Guillaume Doizy, Emery-Chanteclair illustrateur, de la caricature politique à la réclame, entre Paris et l’Aisne, 1894-1914, mémoire de maîtrise sous la direction de Mme Laurence
Bertrand-Dorléac, Université de Picardie Jules Verne, Faculté des Arts, 2003, 1er tome.
Afficher le fichier pdf
Remerciements :
Je tiens à remercier en premier lieu M. Donald Crafton, professeur à l’Université de Notre Dame (USA) (auteur d’un ouvrage sur le dessinateur caricaturiste Emile Courtet-Cohl maître et mentor du dessinateur Lucien Emery), qui a bien voulu critiquer ce travail. Il faut souligner aussi l’accueil particulièrement chaleureux des personnels des bibliothèques, de musées et des Archives, l’empressement de la Société Académique de Saint-Quentin (02) et du Centre Charles Péguy d’Orléans (45). Je salue aussi Mme Annie Calmant du Dico-Solo, M. Pierre Courtet-Cohl, petit fils du dessinateur Emile Courtet-Cohl, mais aussi Mme Emery Yvon et son fils Guy Emery, parents du dessinateur Lucien Emery, Mme Dutoy du service des archives de la mairie de Chauny pour leur aide, leurs points de vue ou les informations communiquées. Sans oublier le travail de relecture et le soutient moral de proches, d’amis ou de collègues… un grand merci à tous.
Enfin je tiens à témoigner à Mme Laurence Bertrand-Dorléac ma sincère et chaleureuse reconnaissance pour sa disponibilité, son enthousiasme et ses conseils bien utiles.
Avertissement :
Le présent mémoire est composé de deux livrets. Le premier recèle le texte, le second, les annexes. Tout au long du texte, les lettres majuscules entre parenthèse suivies d’un numéro comme (A5) (B12)… renvoient aux numéros des documents annexés auxquels il faut se référer. Au texte découpé en parties I, II, III, IV et V correspond le découpage A, B, C, D et E des annexes auquel se rajoute en F, le catalogue des œuvres de Lucien Emery.
Lorsque sont cités des dessins de presse, si le titre est mentionné dans le texte donc entre guillemets, une note de bas de page indique le nom du journal en italique et la date de parution. Lorsque le titre n’est pas cité, la note commence par le titre, suivie du nom du dessinateur, puis de celui du journal et enfin de la date.
A la fin de ce présent volume ont été consignés une bibliographie, une chronologie, une liste des périodiques consultés, un index et enfin la table des matières.
Introduction
Notre travail se propose de restituer la vie et l’œuvre d’un dessinateur de presse d’origine axonaise, Lucien Emery, jusque-là jamais étudié, ayant fourni entre 1894 et 1914 à la presse nationale (Libre Parole Illustrée, Image pour Rire, Frou-Frou, Risette, Pêle-Mêle, Sourire…) comme celle de l’Aisne (Réveil de l’Aisne, Cri-Cri de Saint-Quentin, Echo Soissonais, Combat…) des caricatures politiques, des dessins d’humour ou encore des illustrations pour la réclame et ayant subi l’injuste sort de voir un de ses pseudonymes « J. Chanteclair » ainsi qu’un certain nombre de ses caricatures attribués à un autre illustrateur : Emile Courtet-Cohl.
L’élucidation et la reconstitution de la vie et de l’œuvre de Lucien Emery vont, tout d’abord, dans le sens de l’enrichissement d’un domaine jusque-là négligé par « les historiens, les historiens d’art ou les historiens de la presse et des médias [qui] ont vu dans la caricature et la presse illustrée politiques un document historique sans grande autonomie (…) une forme mineure, dérisoire et dégradée d’un référent plus noble » .
