Arthur SZYK (1894-1951), Étude pour l'enterrement de la Turquie Dessin à l'encre sur papier.
"Arthur Szyk à Paris 1910-1912", par Tamara Poniatowska, Historienne de l’Art.
Nous connaissons Arthur Szyk, le caricaturiste de génie, lutteur infatigable contre le national-socialisme, miniaturiste émérite, l'homme qui a fait revivre l'art de l'enluminure au 20e siècle. Mais qui était Arthur Szyk au début des années 1910 ? Même si l'œuvre de Szyk a été le sujet de nombreuses expositions et publications, peu d'informations nous sont parvenues jusqu’alors. Les remarquables dessins présentés dans la vente de l'Etude Ader, ce 18 Novembre 2009 sont bien plus que la preuve de la grande maturité de Szyk à un très jeune âge. Ils présentent également une opportunité unique d'en apprendre plus sur une période charnière de la création d'Arthur Szyk, encore mal connue aujourd'hui.
Arthur SZYK (1894-1951), Trois hommes (trois artistes ?) devant le Panthéon Dessin à l'encre de Chine sur papier, signé "A. Szyk" en bas à gauche.
Une certitude: au début des années 1910, Szyk n'est pas un adolescent ordinaire. Le fait que Szyk, - encore mineur, débarque seul à Paris en est la première manifestation. Il n'y avait jamais eu d'artistes dans la famille Szyk: rien ne prédestinait Arthur à choisir cette voie. Les Szyk étaient des industriels du textile à Lodz, des juifs séculaires, cultivés. Ils appartenaient à l'intelligentsia de la ville.. Si Arthur a su prendre en main son destin en partant pour Paris très jeune, c'est grâce à sa détermination et à son talent, trop éclatant pour être ignoré. On dit de lui qu'il fut un enfant prodige: il avait réalisé un dessin sur la rébellion Boxer en Chine à l'âge de 6 ans et obtenu sa première exposition publique alors qu'il était encore à l'école (*1). Ce qui a décidé de la vie d'Arthur, c'est son amour de l'art, son sens aigu de l'observation, sa passion pour l'histoire et la politique - et son don de transcrire ces passions avec son crayon. Nous retrouvons ces qualités dans chacun des dessin de cette collection.
Les biographies de Szyk indiquent que l'artiste arrive à Paris spécialement pour étudier à L'Académie Julian, probablement conseillé par ses professeurs en Pologne. Cependant, Arthur semble être fort peu enthousiasmé par ses cours à l'Académie Julian. Il assista à une demi-douzaine de cours de matinée en janvier et février 1911, puis à une autre demi-douzaine d'ateliers en octobre et novembre - alors qu'il avait payé pour assister à trois mois de cours du 16 octobre au 16 janvier. Ceci constituera l'intégralité de ses études avec les Professeurs Baschet et Royer à L'Académie Julian.
L'une des très rares feuilles du début des années 1910 à avoir survécu (a figuré à l'exposition Szyk au Deutsches Historisches Museum de Berlin en 2008) montre une caricature d'une académie artistique ressemblant à un camp d'entrainement militaire. Les élèves, à côté de leurs toiles -toutes identiques,- sont en position de salut réglementaire devant des professeurs paradant sur des chevaux de bois (*3). Ce dessin, attribué par les commissaires de l'exposition à la période de Cracovie (vers 1913), pourrait bien également être une référence de Szyk à l'Académie Julian.
Arthur SZYK (1894-1951), Lutteur allemand Caricature. Dessin à l'encre sur papier.
Avec pour preuve la caricature: "L'enterrement de la Turquie", œuvre élégante et très aboutie, Szyk se sentait concerné, et s’intéressait aux événements internationaux. Cette oeuvre montre Abdul Hamid II portant le cercueil de la Turquie avec l'aide de Pierre 1er de Serbie, Nicolas 1er de Montenegro et -possiblement- du Sultan Mehmet V Resat. Composée avec le plus grand soin (deux études pour la version finale témoigne d'une approche très construite) il est très probable que cette œuvre était destinée à la publication. Tout en vivant à Paris, il travaillait pour la revue satirique "Smiech" de Lodz, et certainement pour d'autres magazines.
