Dessin de Riss, Charlie Hebdo du 27 janvier 2010
Dessin de Carali et Faujour, Siné Hebdo du 27 janvier 2010
Charlie et Siné Hebdo bouclent au plus tard le lundi dans la journée, c'est-à-dire avant la diffusion du show de TF1. Il n’était alors pas difficile (mais toujours un peu risqué) d’imaginer l’intervention télévisuelle de Sarkozy comme l’événement politique majeur de la semaine. Nos deux hebdomadaires choisissent donc, dans cette configuration, un sujet dont les développements demeurent plus à venir que présents ou passés. Ils se doivent de commenter à l’avance un fait qui n’a pas encore eu lieu, mais dont les lecteurs du journal auront probablement eu connaissance, quand il découvriront à leur tour la « une » de leur hebdo préféré. Le décalage temporel apparaît ici comme majeur pour celui qui s’intéresserait à la réception de l’image. En tout état de cause, le lecteur pourrait comprendre le dessin comme une interprétation a posteriori de l’émission alors qu’il s’agit bien d’un commentaire a priori. De ce point de vue, nos deux hebdos ne se risquent d’ailleurs pas à formuler une hypothèse sur les conséquences de cette émission, mais seulement un jugement sur la nature même du show télévisé et, pour Charlie Hebdo, ses raisons politiques.
Nos deux journaux choisissent un ton et des moyens assez proches, mais sur le fond, orientent leur lecteur vers des raisonnements bien différentes.
Certes, Riss d’un côté, Carali et Faujour de l’autre, tirent à boulet rouge sur l’émission de TF1. Néanmoins, tandis que Siné Hebdo insiste sur la soumission de la chaîne privée aux intérêts du président de la République, Charlie présente Sarkozy comme à bout de souffle, et son show télévisé comme une tentative de restaurer son image.
Carali et Faujour montrent un téléspectateur devant son poste de télévision (un écran plat bien sûr, évolution technologique oblige). Remarquons que Riss se fait plus métaphorique : il met en scène également le présentateur télé et son invité de marque, mais en dehors de tout cadre télévisuel.
Les deux compères de Siné Hebdo organisent pour une fois la « une » de SH sur un mode dissymétrique (lecture de gauche à droite), mais en plaçant au centre de l’image ce qui constitue l’élément le plus fort du dessin : le coup de langue d’un personnage (en grande partie tronqué) sur le postérieur de Sarkozy. Siné Hebdo choisit le terrain de la trivialité, de la scatologie et de la nudité, dont on a vu, dans les « matchs » précédents, l’efficacité comme procédés de la satire et la récurrence de tels procédés.
Comme dans le dessin de Charb du 6 mai 2009 (voir notre « match » d’alors), la langue du « lèche-cul » apparaît surdimensionnée, pour des raisons évidentes d’efficacité visuelle. Autre élément considérablement agrandit, et pour les mêmes raisons, le logo de la chaîne privée, qui permet d’éviter tout doute possible sur la nature de l’événement commenté. La présence du logo oriente également le lecteur pour l’identification du « lèche-cul », c'est-à-dire Jean-Pierre Pernaut, présentateur de TF1 bien connu pour ses sympathies à droite et son conservatisme social.
Les deux dessinateurs donnent une dimension supplémentaire à cette critique formulée à l’encontre de TF1 et son présentateur. Ils intègrent l’image télévisuelle dans un ensemble plus vaste et réaliste, celui qui préside à sa consommation. La présence d’un téléspectateur face à son écran plat renvoie à l’émission réelle et sa dimension populaire, au rapport au public. Ce genre de mise en scène (qui n’était pas du tout présente dans le dessin de Charb susmentionné) permet de traduire les sentiments présumés de l’opinion publique. En tout état de cause, grâce au regard ironique des dessinateurs, le téléspectateur interprète la scène comme il se doit : une mise en scène pornographique. L’indécence de la collusion entre le président de la République et le journaliste subit un renversement de sens. Si au sens figuré l’expression « lèche-cul » renvoie à la soumission, au sens propre, le jeu linguistique évoque quelques pratiques sexuelles bien réelles (ce que confirme le sourire béat de Sarkozy). Carali et Faujour prennent le contre-pied de la discrétion affichée sur le sexe dans nos sociétés, et révèlent, à l’occasion, une hypocrisie et un travers de notre époque : l’intérêt plus ou moins avoué pour la consommation d’images sexuelles et notamment pornographiques.
