" Je ne me considère pas comme un moraliste ou un éditorialiste, mais plutôt comme un artiste..." : ENTRETIEN AVEC MICHEL CAMBON, DESSINATEUR DE PRESSE

Comme d’autres dessinateurs résidant en province, tu fais mentir l’idée selon laquelle dans un pays centralisé comme la France, la carrière passe obligatoirement par la case Paris ?

Michel Cambon : J'étais étudiant lorsque mes premiers dessins rémunérés ont paru. J'avais pris le virus de la presse écrite au lycée où j'y animais avec des copains des journaux ou des fanzines. Je voulais être artiste, j'ai étudié la peinture et la lithographie aux beaux-arts d'Avignon, l'argent que je gagnais avec mes dessins me permettait de me payer mes tubes de peinture.

Plusieurs fois je montais à Paris pour montrer mes dessins, fils de cheminot j'avais droit à des billets de train gratuits jusqu'à mes 21 ans, le TGV desservait Grenoble, je n'avais que la réservation à payer, 4 ou 5 francs à l'époque, j'en ai profité! C'est ainsi que je suis allé rue des Trois-portes où Choron et Patrice Serre qui s'occupaient d'Hara-Kiri, m'ont pris des dessins pour les derniers numéros. Par la suite il y a eu Choron magazine. J'avais aussi publié dans l'Almanach Vermot. C'était plutôt des dessins d'humour. À côté, il y avait Gébé qui éditait Zéro, mais je n'avais pas réussi à le rencontrer, j'avais laissé des dessins sans succès. J'admirai beaucoup son travail. Et je continue à le regarder.

Petite précision quand j'ai débuté dans le métier, il n'y avait pas d'ordinateur donc on apportait ses œuvres dans les rédactions ou on les envoyait par la poste. Plus tard je me suis acheté un fax qui m'a permis de travailler à distance.

Quand je suis sorti de mon école d'art et que j'ai eu accompli mon service militaire, je suis revenu sur Grenoble ou je connaissais un journal qui avait déjà passé mes dessins. Le rédacteur en chef avait du goût pour les arts graphiques, le dessinateur précédent venait de disparaître, il m'a demandé de le remplacer et de produire 2 à 3 dessins par semaine. Payés en piges ! Sur Grenoble il y avait deux autres hebdomadaires, un qui s'adresse au monde rural et l'autre qui était communiste. À coté de Grenoble, à Voiron, je suis allé voir la directrice artistique d'une revue spécialisée, la Lettre du cadre territorial, qui me commande l'illustration d'un premier article. Le seul canard qui m'ai refusé des dessins c'est le quotidien du coin, ça ne faisait pas partie de sa politique éditoriale. Je travaille toujours pour ces publications à part l'hebdo communiste qui après être devenu mensuel a disparu. J'ai eu la chance de ne pas avoir à galérer. Je crois que je n'ai jamais mis les pieds dans une ANPE ! En 1991 j'obtiens ma première carte de presse.

Du coup je suis resté en province. Mes tentatives pour travailler pour la presse parisienne n'ont jamais été fructueuses, je manque probablement d'obstination et de talent. J'avais bien essayé de déposer des dessins au Canard enchaîné mais sans succès. Par contre la Grosse Bertha avait pris des dessins. Mais il y a eu une scission au sein de l'équipe, une grande partie a recréé Charlie Hebdo et la Grosse Bertha n'a plus paru.

Mais je ne me plains pas, le matin je me lève pour commenter l'actualité, voir comment le monde tourne et l'exprimer en dessins. Je le fais à Grenoble au milieu des montagnes et la vue de la chaîne de Belledonne enneigée sous un beau ciel bleu vaut bien celle de la Tour Eiffel ! En plus en ce moment y a les martinets qui animent le paysage.

Mes tentatives pour travailler pour la presse parisienne n'ont jamais été fructueuses, je manque probablement d'obstination et de talent

Tu dessines pour des organes de presse très différents, quels sont les spécificités de chacun du point de vue du dessinateur de presse que tu es ?

MC : En gros je travaille pour la presse hebdo régionale et la presse spécialisée. Pour les hebdos je fais du commentaire d'actualité et pour le reste c'est plus un travail d'illustration pour accompagner des articles avec un dessin si possible drôle. Beaucoup d'articles juridiques que je ne comprends pas toujours, un bon moyen de stimuler son imagination.

