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Dessin de Luz, Charlie Hebdo du 14 octobre 2009

Dessin de Siné et Jiho, Siné Hebdo du 14 octobre 2009

 

Comme de juste, cette semaine, Charlie et Siné s’intéressent au même scandale national : la probable élection de Jean Sarkozy (23 ans, 2e année de droit à la Sorbonne) à la tête de l’EPAD, l’établissement public qui administre un des quartiers d’affaires les plus importants d’Europe (La Défense, près de Paris). Vue l’ampleur de la polémique et le nombre de blagues ou d’initiatives joyeuses que suscite l’affaire, les deux journaux semblent en phase avec l’actualité médiatique du jour.

Les deux hebdos, par le crayon de Luz d’un côté et Siné et Jiho de l’autre, choisissent évidemment deux manières très différentes de traiter le sujet. Luz réalise une véritable caricature de Jean Sarkozy, doublée d’une condensation alliant deux affaires quasi concomitantes, alors que Siné et Jiho produisent ce qu’il est convenu d’appeler un dessin d’actualité, recourant au principe de l’infantilisation, doublé d’un jeu de changement d’échelle, le tout associé à une métamorphose architecturale.

Au premier regard, la charge de Luz semblera visuellement plus efficace. L’énorme visage de Jean Sarkozy, le jeu des contrastes, la grosse bulle sur la droite forment une image saisissante. Le visage du jeune homme et son jeu de déformations caricaturales, l’étirement des traits dans le sens vertical, l’allongement du menton et du nez, le rétrécissement du front, l’accentuation du volume des yeux et leur disposition inclinée, le large sourire, transforment de manière fascinante le visage de ce fils du Président de la République qui, à 23 ans, semble en passe de décrocher un très beau job.

La caricature depuis le XVIIe siècle italien déforme les traits des visages, sans pour autant nuire à la reconnaissance de l’individu. Exercice difficile qui provoque, en cas de succès, une jubilation visuelle chez le lecteur fasciné par les facéties que le dessinateur impose à l’image d’un être, et finalement à l’être lui-même, qui ne maîtriserait plus sa propre apparence. Selon la théorie de la physiognomonie, la caricature traduit par l’aspect, les vilenies de l’âme. Les déformations du visage (et du corps par extension) révèlent les travers de la personnalité. En s’en prenant au visage, la saillie caricaturale procède de la dégénérescence, « vole » un peu (beaucoup ?) de la personnalité au personnage mis en cause.

Le sentiment de répulsion que suscite en nous la vue d’une « gueule cassée », même par l’intermédiaire d’une photographie, résulte probablement du même mécanisme, mais de manière inversée. Le visage demeure l’élément le plus fondamental de la personnalité visible de tout un chacun, visage par lequel s’établit la reconnaissance des individus entre eux. La destruction partielle du visage, qui n’altère pas totalement sa forme humaine, représente une des atteintes les plus insupportables faites aux individus. La vue d’un corps sans vie semble moins atroce que celle de ces soldats devenus de véritables montres… Bien qu’ils soient morts depuis, l’effet produit sur nous à la vue de leur image demeure encore totalement vertigineux.

La caricature vise généralement au grotesque, adoptant le monstrueux dans des situations plus exceptionnelles. Mais même avec cet objectif comique, la caricature, en exagérant certains traits du visage, semble se jouer de la personnalité même de l’être vrai. L’efficacité du procédé mimétique induit un tel effet de réel que le lecteur ne rira pas seulement d’une blague produite par une image, mais aura le sentiment que son rire atteindra la personne moquée par le dessinateur, un être dont le lecteur voit la transformation dégénérative mais ô combien révélatrice se réaliser dans l’instant, sous ses yeux ébahis.

Luz combine deux effets comiques : à la déformation caricaturale de Jean Sarkozy qui donne au personnage l’aspect d’un mollusque juvénile (voir les boutons d’acné), le dessinateur associe une polémique lancée par Marine Lepen du Front National, suite au soutien indéfectible et très immoral de Frédéric Mitterrand au réalisateur Roman Polanski soupçonné de viol sur une fille de 13 ans.

Le grand déballage de Frédéric Mitterrand, se justifiant sur TF1 et reconnaissant ses pratiques homosexuelles tarifées en Thaïlande, pour le moins surréaliste même si la société se montre de moins en moins prude, aura marqué les esprits.

Le génie du dessinateur depuis quelques décennies, consiste à faire se rencontrer deux événements, deux problématiques, dont l’association produira du sens et un décalage comique drôle et ravageur.

Dans le cas présent, le sexe, et même plus précisément le rapport sexuel entre deux hommes, sert de ciment entre les deux sujets polémiques.

