Ralph Keysers dir., Der Stürmer – instrument de l’idéologie nazie. Une analyse des caricatures d’intoxication, préface de Yamna Benguignui, L’Harmattan, 371 p., 37€50.
L’idéologie nazie a produit une quantité considérable de caricatures. Des caricatures haineuses et propagandistes au service d’un racisme et d’un anticommunisme d’Etat. Contrairement à ce que l’on peut lire ici ou là, la satire visuelle n’a pas de vocation particulière. Ni particulièrement « démocrate », ni spécifiquement « réactionnaire », le genre satirique s’offre à qui veut bien s’en saisir. Par essence plutôt porté à asséner des coups qu’à valoriser un discours positif, la caricature s’illustre aussi bien à combattre des pouvoirs autoritaires qu’à les servir, stigmatise les racistes autant qu’elle peut défendre leurs thèses.
Sous la République de Weimar, l’Allemagne peut s’enorgueillir de compter des dizaines, sinon des centaines de titres satiriques. Contrairement à bien d’autres pays, certains de ces journaux à caricatures jouiront d’une belle longévité, devenant centenaires ou quasi centenaires.
Nombre de ces journaux ont été pris dans la tourmente des années 1930. Certains ont dû fermer boutique avec l’arrivée d’Hitler, d’autres ont adopté, avec plus ou moins d’enthousiasme, l’idéologie dominante. Divers journaux illustrés de charges satiriques sont nés avec le nazisme, pour servir sa cause. C’est le cas de Der Stürmer lancé en 1923 à Nuremberg par Julius Streicher, instituteur, membre du NSDAP depuis 1921. Gauleiter de Franconie jusqu’en 1940, député au Reichstag à partir de 1933, il multiplie les publications antisémites. Avec Der Stürmer, qui n’est pas officiellement lié au parti nazi, Streicher produit un organe de haine particulièrement efficace, tirant à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires au mitan des années 1930 et 600 000 en 1940.
Der Stürmer doit sa réussite autant à son ton haineux qu’à son utilisation de l’image. Caricatures (de Fips notamment), photographies et illustrations servent l’idéologie au travers d’un discours visuel répétitif basé sur un mélange de pédagogie, de raillerie et de stigmatisation. Au résultat, un discours qui vise à la polarisation, qui renforce bien sûr les préjugés raciaux. Le bon allemand, « l’aryen », est systématiquement opposé au mauvais juif ; les juifs sont présentés comme cause de tous les maux de la société avec les communistes, les « bourgeois » et bien sûr, lors de l’entrée en guerre, les adversaires de l’Allemagne.
L’ouvrage dirigé par Ralph Keysers ne vise pas à reconstituer et analyser l’histoire du journal et de son fondateur, décrite en quelques lignes seulement. Keysers a choisi de traduire et de commenter plusieurs centaines de caricatures tirées de Der Stürmer, en vue de les présenter au public francophone. Il s’agit donc d’une sélection et d’une contextualisation de dessins de presse classés de manière thématique, sélection qui permet de mieux connaître l’iconographie du journal, et par là même du nazisme.
L’entreprise ne manque pas d’intérêt même si le lecteur peut éprouver une certaine frustration en l’absence d’une étude générale sur le journal et sur les caractéristiques générales de la caricature nazie (un article non inédit en fin d’ouvrage évoque néanmoins cette question). La fréquentation de ce catalogue de caricatures permet bien sûr de mieux connaître une production trop souvent éludée, par une sorte de pudeur historique. Elle donne au connaisseur de la caricature collaborationniste des clés de comparaison pour saisir à quelles sources d’inspiration s’abreuvaient les dessinateurs français du Pilori et de Je suis partout.
Guillaume Doizy, septembre 2012
Divers journaux satiriques allemands publiés notamment de 1933 à 1944 ont été mis en ligne par des institutions allemandes comme on peut le voir sur cette page du site de l'EIRIS (le site connaît actuellement quelques problèmes de fonctionnement, sans doute bientôt résolus...).