Le geste du « lèche-cul » subit donc une réévaluation mais finalement bien… dérisoire. Cet angle d’attaque permet, on s’en doute, de déconsidérer TF1, tout en raillant l’hypocrisie actuelle sur le sexe, item fort répandu dans les sollicitations des moteurs de recherche… L’ironie de la scène se cristallise dans le paradoxe qui éclate entre cette scène très triviale et son titre, contraire à la sensibilité traditionnelle antidroite de Siné Hebdo, « Merci Sarko ».
Du point de vue graphique, notons que Carali utilise un système de grisaille (en dégradé donc) assez inhabituel chez les dessinateurs de presse actuels (mais très présent dans le vitrail par exemple), qui lui permet de donner chair à ses personnages, de suggérer, grâce à un jeu d’ombres propres, les volumes des différentes parties constitutives des corps. A contrario, les objets demeurent traités en aplat. Cette dichotomie permet de dissocier visuellement l’animé de l’inanimé et génère un univers graphique paradoxal et assez original.
Notons que les références au sexe, au cul, à la scatologie et au porno fonctionnent comme une marque de fabrique de Siné Hebdo et de son style satirique. Le journal mêle souvent grivoiserie, impertinence et radicalité sociale.
Riss, de son côté, opère également sur le terrain du sexe. Bien qu’il évoque la même émission, le dessinateur se désintéresse pourtant de l’aspect domestique et public de l’événement, à sa réception par les téléspectateurs. Il recourt à une métaphore qui intègre un aspect de la situation en Haïti (la « reconstruction » à venir dont la presse nous rebat les oreilles), mais également la nature même de l’empire TF1 (le propriétaire de TF1 a bâti sa fortune d’abord dans le domaine de la construction). L’engin que dirige Jean-Pierre Pernaut (ici très reconnaissable), évoque bien sûr les activités du principal actionnaire de la chaîne. Riss plonge ici les protagonistes de la scène dans le dérisoire. Pernaut actionne une machine plutôt vétuste ; Sarkozy tient à bout de bras à un cordage rustique et bien fatigué ; autour s’étale un véritable champ de ruine.
La mise en scène permet à Riss de compares la situation politique du président de la République à celle qui prévaut en Haïti, aspect renforcé par le titre et notamment les mot « ruine » et « sauveteurs ». On le sait, la caricature accentue ou invente les défauts de ses adversaires, mais également leurs difficultés.
Le ton catastrophiste permet ici de démontrer (il faudrait plutôt dire démonstrativer) de manière très visuelle l’essoufflement pourtant « seulement » politique du président de la République face à l’opinion.
Si Riss accable Sarkozy en le présentant comme une victime d’une catastrophe impossible à « sauver » malgré les loyaux services de TF1, il accentue sa raillerie par le procédé de la nudité, une nudité en partie métaphorique, comme dans le cas du « lèche-cul ». Riss montre ici le « roi nu », c'est-à-dire non seulement placé dans une situation impudique, immorale et indécente, mais encore qui a perdu toute identité sociale. Exit le costume trois-pièces des élites de ce monde, place à la nudité qui enlève à Sarkozy ses atours de chefs de l’Etat. Au-delà de cet aspect, Riss accable notre président national sur un autre terrain, plus trivial encore : il l’affuble d’un sexe de toute petite taille, caractère infamant dans notre société où prédomine le culte de la « grosse bite », signe de virilité indispensable pour la construction du moi masculin. Riss « traite »donc visuellement Sarkozy de « petite bite », de nabot, de nain (voir la petite taille de son buste, le rachitisme qui caractérise ses membres, tous ses membres…), d’enfant, d’immature, d’impuissant sexuel. Un argument de cour d’école qui participe clairement de la volonté de nuire à l’image du chef de l’Etat, mais qui ne caractérise en rien les ravages de sa politique.
Cette semaine, Charlie et Siné Hebdo insistent donc sur la collusion entre TF1 et Sarkozy. Nos deux hebdos et leurs dessinateurs recourent à la métaphore morale (immorale en fait) fondée sur le trivial, l’ironie, le décalage et la provocation. Le ton décalé de Siné Hebdo rappelle en quelque sorte le « bête et méchant » des années 60-70, quand Charlie se montre ici un peu plus politique, en soulignant les difficultés du président de la République ainsi que le rôle des médias dans sa stratégie de reconquête présidentielle.
Guillaume Doizy, le 30 janvier 2010