Dans les sociétés machistes, le droit de cuissage ou le viol ont parfois trouvé leur prolongement feutré et en apparence moins violent dans les rapports hiérarchiques qui structurent nos sociétés. Dans ce cadre inégalitaire, le corps peut servir de monnaie d’échange. Le langage traduit parfois une forme de résistance sociale sur le terrain individuel, en recourrant à la métaphore sexuelle : tel salarié(e) aux dents longues « lèche » ou « suce » son patron ou son chef pour obtenir quelque gratification que les autres n’auront pas. On « couche » pour se faire embaucher, pour se faire attribuer une promotion, etc. Ce rapport sexuel, parfois nullement métaphorique mais bien réel, traduit dans certains cas (exceptionnels ?) une situation terrible où le salarié, pour se faire embaucher (ou ne pas se faire virer), semble prêt à tous les renoncements…

Luz transfert les amours tarifées de Frédéric Mitterrand avec d’autres hommes au « couple » Nicolas / Jean Sarkozy, en expliquant par la métaphore sexuelle la carrière fulgurante du jeune leader de l’UMP. Le népotisme en jeu prend la forme d’une coucherie intéressée mais totalement absurde… d’un fils avec son père ! L’explication que donne Jean (par l’entremise de la bulle) s’avère d’autant plus drôle qu’elle nie l’évidence : pas besoin de coucher quand on est le fils d’un tel père…

Siné et Jiho s’intéressent également à la réussite (non pas scolaire mais sociale) du jeune Jean Sarkozy. Pour autant, et comme nous l’avons souligné depuis longtemps, Siné excelle plus dans l’idée dont procède le dessin que dans la caricature. Quand le dessinateur vise un homme politique, la reconnaissance, souvent difficile, s’appuie avant tout sur un contexte ou sur quelques détails signifiants.

La « une » de Siné Hebdo ne joue pas sur la condensation non plus. Contrairement au dessin de Luz, la charge fonctionne sur un gag visuel, celui qui consiste à transformer l’Arche de la Défense en support de balançoire pour le jeune Sarkozy. Il ne s’agit donc pas de condenser deux actualités pour faire jaillir le gag, mais deux éléments visuels liés à la même polémique et qui vont faire sens.

L’Arche de la Défense, dans un jeu de métonymie, évoque bien sûr le quartier d’Affaire dont la fameuse Epad gère le développement. En lui associant une balançoire, Siné et Jiho traduisent l’idée que le gigantesque bâtiment devient le « terrain de jeu » du jeune Sarkozy.

Luz vise l’extrême jeunesse du prétendant par les traits juvéniles de son visage, quand Siné et Jiho recourent à d’autres caractéristiques physiques et posturales : une morphologie et une tenue vestimentaire enfantine, une activité ludique indissociable de l’enfance.

L’infantilisation constitue un des procédés dégradants à la disposition du dessinateur. Elle permet de décocher deux flèches concomitantes : il s’agit de souligner le paradoxe que représente « l’élection » d’un tel jeune homme à un tel poste de responsabilité et peut-être même également de signifier l’incapacité du dit jeune homme à assumer de telles responsabilités.

Si la caricature remonte au XVIIe siècle, l’infantilisation comme procédé satirique se construit au même moment. Luther et Lucas Cranach transforment ainsi le pape en poupon allaité par quelque gorgone, dès 1545…

Quant à la balançoire, dans le dessin satirique, elle traduit généralement les hésitations de celui qui adonne à ce genre de loisir, mais aussi parfois l’équilibre (voire le déséquilibre) qui s’établit entre deux forces, deux entités ou deux pays.

Le lecteur aura peut-être compris la subtilité du titre du dessin de Siné et Jiho. Philippe Val avait mis à la porte Siné pour quelques lignes qui visaient Jean Sarkozy dans Charlie Hebdo et qui se terminaient par ces quelques mots : « il ira loin dans la vie ce petit ». Siné adapte sa conclusion puisqu’au travers de l’Epad, il est question de gérer un espace dominé par d’immenses tours. Le « haut » évoque tout aussi bien ces symboles architecturaux que, métaphoriquement, l’ascension fulgurante du jeune homme.

Remarquons une notable différence dans la manière de traiter le visage du jeune Jean : cheveux courts chez Luz, cheveux longs chez Siné et Jiho. Jean, longtemps chevelu, semble peaufiner son image de jeune homme respectable et propre sur lui. Dans cette période de transition, le fils du Président de la République demeure plus connu pour son abondante crinière. Cette modification de l’apparence de Sarkozy junior constitue un petit casse tête pour les dessinateurs.

 

Dans le « match » de cette semaine, Luz Siné et Jiho attaquent donc la retentissante carrière de Jean Sarkozy et moquent, avec des moyens visuels très différents, son jeune âge. Luz s’amuse avec une blague en dessous de la ceinture qui pose nettement la question du népotisme, c'est-à-dire le rôle du président de la République dans sa prochaine élection à la tête de l’Epad. La « une » de Siné Hebdo joue d’une métaphore architecturale en montrant précisément l’enjeu du scandale, mais sans rappeler le pedigree du jeune premier. Les deux dessinateurs de Siné Hebdo, par le truchement de l’infantilisation, suggèrent en même temps le manque de capacité probable de Jean Sarkozy pour un tel poste.

La charge de Luz cherche à susciter le rire par l’expression caricaturale du visage accablant Jean Sarkozy et fascine par la virtuosité graphique dont cette expression résulte, tandis que le dessin de Siné et Jiho évoque plus précisément le scandale en cours, avec un dessin plus complexe dans ses différentes références.

Notons tout de même que le Jean Sarkozy de Siné et Jiho semble plus inoffensif que celui de Luz. Avec ce sourire un peu niais et cette tenue vestimentaire à propos, le dessinateur de Charlie Hebdo construit l’image d’un jeune premier aux dents longues, loin du gamin en culotte courte et heureux de pouvoir s’amuser…

Le procédé de l’infantilisation fonctionne comme une régression. Mais à l’époque de « l’enfant roi », le déni infantile comporte une certaine ambiguïté.

 

Guillaume Doizy, le 15 octobre 2009

 

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