4eme de couverture de la Grosse Bertha n°19 (mai 1991)
4eme de couverture de la Grosse Bertha n°19 (mai 1991)

J'ai déjà présenté mon parcours et ma rencontre avec la presse satirique hebdomadaire dans un précédent article.

Quand j'achète mon premier numéro de la Grosse Bertha (n°13 du 11 avril 1993) à la sortie d'un concert de Font & Val, j'y retrouve des atmosphères connues :La philosophie militante, compréhensible (à l'époque), instructive (à l'époque) et drôle (à l'époque) de Philippe Val ;L'humour décapant de Patrick Font (toujours actif sur www.lecoqdesbruyeres.fr) ;Les dessins de Cabu, Gébé, Willem que je connaissais par les albums des Editions du Square (éditeur de Hara-kiri et du premier Charlie hebdo) ;Les dessins de Lefred-Thouron (j'étais lecteur de l'Equipe… mais je me suis soigné !) ;Les planches de Hugot et le trait de Héran que je lisais dans les Fluide Glacial achetés avec mon cousin (des fois juste pour cacher un Penthouse ou un Playboy !!!)...

Un de mes premiers achat de magazine : Fluide Glacial n°157 – juillet 1989

Un de mes premiers achat de magazine : Fluide Glacial n°157 – juillet 1989

Le mélange de dessins (Cabu encore, mais aussi Cardon) et de texte que j'avais découvert dans les quelques numéros du Canard Enchaîné que j'avais pu feuilletés ; un peu plus tard, l'humour d'Albert Algoud qui faisait des sketchs avec Karl Zéro dans Nulle part Ailleurs sur Canal +.

J'y découvre Siné (mieux veut tard que jamais !), Kafka (futur Francis Kunz de Groland), Charb, Jiho, Tignous, Honoré, Jean-Jacques Peroni (co-auteur de sketchs avec Font & Val en 1990-91 et plus tard de Laurent Gerra), Arthur (Henri Montant), Fredo Manon-Troppo (Frédéric Pagès),… Petite mention spéciale pour un rédacteur avec qui j'ai la chance de correspondre maintenant : Kleude et sa rubrique "Kleude est con", fin représentant de l'humour "bête et méchant" et précurseur de "brèves" du Charlie à venir.
Il est amusant de noter que dans ce même n°13 Cavanna se fait gentiment brocarder après un passage à la télé sur la défense des animaux….

En 1990-91, je quittais le domicile familial pour le domicile conjugal avec le prétexte de tenter d'essayer de faire des études scientifiques. J'ai beaucoup plus progressé au billard !
A cette période, peu de nos copains et relations partageaient notre intérêt pour l'approche satirique de l'actualité que ce soit avec Font & Val ou la Grosse Bertha. C'est pourquoi dans notre studio, il y avait une corde à linge sur laquelle nous suspendions systématiquement le dernier numéro paru et lu.

Nous avions quand même réussi à embringuer un copain dans la réalisation d'un fanzine ("Le Casse-Gueule", le journal qui casse sans faire la gueule !) très inspiré par la Grosse. Il n'y eu qu'un numéro, tiré à un unique exemplaire (budget photocopie oblige) qui a circulé parmi nos copains étudiants avant de se perdre dans la nature…

Cérémonie de lancement du Casse-gueule – première série – décembre 1991

Cérémonie de lancement du Casse-gueule – première série – décembre 1991

Lecteur assidu, je me suis abonné assez vite et j'ai eu la chance de recevoir le désormais rarissime pin's de Siné. Tignous dessinera le suivant.

Avant d'être "Charlie", j'étais "Grosse" ! (Mémoires de lecteur de la Grosse Bertha, 1991-1992)

Passage en revue des numéros marquants :

N°15 – avril 1991

N°15 – avril 1991

A ma connaissance, c'est la première couverture de Charb dans un hebdomadaire national (il dessinait aussi dans Canicule, mensuel dirigé par Eric Martin).

 N°24bis – juin 1991

N°24bis – juin 1991

Jacques Chirac, voulant récupérer les électeurs du Front National (air connu…), avait, lors d'une fin de banquet du RPR, évoqué "un travailleur français" habitant à côté "d'une famille, avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses […], si vous ajoutez à cela, le bruit et l'odeur […]…".

Zebda en fera un tube et Cabu une superbe couverture de La Grosse Bertha.

Avant d'être "Charlie", j'étais "Grosse" ! (Mémoires de lecteur de la Grosse Bertha, 1991-1992)

Au même moment, une publicité pour un désodorisant d'intérieur avait pour slogan "une petite claque aux mauvaises odeurs".

Honoré réalise un bijou en 4eme de couverture.

Cela reste pour moi, 25 ans après, un des meilleurs dessins de presse que j'ai pu voir !

