissants effets de la caricature graphique. Retournant le célèbre slogan de campagne de Sarkozy contre lui même, le fameux « travailler plus pour gagner plus », Luz joue sur la polysémie du verbe « claquer », synonyme de dépenser (équivalent du « gagner plus »), mais également de mourir, conséquence souhaitée de son malaise vagal. Le terme « claquer », plutôt trivial, relève du registre populaire, qu’emprunte parfois le président, voire également sa femme dans certaines interviews. Comme de juste, Luz représente Nicolas Sarkozy effectuant son jogging, en tenue sportive, dans un jardin public. Le caricaturiste maîtrise parfaitement son personnage dont il explore les expressions et autres facéties dans sa bande dessinée satirique hebdomadaire intitulée d’abord « Les Sarkozy gèrent la France » puis « Robokozy ».

Dans le cas présent, il s’agit d’exprimer le malaise physique de manière grotesque et comique. Le dessinateur opte pour plusieurs effets : la posture du corps d’abord, formant une courbe improbable, le torse bombé vers l’avant, la tête et les pieds tirés, au contraire, vers l’arrière. Sarkozy ressemble à un pantin désarticulé, miné par une différence de proportion entre ses deux bras, par une position du pied droit irréaliste et surtout, par un visage totalement déformé. Depuis longtemps Luz attribue à sa victime présidentielle une bouche étirée, à demi ouverte (avec des dents très larges, trop pour un être humain) et de laquelle sort une langue de bonne taille, bouche qui forme presque l’élément expressif principal du visage. Cet élément horizontal, étiré comme dans certains masques africains notamment, contrarie la verticalité de la face et en forme une excroissance quasi bestiale. Pour l’occasion, les yeux jouent ici un rôle de premier plan dans l’expression du malaise présidentiel. L’œil gauche surdimensionné et quasiment sans pupille répond à un organe droit quasiment fermé et tourné vers le haut. La dissymétrie oculaire, la blancheur des cornées, la pupille composée de quelques traits rayonnants, forment la déstructuration principale du visage, traduction d’un dérèglement intérieur puissant.

Luz recourt également à divers petits artifices graphiques : une étoile rouge reliée au cœur par une ligne brisée irrégulière, expression d’un battement de cœur ultime, quelques traits qui visent à traduire le mouvement du personnage ou sa vitesse et enfin une ombre portée non reliée aux pieds du personnages, ce qui permet de positionner Sarkozy au dessus du sol, en plein effort, au moment exact où son organisme « claque » de manière définitive.

Comme nous l’avons dit, il ne s’agit pas de figurer la mort de manière dramatique, mais l’individu en train de casser sa pipe, selon un mode comique. Exit donc les visage blafards ou verdâtres, les yeux clos, la rigidité cadavérique, d’autant qu’ici, le président de la République, réputé super actif, doit son malaise à un effort trop intense (ou une surdose de dopage, le dessinateur ne fait pas le lien avec le Tour de France…).

Notons que le « potrait-charge », grosse tête sur un petit corps, accentue l’effet comique par un jeu de paradoxe : il permet d’infantiliser légèrement le malade, infantile dans son corps, adulte dans son expression faciale ultime.

Dans cette image, le décor importe peu. Notons que Luz a choisi de focaliser sa charge contre le seul président, excluant de sa mise en scène les gardes du corps traditionnels, voire les badauds, présents le dimanche matin lors du footing présidentiel. Dans un arrière plan formé d’un camaïeu d’ocres, le dessinateur ajoute un arbre isolé pour combler un vide. Le regard alterne cette fois entre deux éléments : le titre et le visage ravagé du sportif.

Siné, de son côté, s’intéresse également à ce qui a formé l’événement médiatique de la fin de week-end, mais de manière très indirecte et paradoxale, associant deux événements sans rapport. Par les vœux de rétablissement formulés dans le titre, le lecteur bien informé pensera bien évidemment à notre Sarkozy national et s’amusera de la contradiction qu’il y aurait à imaginer Siné l’anarchisant formulant de tels vœux à l’égard de ce défenseur des classes possédantes. Néanmoins, comme le lecteur s’en rend compte rapidement, ce souhait ne vise nullement la santé du président, mais celle de la Corse, une des victime récurrente de la haine du dessinateur Siné. Comme souvent, ce dessin de « une » ne comporte aucune astuce graphique. Le comique naît du glissement entre les deux événements, et surtout de l’arrogance qui consiste à ne pas exprimer ses vœux de rétablissement à Sarkozy (ce qui signifie qu’on se réjouit de ses défaillances physiologiques) mais à quelqu’un d’autre et à l’absurdité qu’il y a à formuler ces souhaits à la Corse tout en se réjouissant de ses malheurs. C’est de cette manière très ironique qu’il faut sans doute interpréter ce dessin, vue la mine réjouie du personnage face à ces grandes flammes. Siné éprouve sans doute encore une forte rancœur à l’égard de cette île, où des nationalistes ont fait sauter sa villa.

Remarquons une fois encore le caractère très autocentré de la « une » de Siné Hebdo, impertinente à l’égard de Sarkozy (grand absent du dessin), mais assez bête à l’égard de la Corse… et difficilement compréhensible pour qui ne suit pas les mésaventures insulaires de Siné.

 

Guillaume Doizy, le 1 août 2009

 

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