Dessin de Charb, Charlie Hebdo du 2 septembre 2009
Dessin de Siné, Siné Hebdo du 2 septembre 2009
Cette semaine, le « scandale » des plagiats Charlie/Siné Hebdo rebondit avec deux nouveaux rapprochements : le premier que vous trouverez sur le blog de François Forcadell et le second, dans la chronique de Siné de cette semaine. Siné et Forcadel, qui défendent la thèse des plagiats à reprocher à des dessinateurs de Charlie, et notamment Charb, ne poussent pas le jeu jusqu’à reproduire un dessin du même Charb paru il y a plusieurs mois, le 1er octobre 2008, montrant Sarkozy en dompteur face à un lion représentant le capitalisme et qui aurait très bien pu inspirer… Siné lui-même pour sa « une » du 12 août 2009 (voir sur le site Charlie Enchaîné). Nous avions déjà signalé la présence de dessins très proches mais paraissant simultanément, ce qui permettait d’évacuer en partie toute idée de plagiat.
Ce petit jeu stérile qui ne se contente pas d’évoquer des rapprochements fortuits ne grandit sans doute pas ceux qui s’y adonnent. Reste un fait. Depuis plusieurs semaines, des dessins assez semblables paraissent en général d’abord dans SH, puis la semaine suivante dans CH. Deux conclusions s’imposent : 1/ la rédaction de Charlie ne sélectionne pas ses dessins à l’aune du Siné Hebdo de la semaine précédente. 2/ les dessinateurs de Charlie semblent un peu moins réactifs que ceux de SH sur certains sujets. Quant à Siné, il nous semblerait insultant de lui faire grief de ne pas consulter systématiquement sa collection complète des dessins de Charb avant de s’atteler à la « une » du numéro à venir…
Il n’est pas rare, et Siné ou François Forcadell le savent bien, que deux dessinateurs d’un même journal (et même trois !) proposent quasiment la même idée la même semaine, ce que le lecteur ne perçoit pas puisque la rédaction n’en publie alors qu’un seul.
Evidemment, vu le différent qui oppose les deux hebdos, on se demande pourquoi Charlie prête ainsi à ce point le flanc aux accusations de son adversaire. Charlie, réveille toi !
Peut-être s’agit-il de donner aux esprits malins le plaisir de voir naître une nouvelle rubrique sur les blogs, le « plagiat de la semaine ».
Réjouissons-nous d’une telle initiative, en espérant surtout que les auteurs des rapprochements en question analysent les points communs mais également les différences entre les deux œuvres. Dans le cas du « plagiat » Berth/Charb rapporté par Siné, Berth associe aux Iphones qui explosent l’idée qu’ils puissent se transformer en bombe pour kamikaze. Il s’appuie sur une analogie de forme et évidemment sur les problèmes posés par l’écran de certains de ces téléphones, problèmes reconnus assez tardivement par Apple. Mais à cette idée-là, Charb, probablement avec un peu plus d’humour selon nous, imagine le croyant priant son dieu de le « rappeler » en espérant ainsi que le coup de fil d’Allah puisse l’aider à se faire exploser et sans doute par la même à gagner le paradis… Le dessin de Charb prend en compte le fait que les écrans de ces mobiles ultramodernes ont explosé alors qu’ils étaient en fonctionnement, idée que le même Charb réutilise pour la « une » de cette semaine, mais cette fois à propos du « choc » Bayrou/Aubry. Berth a produit son dessin avant Charb, mais il se peut que Charb rle etardataire se soit montré plus subtil...
Quant aux deux dessins mis côte à côte par François Forcadell et dans lesquels Sarkozy passe pour le virus de la grippe A, associons-leur un troisième, paru à la Belle Epoque et qui, bien que ne visant pas notre président de la République, dit exactement la même chose… Ce dessin anticlérical, paru à La Calotte, montre le grossissement un million de fois d’une goutte d’eau bénite, pour y découvrir des microbes en tous genre, microbes ensoutanés ou mitrés, on l’imagine sans peine.
Dessin de LANGE GABRIEL, « Science théologique », La Calotte (Paris) n° 20, 25/1/1907.