En outre, notre travail apporte des informations sur un de « ces excellents techniciens du dessin et de la gravure que sont les dessinateurs (…) et surtout les illustrateurs publicitaires » dont « on ignore à peu près tout » comme l’indique Jean Watelet dans sa thèse sur la Presse illustrée en France, tant les études comme les archives manquent sur le sujet. Certes, le talent de Lucien Emery n’est en rien comparable à celui d’un Daumier, d’un Gill ou encore d’un Caran d’Ache dont on connaît bien la vie et l’oeuvre. Néanmoins, et même justement, il en va autrement de ces petits maîtres restés dans la pénombre mais bien plus nombreux que les quelques caricaturistes retenus par l’Histoire. Ces petits maîtres s’avèrent particulièrement révélateurs des mutations profondes d’une époque.
Ainsi la biographie de Lucien Emery offre des indications sur les origines sociales et les vicissitudes du dessinateur de presse de la fin du 19ième siècle, souvent pris dans la tourmente de la précarité.
Enfin, du point de vue de l’histoire de l’image en général et de la caricature en particulier, l'œuvre de Lucien Emery évoque une quadruple rupture.
1/ Par sa participation en tant que « dessinateur attitré » à la Libre Parole Illustrée de Drumont à l’âge de 20 ans, il symbolise le déferlement d’antisémitisme et de nationalisme particulièrement violent en France, des années 1890 jusqu’à la réhabilitation du Capitaine Dreyfus, période pendant laquelle l’image caricaturale qui accompagne pour la première fois un fort mouvement d’opinion , est avant tout utilisée par la presse et les courants réactionnaires, catholiques et antirépublicains.
2/ Ses longues séries de caricatures politiques dans l’Aisne raillant la nouvelle couche des notables et de politiciens locaux ou départementaux notamment radicaux et socialistes, reflètent la politisation de la province rurale à la fin du 19ième siècle et un de ses corollaires : l’instrumentalisation nouvelle de la caricature politique par la presse départementale voire locale. C'est-à-dire que la satire politique, jusque-là dirigée contre les élites nationales, met non seulement au point un langage nouveau pour révéler les travers, les tics et les facéties d’une caste de notables en émergence dans les départements mais forge aussi chez le lecteur une représentation de ces élites par ailleurs inexistante. La caricature s’étale alors, sans concurrence dans des supports restés jusque-là rétifs à l’image et s’inscrit pour la première fois dans le jeu électoral départemental comme instrument de propagande. Elle signe une modification sociologique importante, l’émergence d’un public de plus en plus gourmand d’images qui rend commercialement favorables les efforts réalisés pour leur édition.
3/ Un dernier aspect du travail du dessinateur renvoie à une autre mutation de l’image à partir des années 1900. Le développement économique permet, jusque dans les départements ruraux, un essor de la consommation qui même limitée, devient de plus en plus massive . L’image est donc amenée à jouer un rôle promotionnel nouveau. Elle illustre de plus en plus les réclames, vise à susciter des réflexes d’achat par l’humour, l’émotion et donc l’identification du consommateur. La multiplication des reproductions d’objets dans les catalogues commerciaux aux tirages sans cesse croissants sous l’impulsion première des Grands Magasins , donne au lecteur, au moins virtuellement, l’accès à un monde de plus en plus diversifié.
4/ Enfin, corollaire de cet engouement du public pour l’image et de la multiplication des supports qui y recourent, apparaît un nouveau type professionnel : l’illustrateur départemental, qui, à partir de 1900, n’a plus besoin de « monter » à Paris pour placer ses dessins, et qui trouve, « sur place », un marché suffisamment important et diversifié pour sinon vivre correctement, du moins vivoter sans devoir recourir à des activités professionnelles de nature différente.
Le présent travail est divisé en quatre parties. Dans un premier temps, nous évoquerons la manière dont le sujet, le cas « Lucien Emery » s’est révélé à nous. Il nous a semblé intéressant de chercher dans la documentation existante ancienne et récente s’il avait, à travers ses caricatures, suscité la curiosité des contemporains ou plus tard, des historiens. Enfin, nous aborderons la difficile question de l’identification du dessinateur et notamment la controverse liée au plus problématique de ses pseudonymes : « J. Chanteclair ».