Il semble qu’ Arthur fut également un « homme à femmes ». L’affection « urétrite » qu'il mentionne sur une carte postale (dont l'illustration ne manque pas d'auto-dérision) suggère que ses nuits aient été parfois agitées (*4). Les scènes de danseuses et de cabarets paraissent accréditer l’idée que la vie nocturne l’attirait. Nos dessins montrent qu'Arthur était au cœur de l'activité de la ville, qu'il ressentait et qu'il absorbait ses couleurs, ses tendances, ses fascinations pour l'exotisme, son gout pour l'orientalisme et pour les ballets russes. A l’examen des dessins, c’est évident: Szyk était un esthète. Il apprécie les costumes des danse, les plumes des chapeaux, les textures des tissus. C'est une joie pour lui de les transcrire en dessin.
Même dans ses caricatures les plus mordantes de dandies, d'officiers ou de bourgeois, on note son plaisir à dépeindre les chemises bien amidonnées, les uniformes impeccables, les bottes brillantes et les chapeaux-claques soignés de ses sujets. Ces Messieurs ont souvent des mentons lourds qu'ils poussent vers l'avant, ou bien ils montrent leurs longues et brillantes dents. Les barbes semblent frémir. Ce sont des coups de génie qui préfigurent les dessins animés des décennies à venir. Ses cibles deviennent ainsi vivantes, animées par une énergie, un dynamisme irrésistiblement modernes et élégants. Les caricatures de Szyk sont précises, parfois exubérantes mais jamais mesquines.
Szyk, au début des années 1910 n'a rien d'un enfant, rien d'un dilettante: C'est déjà un artiste, élégant, accompli, mûr. C’est la raison pour laquelle les dessins de cette période se lisent comme on lirait le journal intime d'un écrivain. Outre leur qualité esthétique, voilà ce qui les rend si précieux. Il y a une narration sous jacente, un dialogue avec le monde moderne - mais également des pensées intimes, parfois des images surréalistes venues du subconscient : ainsi l’étonnante "tête aux pieds" aux traits du Marquis de Dion, le pionier de l'automobile anti-dreyfusard.
Szyk est un adulte avant l'âge, irrévérencieux, subversif, intelligent, vif. Nous découvrons ses préoccupations, ses passions, son imaginaire, ses observations. Nous nous rendons compte de son sens de l’humour ; nous voyons que son trait de crayon n’hésite pas. Voici les qualités qui ont fait de Szyk un artiste, apprécié, célèbre pour son intégrité et pour sa franchise: ses traits sont déjà bien présents ici.
Paris, octobre 2009
(c) Tamara Poniatowska, Historienne d’Art MA (Cantab)
Remerciements à Mme Alexandra Bracie-Szyk,La Szyk Society à Burlingame, Californie,USA,Pour leur aimable et encourageant soutien dans mes recherches.
Notes :
(*1) J. Ansell 2004, Arthur Szyk, p.8; necrologie d'Arthur Szyk dans le New York Times, 1951
(*2) Entretien avec Mme. Alexandra Bracie-Szyk, la fille de l'artiste, 2009
(*3) Katja Widman dans "Arthur Szyk, Dessins contre le National-Socialisme et la Terreur" catalogue de l'exposition du DHM Berlin, 2008 p. 48-49
(*4) "Cologne le 15 juillet vendredi, « Cher Bezia, Je n'étais pas bien après être parti. C'est pour cela que je suis descendu à St.Quentin où j'ai passé la nuit.J'ai rendu au moins 3 fois et maintenant j'attends le train dans un hôtel à Cologne. En ce qui concerne mon urétrite, ça avance bien, mais je m'en fiche pas mal. Je vous embrasse fort" »