Nous aurons sans doute à revenir dans les semaines qui viennent sur ces histoires de plagiats. Si Charlie et Siné décidaient de se répondre par leur « unes » respectives (comme le Pssssstttt ! et le Sifflet en leur temps), on passerait des éventuels plagiats à la parodie ou la citation, ce qui pourrait intéresser l’analyse que nous réalisons ici même.
On doit les deux « unes » de la semaine aux deux directeurs de CH et de SH. Charb Hebdo contre Siné Hebdo finalement ? D’un côté, Charb qui « rattrape » Cabu dans le top des dessinateurs les plus présents en couverture, et de l’autre, Siné, seul aux commandes, véritable image de marque indissociable de son journal.
Charb s’intéresse aux difficiles relations PS-Modem, quand Siné choisit d’évoquer le terrain social.
Tous deux s’appuient sur le procédé qui consiste à combiner deux actualités. Pour Charb, la question des déficiences d’Iphones et le jeu de « je t’aime moi non plus » entre Aubry et Bayrou. Pour Siné, l’éventuelle rentrée sociale « chaude » et le retour de la jeunesse sur les bancs de l’école.
On se rappelle les « unes » de Siné mettant en scène de joyeuses manifestations, ou ce dessin estival évoquant les menaces d’explosion d’usines, ou encore ces prises de positions radicales et anticolonialistes lors de la grève générale de Guadeloupe.
Siné ne cache pas son radicalisme et une fois de plus se sert de la « une » de son hebdo de manière militante. Non pas pour stigmatiser telle ou telle déclaration de tel homme politique, telle ou telle mesure antisociale du gouvernement, mais en fait pour en appeler à la reprise des luttes collectives, à un moment où la « lutte de classe » ne fait plus recette non seulement dans les habitudes linguistiques, mais également dans la rue.
La « une » se compose d’un titre-jeu de mot et d’une illustration qui se lisent successivement, le regard passant du haut vers le bas, puis du personnage de droite à celui de gauche. Siné choisit de mettre en scène les rapports sociaux au travers de rapports individuels d’élèves adolescents que l’on imagine devant le lycée « s’expliquant » vertement. Le dessinateur oppose deux stéréotypes : celui du jeune des banlieues, brun, casquette à l’envers et pull à cagoule et le lycéen des quartiers chics, blondinet à cheveux longs et costume cravate. Le premier saisit le second au col et lui assène un coup de poing sur le nez.
Les bras en avant de l’un répondent aux bras en arrière de l’autre ; les cheveux courts et verticaux de l’un contredisent la crinière horizontale de l’autre ; la mine réjouie de la « racaille » répond à l’expression déconfite du lycéen de Neuilly ; la verticalité de l’agresseur s’oppose à l’obliquité déstabilisante de la victime.
Siné transforme une bagarre de lycéen en altercation sociale. Les deux personnages fonctionnent ainsi sur deux plans : le plan du réel, deux lycéens qui s’affrontent, et le plan de l’allégorie, le personnage de droite représentant, sous une forme humaine donc, les exploités, tandis que le blondinet symbolise bien sûr la classe des possédants (il y a peut-être également là un clin d’œil au fils de Sarkozy, Jean, dont la mise en cause par Siné dans sa chronique à Charlie Hebdo avait provoqué l’ire de Philippe Val, avec la suite que l’on connaît).
Comme on le sait, l’imaginaire occidental n’a pas produit que des allégories féminines (bien que majoritaires). Le suffrage universel ou la classe ouvrière par exemple, ont souvent été représentés par des hommes vigoureux, notamment dans le dessin de presse. Le temps prend l’apparence d’un vieil homme. Notons que Siné ne reste pas campé sur des archétypes anciens. Au fils d’ouvrier qu’un dessinateur aurait représenté en bleu de travail après 1968, Siné substitue l’image du jeune des banlieues à casquette de base-ball. La « lutte des classes », dont Siné espère le regain, ne s’articule plus autour des deux pôles classe ouvrière/bourgeoisie, mais plutôt jeunes pauvres/ jeunes riches. Siné subit sans doute l’influence de certains milieux qui auront décelé dans les embrasements des banlieues ces dernières années un signe de révolte sociale.
