Siné – 60 ans de dessins, Préface de Guy Bedos, textes de François Forcadell et Stéphane Mazurier, Hoëbeke, 190 p., 30 euros.
A quatre-vingt ballets bien tassés, le dessinateur Siné, relativement « oublié » avant de se faire remercier (si on peut dire) par Philippe Val, peut s’enorgueillir d’un reclassement professionnel fulgurant et réussi, accommodé d’une remise en scelle médiatique non moins tonitruante. La publication de ce bel ouvrage, impensable vingt mois plus tôt, reflète cette popularité renaissante. Siné a même remplacé l’ex directeur de Charlie Hebdo sur nos petits écrans… Philippe Val semblant s’être volatilisé comme par miracle dans les ondes radiophoniques.
Bien des lecteurs aux cheveux blancs ou aux piercings bien en vue, peuvent à bon droit éprouver une certaine réserve à l’égard du dessinateur, lassés de ses obsessions sexuelles en noir ou en quadrichromie, écœurés par son incessante vulgarité, outrés de son regard sur les femmes exclusivement phantasmatique et jouisseur, choqués de sa permanente apologie de l’alcool, voire même de la prostitution, etc., etc., …
N’empêche, à feuilleter les 190 pages de ce très beau recueil, il faut saluer la virtuosité du bonhomme parfois détestable mais toujours avec brio, graveleux jusqu’à l’écoeurement mais toujours avec humour. On ne peut nier au provocateur Siné ses immenses qualités de dessinateur, de graphiste, d’humoriste, de blagueur, d’inventeur visuel, de pourfendeur de tabous, de prestidigitateur de mots, de saltimbanque du crayon.
L’homme qui a dessiné aussi bien pour L’Humanité que pour Lui, travaillé pour la multinationale Shell ou donné des caricatures à l’ancien journal trotskyste de la LCR Rouge, multiplié les chats-rades comme Jésus ses petits pains, désarçonne par la diversité et la qualité de sa production graphique, mais également par son esprit de suite, tout au long de ces « 60 ans de dessins ». Le Siné d’aujourd’hui, volontiers libertaire et défenseur des opprimés, ressemble à son homologue des décennies précédentes, ami de Prévert et Genet, piquant ses coups de colère contre l’Etat français et sa sale guerre d’Algérie, s’invitant dans la grève générale de 68 avec l’Enragé, s’amourachant de Fidel Castro ou d’autres héros, fustigeant les impérialismes et défendant les révolutionnaires, ne cessant de soutenir la cause palestinienne, contre vents et marées.
Classées de manière thématique, les œuvres de Siné bénéficient de l’éclairage très informé de deux spécialistes du dessin politique, François Forcadell et Stéphane Mazurier qui décryptent la vie, le style, les rencontres, les obsessions, les métiers, les passions, bref, tout ce qui fait le génie de Bob Siné. Ce demi-siècle et plus de dessin politique, d’humour, de réclame, de presse satirique, de coups de gueule en tous genre, réjouira aussi bien les plus anciens qui auront goûté les multiples facettes du dessinateurs, tout au long de sa vie, que les plus jeunes pour qui ce recueil formera certainement une joyeuse et radicale découverte !
GD, le 15 octobre 2009