Dans la seconde partie, nous nous intéresserons à la période historique particulièrement mouvementée dans laquelle s’inscrivent la vie et l’œuvre de Lucien Emery, nous verrons quels étaient alors la place et le rôle de l’image sous la Troisième République d’avant la première guerre mondiale, et plus particulièrement l’image dans la presse départementale, et notamment pour ce qui est de l’Aisne. Par l’étude d’un titre de presse sur une longue période, nous verrons quels furent la place et le rôle de l’image tout au long du 19ième siècle et dans quel contexte la caricature est apparue dans les journaux du nord de l’Aisne aux alentours de 1900, et enfin quelle fonction sociale et politique on attribuait alors à l’image satirique.
Notre troisième partie révélera la biographie exhaustive de notre dessinateur et nous nous efforcerons de montrer quels étaient les mobiles de ceux qui ont eu recours aux productions graphiques de Lucien Emery, leurs intentions. Nous verrons comment ce jeune dessinateur semble-t-il autodidacte se retrouve à vingt ans à la « une » de la Libre Parole Illustrée, est tenté par la carrière artistique, puis livre ses dessin au Frou-Frou, au Bon Vivant, à l’Assiette au Beurre, etc. avant d’inonder la presse axonaise de ses caricatures politiques puis de ses dessins commerciaux pour enfin fonder une imprimerie spécialisée dans l’édition de catalogues commerciaux illustrés. Nous nous interrogerons sur cet opportunisme professionnel qui le mène à dessiner pour le très catholique et antisémite Edouard Drumont, comme pour, quelques années plus tard, travailler de longues années pour la presse socialiste révolutionnaire et anticléricale de l’Aisne. Nous tenterons de cerner les contours de ses convictions politiques, son rapport au domaine des idées et plus particulièrement à l’antisémitisme.
Enfin, dans notre quatrième partie, nous tenterons d’analyser globalement l’œuvre du dessinateur, et en premier lieu le fonctionnement de ses caricatures politiques, en comparant leur rhétorique à celle décryptée par Bertrand Tillier dans sa Républicature. Nous nous intéresserons au glissement inédit de la caricature nationale à la caricature des notables de province sous la plume de Lucien Emery et nous verrons qu’en plus du recours aux régressions physiologiques, à la trahison des corps et du spectacle politique largement répandus pour la satire nationale, le dessinateur se dote de nouvelles armes pour les charges qu’il produit pour la presse de l’Aisne contre le personnel départemental. La caricature, profondément métaphorique, s’acharnant contre les corps des individus pour viser au travers d’eux les institutions qu’ils représentent, imprègne alors son langage de ruralité et de quotidienneté, instrumentalise la morale départementale et ses mœurs. En puisant ses armes dans l’imaginaire rural la satire départementale choisit un langage qui apparaît alors comme beaucoup plus à même de toucher le lecteur de Chauny, Saint-Quentin ou Soissons, dont les habitudes, et la culture semblent bien différentes de celles du citadin de la capitale. La caricature en noir ou en couleur, en « une » de journaux politiques libéraux ou socialistes, ou de revues satiriques illustrées, se veut alors beaucoup moins générique et conceptuelle, pour s’ancrer dans le vécu et de donner au lecteur le sentiment que le notable élu ou le candidat malheureux, le préfet ou le maire subissent à leur tour et pour son plus grand bonheur quelque peu vengeur, les propres vilenies qui l’accablent dans sa vie quotidienne.
Nous verrons ensuite comment Lucien Emery instrumentalise cette quotidienneté en vue de créer de véritables pré-publicités en s’appuyant sur son expérience de dessinateur pour la presse humoristique comme politique. En étudiant des séries importantes d’illustrations de réclames, nous évaluerons la complexité du nouveau langage mis au point, sa polymorphie, ses sources et sa capacité à répondre aux objectifs qu’il se donne. Nous verrons comment, dans cette phase pré-publicitaire, l’image s’adresse au consommateur, sur quels stimuli psychologiques et sociologiques elle appuie sa rhétorique.