Tu allies de manière assez fine poésie et charge satirique. C’est quoi, un bon dessin d’actualité pour toi ?

MC : La poésie je ne sais pas. Même si j'ai la sensation qu'une belle idée rigolote qui traverse l'esprit, se rapproche de l'inspiration du poète. Mais je le vois plus dans ma pratique du dessin d'humour que dans le dessin d'actualité. En même temps, j'essaie de faire un commentaire d'actu comme je pourrais faire un dessin d'humour. À la fois par goût, j'aime le nonsense, l'absurde et à la fois par nécessité. Dans certains journaux pour lesquels je pige, tu ne peux pas faire d'attaque frontale dans une caricature ou aborder un sujet particulier au risque de voir le dessin refusé. Alors, pour éviter d'avoir à recommencer, il faut trouver un biais pour continuer à s'exprimer, par la distance et le décalage. J'essaie de faire rire, cela me protège de la censure. Pour moi un bon dessin, c'est un dessin pas trop bavard que tu as envie de regarder après l'avoir lu, de rester un petit moment avec lui, qu'il t'accompagne dans ta réflexion ou ta rêverie.

Tu mets souvent en scène des vaches pour évoquer les turpitudes du monde humain.

Pourquoi les vaches ?

MC : L'usage de l'animal c'est un vieux truc de caricaturiste, tu en sais quelque chose ! J'utilise la vache plus comme le véhicule d'un gag que d'une charge. J'ai dessiné des vaches d'abord pour la presse agricole, c'est l'animal de prédilection de l'élevage français, elles ornent nos paysages, elles produisent nos bons fromages et sont à l'origine de nos excellents steak frites. Et contrairement aux chiens ou aux chats, les vaches ne sont pas intimes des hommes, on ne les trouve pas dans les foyers, elles sont à l'extérieur, dans les vertes prairies à regarder passer les trains en achevant leur digestion (enfin, pour celles qui ne vont pas à l'usine !) un excellent point de vue pour observer l'humanité qui s'agite. J'ai fait pas mal de dessins sur les chiens, mais j'illustre plus la relation maître animal. Je trouve très amusant de voir les gens aller faire pisser leur chien.

D'abord pour l'Almanach Vermot, j'avais fait une série de gags sur le même principe que les chats de Siné, une légende avec un dessin qui l'illustre. Mais contrairement aux chats, il y a peu de possibilité de faire des jeux de mots avec le mot vache, aussi j'ai imaginé une espèce de collection délirante de la race bovine. Un copain dessinateur, Bouchard, qui avait monté une petite structure éditoriale a vu ces dessins et à voulu en faire un livre. Puis François Forcadell qui dirigeait une belle collection d'albums de dessins chez Glénat, m'a demandé de reprendre le principe. On en a fait deux tomes (de Savoie, haha!).

Par la suite il m'a proposé de les animer sur deux pages dans Cargo, une revue de bd et d'humour. Enfin lorsqu'il a créé Urtikan.net avec James Tanay, il m'a demandé de les reprendre pour commenter l'actualité. Ça n'a pas toujours était facile de trouver six dessins par semaine mais je me suis bien amusé. Dommage que cette expérience d'hebdo satirique sur internet n'aie pas eu une meilleure audience.

Je les avaient reprises aussi pour illustrer des brèves sur la liberté de la presse dans feue la revue trimestrielle Médias.

L'informatique à un peu bouleversé le métier, il me semble que ça a créée un autre rapport au dessin

Depuis tes débuts comme dessinateur de presse, quelles sont les principales évolutions ?

MC : Avant tout la lente disparition de la presse papier, principal support du dessin. Le web n'est pas rémunérateur, même si je fais un dessin par semaine pour le site de la Lettre du cadre qui est pigé. L'informatique à un peu bouleversé le métier, il me semble que ça a créée un autre rapport au dessin.

Et puis il manque aussi dans les rédactions des gens qui savent choisir et commander des dessins. Ce qui fait évoluer c'est d'avoir un regard un peu aigu sur ton travail, quelqu'un qui sache te dire si ton dessin est publiable ou pas et te pousse à progresser.

Le web est le réceptacle d'un nombre impressionnant de dessins merdeux qui malheureusement font école.