Notons tout de même une grande retenue dans la mise en scène du conflit : le coup de poing parait tout à fait inoffensif (et même assez improbable du point de vue de la perspective), malgré les quelques graphismes blancs censés figurer le choc et la douleur.
Le caricaturiste cherche rarement le réalisme. Il s’appuie sur la capacité du lecteur à reconstituer la scène, à imaginer le réel là où on ne fait que le suggérer. Ici, il s’agit d’ailleurs plus de faire rire grâce au jeu de mot et un dessin quelque peu débonnaire, que de susciter la haine de l’encravaté en réjouissant le lecteur de sa déconfiture.
Charb procède d’une même retenue, retenue qui résulte de choix fondamentaux du point de vue de l’image. Quel moment précis le caricaturiste choisit-il de mettre en scène ? Avec quels moyens graphiques ? Pour quels effets sur le lecteur, c'est-à-dire au fond, dans quel but ?
Le directeur de Charlie Hebdo illustre, par sa charge, la tension qui s’est construite ces derniers temps entre la n°1 du PS et le chef du Modem. Faces aux alliances multiformes de la droite qui se monolithise en vue des régionales, la gauche, très divisée cherche des stratégies. Le Modem, dont les résultats ont été décevants aux dernières élections européennes s’interroge également sur de nécessaires alliances avec le PS, après s’être montré de manière ostentatoire à l’Université d’été des Verts. Alliances déjà mises en œuvre dans certaines municipalités, mais plus compliquées à réaliser à l’échelle nationale. Chacun souhaite que l’autre se rallie à lui, fasse profil bas, histoire de pouvoir dire à ses troupes : « non, nous n’avons pas perdu notre âme ».
A La Rochelle, la question des primaires à gauche à agité le Parti Socialiste, mais également celle d’une éventuelle alliance avec le Modem, sur laquelle Martine Aubry s’est prononcée avec une certaine réserve. L’antisarkozysme ne forme pas un programme a-t-elle expliqué dans son discours de clôture et finalement elle demande à Bayrou de faire allégeance ouvertement.
Bayrou espérait peut-être un accueil plus chaleureux… de la part de la première secrétaire du PS « accusée » d’avoir voté pour lui plutôt que pour Ségolène Royal au premier tour de la dernière présidentielle…
Charb utilise donc le problème posé par les quelques accidents entraînés par des écrans d’Iphones défectueux pour illustrer la conflictuosité des rapports Modem-PS, mettant en image une expression quelque peu triviale, « ça lui a pété à la gueule ».
Le dessin se lit en quatre étape, avec un cheminement circulaire : le titre en lettres manuscrites, puis le personnage sans tête avec son téléphone, en troisième lieu le bonhomme atterré en arrière plan, et enfin la bulle qui donne tout son sens au dessin. La désintégration du téléphone et ses lourdes conséquences sur le président du Modem ne sont pas fortuites, mais causées par… Martine Aubry elle-même. Le lecteur du journal perçoit à ce moment, mais à ce moment seulement, le lien avec l’Université d’été du PS et la question des alliances, que ni le titre ni le personnage principal ne signalent. Contrairement au dessin de Siné « donné » de manière intégrale et immédiate, celui de Charb se lit en deux temps.
Quelques remarques à propos de la couleur : les mains et les oreilles de Bayrou, colorées en blanc, tournent le dos aux carnations traditionnelles pour probablement évoquer la mort récente du personnage. D’autre part, le système de couleur des deux bonshommes diffère notablement, l’homme en arrière plan apparaissant non seulement comme monochrome, mais également comme sans jeu de contrastes, ce qui permet de les inscrire dans deux réalités différentes et donc de les lire comme deux étapes successives. Enfin, la couleur orange du fond renvoie bien évidemment à l’identité visuelle du Modem et permet un jeu de complémentaires bleu-orange bien connu des étudiants des créateurs d’images.
Charb, comme d’ailleurs Faizant en son temps ou Plantu au Monde et à l’Express, recourent souvent à un personnage tiers, un homme indifférencié ou Marianne, comme contrepoint du sujet principal de la scène. Par son attitude ou la bulle qui lui est associé, cette sorte de clown blanc permet de mettre en valeur le protagoniste central du dessin et surtout de donner la clés de l’image, mais dans un second temps de la lecture, sorte de blague dans la blague qui donne au lecteur un degré de compréhension supplémentaire.