Enfin nous tenterons de cerner la technique et le style du dessinateur, ses méthodes de travail et ses contraintes.
Afficher le fichier pdf
Remerciements :
Je tiens à remercier en premier lieu M. Donald Crafton, professeur à l’Université de Notre Dame (USA) (auteur d’un ouvrage sur le dessinateur caricaturiste Emile Courtet-Cohl maître et mentor du dessinateur Lucien Emery), qui a bien voulu critiquer ce travail. Il faut souligner aussi l’accueil particulièrement chaleureux des personnels des bibliothèques, de musées et des Archives, l’empressement de la Société Académique de Saint-Quentin (02) et du Centre Charles Péguy d’Orléans (45). Je salue aussi Mme Annie Calmant du Dico-Solo, M. Pierre Courtet-Cohl, petit fils du dessinateur Emile Courtet-Cohl, mais aussi Mme Emery Yvon et son fils Guy Emery, parents du dessinateur Lucien Emery, Mme Dutoy du service des archives de la mairie de Chauny pour leur aide, leurs points de vue ou les informations communiquées. Sans oublier le travail de relecture et le soutient moral de proches, d’amis ou de collègues… un grand merci à tous.
Enfin je tiens à témoigner à Mme Laurence Bertrand-Dorléac ma sincère et chaleureuse reconnaissance pour sa disponibilité, son enthousiasme et ses conseils bien utiles.
Avertissement :
Le présent mémoire est composé de deux livrets. Le premier recèle le texte, le second, les annexes. Tout au long du texte, les lettres majuscules entre parenthèse suivies d’un numéro comme (A5) (B12)… renvoient aux numéros des documents annexés auxquels il faut se référer. Au texte découpé en parties I, II, III, IV et V correspond le découpage A, B, C, D et E des annexes auquel se rajoute en F, le catalogue des œuvres de Lucien Emery.
Lorsque sont cités des dessins de presse, si le titre est mentionné dans le texte donc entre guillemets, une note de bas de page indique le nom du journal en italique et la date de parution. Lorsque le titre n’est pas cité, la note commence par le titre, suivie du nom du dessinateur, puis de celui du journal et enfin de la date.
A la fin de ce présent volume ont été consignés une bibliographie, une chronologie, une liste des périodiques consultés, un index et enfin la table des matières.
Introduction
Notre travail se propose de restituer la vie et l’œuvre d’un dessinateur de presse d’origine axonaise, Lucien Emery, jusque-là jamais étudié, ayant fourni entre 1894 et 1914 à la presse nationale (Libre Parole Illustrée, Image pour Rire, Frou-Frou, Risette, Pêle-Mêle, Sourire…) comme celle de l’Aisne (Réveil de l’Aisne, Cri-Cri de Saint-Quentin, Echo Soissonais, Combat…) des caricatures politiques, des dessins d’humour ou encore des illustrations pour la réclame et ayant subi l’injuste sort de voir un de ses pseudonymes « J. Chanteclair » ainsi qu’un certain nombre de ses caricatures attribués à un autre illustrateur : Emile Courtet-Cohl.
L’élucidation et la reconstitution de la vie et de l’œuvre de Lucien Emery vont, tout d’abord, dans le sens de l’enrichissement d’un domaine jusque-là négligé par « les historiens, les historiens d’art ou les historiens de la presse et des médias [qui] ont vu dans la caricature et la presse illustrée politiques un document historique sans grande autonomie (…) une forme mineure, dérisoire et dégradée d’un référent plus noble » .
En outre, notre travail apporte des informations sur un de « ces excellents techniciens du dessin et de la gravure que sont les dessinateurs (…) et surtout les illustrateurs publicitaires » dont « on ignore à peu près tout » comme l’indique Jean Watelet dans sa thèse sur la Presse illustrée en France, tant les études comme les archives manquent sur le sujet. Certes, le talent de Lucien Emery n’est en rien comparable à celui d’un Daumier, d’un Gill ou encore d’un Caran d’Ache dont on connaît bien la vie et l’oeuvre. Néanmoins, et même justement, il en va autrement de ces petits maîtres restés dans la pénombre mais bien plus nombreux que les quelques caricaturistes retenus par l’Histoire. Ces petits maîtres s’avèrent particulièrement révélateurs des mutations profondes d’une époque.
