Ce livre de Jacqueline Lalouette, Michel Dixmier et Didier Pasamonik publié à l'occasion du centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat entreprend de dresser l'inventaire des relations entre l'Eglise (surtout catholique) et l'Etat dans les premières décennies de la Troisième République. Les auteurs s'intéressent avant tout à la traduction de ces rapports houleux (un peu plus qu’une « querelle » pour reprendre l’expression du sous-titre de cet ouvrage) par l'image satirique et principalement au travers des dessins publiés par la presse.

Cette époque voit en effet l’écrasement de la Commune se faire sous la bénédiction de l’Eglise, l’instauration de l’Ordre Moral et de sa censure, mais en corollaire, la montée en puissance du mouvement républicain porteur d’une politique peu favorable au clergé.

L’Eglise et l’Etat s’affrontent alors pour la conquête des âmes pour l’une, des électeurs pour l’autre.

L’image satirique, qui connaît alors son age d’or du fait de progrès en matière d’impression, fonctionne comme un étendard : chaque milieu s’en empare pour diffuser une image dépréciée de son adversaire. La caricature est instrumentalisée par la presse des deux camps. Côté républicain il faut compter avec Le Grelot et Le Don Quichotte ; les libres penseurs se retrouvent dans L’Anti-clérical et La République Anti-cléricale de Léo Taxil, puis dans L’Internationale, Les Corbeaux et La Calotte. On lit aussi la fameuse Assiette au Beurre et ses numéros hostiles à l’Eglise voire véritablement athées avec les dessins de Grandjouan. A l’étranger (mais également en France), l’Asino (Italie), le Simplicissimus (Allemagne), le Papitu (Espagne) ne sont pas en reste. Leur production rappelle que l’anticléricalisme a eu très tôt une dimension européenne, voire extra-européenne, partout là ou le catholicisme s’était imposé.

En face (en France), le camp clérical et antirépublicain n’est pas en reste avec Le Pilori, La Libre Parole illustrée puis plus tard La Bastille, mais aussi la presse tenue par les Assomptionnistes comme La Croix et Le Pèlerin fortement antisémites et antimaçonniques.

La caricature met en image l’invective polémique, alors très vive. Le discours politique, riche en métaphores, favorise l’éclosion d’une imagerie foisonnant de procédés dégradants. Déformations physiques, recours à des attributs avilissants, scatologie, animalisation (le porc obtient un véritable succès, mais aussi le corbeaux ! et les animaux nocturnes ou les insectes), chacun s’empare de l’image de l’autre pour en offrir une vision souillée, abîmée, réduisant l’adversaire à l’état d’étron, d’animal nuisible, d’hystérique asocial, etc.

Ce beau livre choisit de montrer l’imagerie des deux camps, même si une plus large part revient à la caricature anticléricale. Il s’organise en deux grandes parties : une analyse de la période dans laquelle s’inscrit la production caricaturale, puis un album qui regroupe la majorité des illustrations présentées. Ces dernières sont accompagnées de fortes et intéressantes légendes. Elles sont classées en grands thèmes : Métaphore et animalisation/ Séparation de l’Eglise et de l’Etat/ L’Eglise et les puissants/ L’emprise de la religion/Les mœurs ecclésiastiques/ Ecole laïque, école congréganiste : regards croisés/ Le Vatican/ Ailleurs, en Europe.

En fin d’ouvrage, un petit dictionnaire des revues satiriques et des dessinateurs anticléricaux permet au lecteur d’entrevoir les conditions matérielles qui ont prévalu à la production de ces images.

Le lecteur pourrait reprocher à cet ouvrage de qualité, - mais c’est là un parti pris respectable - , d’avoir « limité » l’étude de la caricature anticléricale au dessin de presse, en mettant de côté des supports plus « volatiles » mais non moins importants comme les cartes postales, les papillons gommés, les feuilles volantes, les tracts illustrés, voir les caricatures illustrant des ouvrages publiés alors, et qui forment la base de la propagande anticléricale par l’image de cette période. Mais la caricature anticléricale fut si foisonnante à la fin du XIXe siècle, qu’un livre seul ne pouvait suffire à faire le tour de la question. Un livre à déguster sans modération ! 

Guillaume Doizy

 

La République et l’Eglise. Images d’une querelle, Michel Dixmier, Jacqueline Laouette, Didier Pasamonik, Editions de La Martinière, 150 pages.

Tag(s) : #Comptes-rendus ouvrages
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