Le dessin pose plusieurs difficultés : d’abord, comment rendre ressemblant un homme politique dont on fait disparaître la tête ? Par le titre du dessin dans un premier temps, qui mentionne le nom de Bayrou. Et puis, tout simplement, grâce à un attribut physique pertinent : ici, bien sûr, une belle paire d’oreilles décollées sur lesquelles les caricaturistes insistent particulièrement à propos de Bayrou.
De tels caractères corporels fourmillent dans la caricature qui joue de la ressemblance physique dans l’exagération de la physionomie.
Seconde difficulté : le choix du moment précis dans l’événement mis en scène. Le dessinateur aurait pu dessiner un Bayrou non décapité, avec son téléphone. Le titre aurait alors suggéré un coup de téléphone à venir d’Aubry, et le lecteur aurait dû, en se remémorant le problème des Iphones, imaginer la suite macabre.
Charb n’a pas choisi non plus de représenter l’explosion en cours, en multipliant les éclats, les projections, les éléments du visages qui, décomposés, subiraient une onde de choc puissante. On aurait pu également imaginer un Bayrou à terre, totalement décomposé, Iphone à quelques mètres de lui, et Aubry à quelques mètres, tournant le dos à la scène se demandant pourquoi la communication vient de couper.
Non, l’auteur de Maurice et Patapon s’intéresse à un autre moment de l’incident, quelques secondes après la déflagration, tandis que le personnage, encore debout, demeure dans sa position initiale et que ses oreilles tiennent encore, comme suspendues dans l’espace, alors que quelques graphismes noirs évoquent la présence d’une forte chaleur à la place de la tête.
Pour autant, Charb se garde bien de montrer, en dehors des deux oreilles légèrement altérées, quelque élément de la tête que ce soit. Eléments dont l’absence ne gène en rien la compréhension du dessin, mais qui témoigne d’une certaine pudeur graphique.
Gageons que Willem aurait, tout au contraire, multiplié les coulures d’hémoglobines, les tâches, les projections de viscères, suggéré de manière un peu plus réaliste le système artériel, peint le personnage et l’entourage aux couleurs de la matière grise pulvérisée.
Comme on l’a vu, Siné recourt également à une mise en scène du coup de poing mesurée. Certes, le contact semble établi entre le poing du jeune énervé et l’appendice nasal de son adversaire surpris. Mais nulle coloration sanguinolente, nulle déformation du nez, nulle émission salivaire, point de larme et d’œil au beurre noir.
Il n’est pas inintéressant, à ce propos, de se replonger dans la presse illustrée à sensation des débuts du XXe siècle, pour imaginer la difficulté du dessinateur, face à la mise en image de tels événements paroxysmiques. Le Supplément du Petit journal illustré par exemple, mais aussi le Pèlerin ou encore l’Œil de la police multiplient les scènes d’attentats (anarchistes), d’explosion (de munitions), d’incendies, d’accidents automobiles ou ferroviaires. Nulle trace d’hémoglobine, nulle évocation de la physiologie interne des individus, le plus souvent représentés sur le lieu du drame, dans des postures signifiantes et morbides, mais dans leur plus parfaite intégrité bien que victimes de terribles accidents, comme on le voit ci-dessous !
Dessin de DAMBLANS, Le Pèlerin, 16/7/1905.
De ce point de vue, ni Charb ni Siné ne s’inscrivent dans une tradition qui surexploite les sécrétions, déjections et autres productions de nos physiologies. L’imaginaire humain ne rend pas nécessaire, sauf à vouloir provoquer bien sûr, de multiplier ces détails qui par ailleurs, risqueraient de produire un effet dramatique contradictoire avec le caractère comique de ces images.
Ces dessins non réalistes, demeurent des mises en scènes symboliques qui, toujours ou presque, recourent à l’art de la métaphore visuelle. Ils ne visent pas à témoigner d’un événement réel mais, en quelques traits propres à la satire, à produire un message complexe au travers d’éléments simples mais tirés du réel.
Guillaume Doizy, le 4 septembre 2009