Ainsi la biographie de Lucien Emery offre des indications sur les origines sociales et les vicissitudes du dessinateur de presse de la fin du 19ième siècle, souvent pris dans la tourmente de la précarité.
Enfin, du point de vue de l’histoire de l’image en général et de la caricature en particulier, l'œuvre de Lucien Emery évoque une quadruple rupture.
1/ Par sa participation en tant que « dessinateur attitré » à la Libre Parole Illustrée de Drumont à l’âge de 20 ans, il symbolise le déferlement d’antisémitisme et de nationalisme particulièrement violent en France, des années 1890 jusqu’à la réhabilitation du Capitaine Dreyfus, période pendant laquelle l’image caricaturale qui accompagne pour la première fois un fort mouvement d’opinion , est avant tout utilisée par la presse et les courants réactionnaires, catholiques et antirépublicains.
2/ Ses longues séries de caricatures politiques dans l’Aisne raillant la nouvelle couche des notables et de politiciens locaux ou départementaux notamment radicaux et socialistes, reflètent la politisation de la province rurale à la fin du 19ième siècle et un de ses corollaires : l’instrumentalisation nouvelle de la caricature politique par la presse départementale voire locale. C'est-à-dire que la satire politique, jusque-là dirigée contre les élites nationales, met non seulement au point un langage nouveau pour révéler les travers, les tics et les facéties d’une caste de notables en émergence dans les départements mais forge aussi chez le lecteur une représentation de ces élites par ailleurs inexistante. La caricature s’étale alors, sans concurrence dans des supports restés jusque-là rétifs à l’image et s’inscrit pour la première fois dans le jeu électoral départemental comme instrument de propagande. Elle signe une modification sociologique importante, l’émergence d’un public de plus en plus gourmand d’images qui rend commercialement favorables les efforts réalisés pour leur édition.
3/ Un dernier aspect du travail du dessinateur renvoie à une autre mutation de l’image à partir des années 1900. Le développement économique permet, jusque dans les départements ruraux, un essor de la consommation qui même limitée, devient de plus en plus massive . L’image est donc amenée à jouer un rôle promotionnel nouveau. Elle illustre de plus en plus les réclames, vise à susciter des réflexes d’achat par l’humour, l’émotion et donc l’identification du consommateur. La multiplication des reproductions d’objets dans les catalogues commerciaux aux tirages sans cesse croissants sous l’impulsion première des Grands Magasins , donne au lecteur, au moins virtuellement, l’accès à un monde de plus en plus diversifié.
4/ Enfin, corollaire de cet engouement du public pour l’image et de la multiplication des supports qui y recourent, apparaît un nouveau type professionnel : l’illustrateur départemental, qui, à partir de 1900, n’a plus besoin de « monter » à Paris pour placer ses dessins, et qui trouve, « sur place », un marché suffisamment important et diversifié pour sinon vivre correctement, du moins vivoter sans devoir recourir à des activités professionnelles de nature différente.
Le présent travail est divisé en quatre parties. Dans un premier temps, nous évoquerons la manière dont le sujet, le cas « Lucien Emery » s’est révélé à nous. Il nous a semblé intéressant de chercher dans la documentation existante ancienne et récente s’il avait, à travers ses caricatures, suscité la curiosité des contemporains ou plus tard, des historiens. Enfin, nous aborderons la difficile question de l’identification du dessinateur et notamment la controverse liée au plus problématique de ses pseudonymes : « J. Chanteclair ».