Quels sont tes principaux modèles dans l’histoire de la caricature ?

MC : J'admire beaucoup Tomi Ungerer. Il a un dessin très plastique il sait tout faire: de l'illustration jeunesse, du cartoon, de l'affiche, de la satire, du dessin d'observation, etc. Son dessin peut-être bon enfant comme il peut mettre mal à l'aise, avec une certaine brutalité. Il m'a décomplexé avec la couleur, on voit les traces de pinceaux, les mauvaises encres qui cloquent, c'est très loin des aquarelles soignées de quelques humoristes. Je me souviens avoir pris une claque dans une exposition à la fin des années 90 en voyant les dessins originaux de The party (une soirée mondaine en français). Là j'ai appris ce que c'était un dessin satirique !

Willem est rarement mal inspiré, peu de mots, tout est dans le graphisme, ses caricatures comme ses bandes dessinées sont réjouissantes. J'aime regarder Chaval je connais peu de ses dessins qui tombent à plat.

Gébé, en voilà un à la fois poète, satiriste et philosophe ! George Grosz dont j'ai de nombreux livres. Siné, mais aussi dans d'autres genres Ever Meulen, Glen Baxter, des américains comme Saul Steinberg, Gahan Wilson, Sam Gross, Chas Addams ou James Thurber qui a inventé de délicieuses légendes absurdes qui me font toujours rire. À un moment j'ai regardé Sennep, un dessinateur prolixe d'une grande invention graphique. Je suis aussi très friand des dessins de Steve Bell et Martin Rowson dans le Guardian, de belles charges féroces que je ne comprends pas toujours mais j'en apprécie la qualité graphique. Je n'aime pas le dessin de presse éditorial américain, je trouve ça chiant et donneur de leçon. J'aime bien Kamagurka, Lécroart, Rémi et Copi dans un genre plus bavard.

Comment définirais-tu le rôle du dessinateur de presse aujourd’hui ?

MC : Je n'en sais rien! Il ne sauvera pas le monde en tout cas.

Pour ma part j'essaie d'apporter un regard différent sur le monde. Je ne me considère pas comme un moraliste ou un éditorialiste, mais plutôt comme un artiste qui à chaque dessin, révèle un détail du portrait qu'il fait de son époque.

Comme d’autres tu as sans doute lu le livre d’entretiens de Numa Sadoul. Pas de femme dans les dessinateurs choisis, pas de dessinateur de province…

MC : Non mais un belge ! Pour un parisien c'est presque pareil, non? Un gars comme Iturria aurait eu beaucoup de chose à raconter. Pierre Samson aussi, qui est un dessinateur singulier. Pas de femmes, oui, mais il y a beaucoup de vieux !

Depuis l’affaire des caricatures de Mahomet, Plantu évoque l’idée d’une responsabilité du dessinateur quant à d’éventuelles instrumentalisations de ses dessins à l’autre bout du monde. Il réclame donc une forme d’autocensure. Qu’en penses-tu ?

MC : Je ne dessine pas pour d'obscurs bourreurs de crâne, manipulateurs d'images à l'autre bout de la planète ou au fin fond du web. Je dessine pour des lecteurs honnêtes. Une fois publié, le dessin nous échappe, je ne suis pas derrière chaque lecteur pour lui expliquer le sens de mon travail. Il se peut qu'il soit mal compris, mal interprété, qu'il choque comme il peut être mauvais aussi, mais je ne me demande pas avant de le faire paraître si la mosquée de Al-Azhar va être contrariée. En outre je ne pense pas qu'ils soient abonnés aux Affiches de Grenoble et du Dauphiné !

La caricature est un art populaire d'une lecture simple et immédiate, elle peut appeler à la liberté, ce qu'elle fait le plus souvent, comme elle peut appeler à la haine, l'histoire du genre en témoigne.

Accéder au site de Michel Cambon...

Propos recueillis par Guillaume Doizy en haut du Rocher de l'Homme (2755 mètres), mai 2014

Dessin de Cambon publié dans Hara-Kiri

Dessin de Cambon publié dans Hara-Kiri

Dessin paru dans Les Affiches de Grenoble

Dessin paru dans Les Affiches de Grenoble

Dessin paru sur le site Urtikan.net

Dessin paru sur le site Urtikan.net

Tag(s) : #Interviews
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