Polémique de spécialistes : Empire ou République ?
Suite à l'analyse de Jean-Luc Jarnier d'une caricature contre Zola parue dans le journal antimaçonnique La Bastille, Laurent Bihl a apporté son point de vue sur la présence de Jean Lannes dans cette caricature anti Zola. Pour Laurent Bihl, impossible d'interpréter la présence du Maréchal Lannes dans cette image comme un signe d'antirépublicanisme du dessinateur Bruno et de son journal, Lannes ayant été un des plus républicains maréchaux de Napoléon Ier...
Jean-Luc Jarnier répond aux arguments de Laurent Bihl :
Les éléments biographiques et mémoriels apportés par Laurent Bihl sur Jean Lannes sont justes et apporteront d’utiles précisions au lecteur.
Mais, pour ma part, je n'ai jamais « habillé Lannes en défenseur de l'Empire. Si Lannes pouvait incarner « l'envers de la République » comme je l'ai écrit, c'est en raison de l'inculture du lectorat grand public qui ne connaissait pas sa persistance à se déclarer partisan de la République. Ce public ne pouvait que l'assimiler strictement au régime impérial. On ne peut bien sûr pas tenir rigueur de cette « inculture » au lecteur du journal. Notre accès à « l’information » est plus aisé aujourd’hui et puisque nous parlons de Lannes, le bicentenaire de sa mort a donné lieu à des commémorations, dont une ces 4 et 5 octobre à Lectoure où il est né.
Laurent Bihl me donne crédit pour avoir noté qu’il existait une « très grande rareté des sollicitations iconographiques » concernant Lannes, pour reprendre ses termes. En complément, je note que les écrits étaient également assez rares.
Pour l’image qui nous intéresse, j’ai écrit qu’« une des lectures possibles de l’image qui nous occupe peut conduire à penser qu’elle se veut promouvoir la Restauration monarchique ». Il est question de la réception possible par le public et de la seule réception. Ce n’est qu’une hypothèse. Il n’était pas là question des intentions du dessinateur.
Concernant Bruno, je n’ai pas écrit qu’il était royaliste. Je ne l’ai jamais pensé. Mes observations portent sur La Bastille jusqu’à l’été 1908 et les recueils satiriques tels « Les albums de L’Intransigeant », de 1901 à 1905, publiés par L’Intransigeant d’Henri Rochefort, « Autour du cabinet » et « Chéquards, pochards, mouchards ». J’y fais référence dans mes notes en fin de document. J’aurais effectivement fait une lourde erreur en écrivant qu’il fut royaliste en me basant sur ces observations. A propos de la Restauration monarchique, j’ai juste écrit, peut-être un peu brièvement et dans une formulation qui pouvait prêter à confusion, que « celle-ci ne fait toutefois pas partie des préoccupations premières de Copin-Albancelli, qui, assez proche des thèses de L’Action française en accepte seulement la possibilité, ni de Bruno, si on s’en tient à l’abondant corpus de dessin qu’il a produit antérieurement à juin 1908 ». Il me semble plutôt que la présence de Lannes s’explique par l’écho des échanges verbaux à la Chambre. On note dans l’image cette référence aux propos d’Anatole France à l’égard de Zola repris par Barrès. Et le petit fils de Lannes réagit comme nous l’avons tous deux indiqué. Voilà qui concourt à former l’actualité et donne à l’image son assise circonstancielle. C’est cela qui conduit Bruno à proposer Lannes.
Doit-on penser que derrière chaque image d’un caricaturiste il y a automatiquement une intention qui, pour le cas présent, relèverait de la propagande bien construite avec utilisation pertinente d’un code graphique ? Si Bruno maîtrise parfaitement la grammaire de la caricature anti-zolienne, en revanche, il fait, de la figure de Lannes, une utilisation aux résultats plutôt incertains.
La production de cette image, vraiment à part dans son corpus, n’est pas liée à une tentative de « récupération mémorielle ».
Tout laisse à penser qu’il a manqué des clés à Bruno pour une utilisation pertinente de la figure de Lannes. Il est d’ailleurs assez particulier qu’un organe de presse antimaçonnique utilise l’image d’un homme qui fut réputé avoir été franc-maçon jusqu’à sa mort. Et c’est lui que choisit Bruno, comme porte-drapeau, pour venir stigmatiser cette « Gueuse » « juive » et franc-maçonne. N’y avait-il pas meilleur acteur pour tenir ce rôle ?
Jean-Luc Jarnier, le 4 octobre 2009