Dans la seconde partie, nous nous intéresserons à la période historique particulièrement mouvementée dans laquelle s’inscrivent la vie et l’œuvre de Lucien Emery, nous verrons quels étaient alors la place et le rôle de l’image sous la Troisième République d’avant la première guerre mondiale, et plus particulièrement l’image dans la presse départementale, et notamment pour ce qui est de l’Aisne. Par l’étude d’un titre de presse sur une longue période, nous verrons quels furent la place et le rôle de l’image tout au long du 19ième siècle et dans quel contexte la caricature est apparue dans les journaux du nord de l’Aisne aux alentours de 1900, et enfin quelle fonction sociale et politique on attribuait alors à l’image satirique.
Notre troisième partie révélera la biographie exhaustive de notre dessinateur et nous nous efforcerons de montrer quels étaient les mobiles de ceux qui ont eu recours aux productions graphiques de Lucien Emery, leurs intentions. Nous verrons comment ce jeune dessinateur semble-t-il autodidacte se retrouve à vingt ans à la « une » de la Libre Parole Illustrée, est tenté par la carrière artistique, puis livre ses dessin au Frou-Frou, au Bon Vivant, à l’Assiette au Beurre, etc. avant d’inonder la presse axonaise de ses caricatures politiques puis de ses dessins commerciaux pour enfin fonder une imprimerie spécialisée dans l’édition de catalogues commerciaux illustrés. Nous nous interrogerons sur cet opportunisme professionnel qui le mène à dessiner pour le très catholique et antisémite Edouard Drumont, comme pour, quelques années plus tard, travailler de longues années pour la presse socialiste révolutionnaire et anticléricale de l’Aisne. Nous tenterons de cerner les contours de ses convictions politiques, son rapport au domaine des idées et plus particulièrement à l’antisémitisme.
Enfin, dans notre quatrième partie, nous tenterons d’analyser globalement l’œuvre du dessinateur, et en premier lieu le fonctionnement de ses caricatures politiques, en comparant leur rhétorique à celle décryptée par Bertrand Tillier dans sa Républicature. Nous nous intéresserons au glissement inédit de la caricature nationale à la caricature des notables de province sous la plume de Lucien Emery et nous verrons qu’en plus du recours aux régressions physiologiques, à la trahison des corps et du spectacle politique largement répandus pour la satire nationale, le dessinateur se dote de nouvelles armes pour les charges qu’il produit pour la presse de l’Aisne contre le personnel départemental. La caricature, profondément métaphorique, s’acharnant contre les corps des individus pour viser au travers d’eux les institutions qu’ils représentent, imprègne alors son langage de ruralité et de quotidienneté, instrumentalise la morale départementale et ses mœurs. En puisant ses armes dans l’imaginaire rural la satire départementale choisit un langage qui apparaît alors comme beaucoup plus à même de toucher le lecteur de Chauny, Saint-Quentin ou Soissons, dont les habitudes, et la culture semblent bien différentes de celles du citadin de la capitale. La caricature en noir ou en couleur, en « une » de journaux politiques libéraux ou socialistes, ou de revues satiriques illustrées, se veut alors beaucoup moins générique et conceptuelle, pour s’ancrer dans le vécu et de donner au lecteur le sentiment que le notable élu ou le candidat malheureux, le préfet ou le maire subissent à leur tour et pour son plus grand bonheur quelque peu vengeur, les propres vilenies qui l’accablent dans sa vie quotidienne.
Nous verrons ensuite comment Lucien Emery instrumentalise cette quotidienneté en vue de créer de véritables pré-publicités en s’appuyant sur son expérience de dessinateur pour la presse humoristique comme politique. En étudiant des séries importantes d’illustrations de réclames, nous évaluerons la complexité du nouveau langage mis au point, sa polymorphie, ses sources et sa capacité à répondre aux objectifs qu’il se donne. Nous verrons comment, dans cette phase pré-publicitaire, l’image s’adresse au consommateur, sur quels stimuli psychologiques et sociologiques elle appuie sa rhétorique.
Enfin nous tenterons de cerner la technique et le style du dessinateur, ses méthodes de travail et ses contraintes.