Fabrice Erre, Le Règne de la poire : caricatures de la vie bourgeoise de Louis-Philippe à nos jours, Seyssel, Champ Vallon, avril 2011, 255 p. Ill., 23 euros.
Compte-rendu de Pascal Dupuy, historien
Francis Haskell, le grand historien d’art, notait que Champfleury « fit plus qu’aucun autre auteur du XIXe siècle pour appeler l’attention sur l’importance des arts mineurs aux fins d’une bonne compréhension d’aspects du passé » négligés par les historiens. Comme nous souscrivons pleinement à cette observation, nous ne pouvons que féliciter l’entreprise de reproductions en fac-similé de plusieurs ouvrages de Champfleury (Jules Husson, dit) par les éditions ressouvenances (www.ressouvenances.fr). Grâce à cette disposition véritablement patrimoniale, ces écrits si éclairants sur la caricature et l’imagerie populaire (de l’antiquité au XIXe siècle) sont de nouveau accessibles dans des livres au format de poche. Dans La Caricature moderne, (fac-similé de l’édition de 1865), Champfleury précisait que « la caricature est avec le journal le cri des citoyens ». Cette disposition est également au cœur du beau livre que Fabrice Erre consacre au Règne de la poire. L’auteur, familier de la satire visuelle et de la presse du XIXe siècle, nous conte avec délice les métamorphoses graphiques (sur près de deux siècles) de la poire dont la naissance sous le crayon (le couteau ?) de Charles Philippon en 1831 transforma en quatre étapes le visage du roi Louis-Philippe dans le but « de défendre sa liberté d’expression, en dissociant la personne du roi de sa ressemblance ». La poire allait bientôt obtenir un succès phénoménal et d’étendard de la liberté graphique devenir à la fois l’emblème du bourgeois « ventrigoulu » (cynique et satisfait), la devise de l’idéologie du régime (« le juste milieu ») et enfin la figure satirique de son plus haut dirigeant (Louis-Philippe). Mais le grand mérite du livre est d’expliquer les raisons de ce ralliement « piriforme », souvent observé mais jamais si précisément analysé. Cet engouement, l’auteur le décèle dans le langage et les expressions populaires qui permettent à la poire d’être utilisée à des fins satiriques et symboliques multiples. Du Père Duchesne au Figaro, le fruit est mélangé « à toutes les sauces » et le motif bientôt repris et adapté par d’innombrables caricaturistes (Thiers, E. Balladur ou encore H. Kohl en faisant particulièrement les frais). La poire devient alors l’expression type du régime bourgeois, « dans laquelle la France est entrée définitivement au début de la monarchie de Juillet (1830) » et dans laquelle elle se débat encore !
Pascal Dupuy, (dernier livre paru : Face à la Révolution et l’Empire – Caricatures anglaises (1789-1815), Paris Musées – Nicolas Chaudun Editions, 2008). Compte-rendu publié dans le journal l'Humanité, 8 juin 2011.
Fabrice Erre est docteur en histoire. Il a participé à l’ouvrage Le Figaro, histoire d'un journal aux Editions du Nouveau Monde et bientôt à La Civilisation du journal à paraître chez le même éditeur. Il est aussi scénariste et auteur de bandes dessinées aux éditions 6 pieds sous terre (Démonax en 2006, Le Roux en 2007, La Mécanique de l’angoisse en 2011).