Si ce dessin colle à l'actualité, il a un côté intemporel (du moins tant que les préjugés sur l'odeur des noirs perdureront…) ; le dessin est militant mais de manière subtile ne montrant aucune animosité directe envers quiconque ; le style d'Honoré détonne vraiment des autres dessinateurs ; le côté érotique n'est pas pour me déplaire…
En 2002, quand Jean-Marie Le Pen arrive au deuxième tour des élections présidentielles, j'avais fait une copie de ce dessin et l'avais affiché dans mon bureau sur mon lieu de travail. Je ne l'ai refait qu'une fois depuis : le 8 janvier 2015 avec la couverture de Luz "L'amour plus fort que la haine" (Charlie-hebdo n°1012).

N°26 – juillet 1991

C'est dans ce même numéro que l'on trouve, je pense pour la première fois dans la presse nationale, des dessins de Riss et Luz.

N°31 – août 1991 : chute de l'URSS et voyage de noce

N°31 – août 1991 : chute de l'URSS et voyage de noce

Si noce il y avait eu, ç'eut été un voyage de noce. J'étais en Hongrie en août 1991 quand le putsch contre Gorbatchev eu lieu. Il y avait encore des troupes militaires soviétiques en Hongrie à cette date. Vous pouvez alors imaginer l'inquiétude des amis qui nous hébergeaient à Budapest.

Je n'ai lu les numéros de la Grosse Bertha qu'à mon retour avec la (bonne) surprise de retrouver la signature de Cavanna dans un hebdomadaire satirique.
Dans ce journal, Cavanna ne fera que quelques apparitions. Une de celles dont je me souviens encore aujourd'hui se trouve dans le n°48 (décembre 1991) avec pour titre "Ils ont amené le drapeau rouge ! Prends-moi pour un con : j'ai chialé". Anti-communiste de tout temps, ayant approché lors de voyages en Hongrie le quotidien sous un régime communiste, je me suis retrouvé dans cet édito tout en subjectivité sincère. Il ne reprendra une rubrique régulière que dans Charlie-hebdo en juillet 1992.

N° 33 – septembre 1991

Nouvelle rubrique : "Les belles réponses de l'Oncle Bernard" première chronique de Bernard Maris. Même si j'ai eu par la suite des désaccords avec ses points de vue (projet de traité constitutionnel européen en 2005, notamment), il restera toujours celui qui m'a fait découvrir que l'économie était (et devait) être compréhensible par tous.

N°35 et N° 36 – octobre 1991

Premières rubriques de Gérard Biard et Olivier Cyran.
Gérard Biard deviendra rédacteur en chef de Charlie Hebdo en 2004 après le décès de Gébé. D'abord critique cinéma, j'ai pris l'habitude de lire ces textes en travers. Il faut dire qu'à côté de Cavanna, Gébé, Siné, Lançon… la comparaison était difficile à tenir. Son texte du numéro vert (14 janvier 2015) m'a fait changer d'habitude.
Olivier Cyran suivra Philippe Val à Charlie Hebdo et y restera jusqu'en 2001. On le retrouvera en 2003 parmi les créateurs de CQFD. Il est depuis un farouche et constant opposant aux dérives réelles ou supposées de Philippe Val et Charlie-hebdo.

Je ne résiste pas au plaisir de publier cette parodie de l'affiche du spectacle de Robert Hossein "Jésus était son nom". Une preuve flagrante que l'islamophobie hantait déjà les futurs piliers de Charlie-hebdo !

Avant d'être "Charlie", j'étais "Grosse" ! (Mémoires de lecteur de la Grosse Bertha, 1991-1992)

Cette couverture sera l'objet d'une des nombreuses démarches judiciaires (la plupart du temps sans succès) de la part de l'AGRIF (Alliance Générale contre le Racisme et pour le respect de l'Identité Française et chrétienne). Cette association était dirigée par Bernard Anthony (alias Romain Marie), membre du Front National.

Je découvrais pendant cette période, autour de mes 20 ans, à travers la Grosse Bertha, l'existence de militant d'extrême droite. On pouvait donc passer de l'énergie pour un monde plus injuste, plus inégalitaire et moins fraternel !? Je devins militant anti-raciste et anti-fasciste à vie !

N° 45 – décembre 1991

N° 45 – décembre 1991

Début des échanges récurrents plein de mauvaise foi amicale entre Charb et Siné. Mais comment en sont-ils arrivés à se fâcher ?

N°52 – janvier 1992 et Charlie Hebdo, 2009
N°52 – janvier 1992 et Charlie Hebdo, 2009

N°52 – janvier 1992 et Charlie Hebdo, 2009

Dessin de Cabu suite à la catastrophe du Mont St-Odile (Alsace) qui fit 87 victimes. Un commentaire est-il nécessaire ? J'adore cet humour. En 2009, Frédéric Lefebvre, alors porte-parole de l'UMP, appellera au boycott de Charlie-hebdo (a-t-il été "Charlie" le 11 janvier ?) suite à ce dessin réalisé après le crash du vol Rio-Paris.
Lequel est le plus violent ?

N°68 – mai 1992

N°68 – mai 1992

Entête de rubrique en 4eme de couverture.L'équipe de l'émission de France-Inter "Rien à cirer" dispose d'un bon tiers de quatrième de couverture à partir de ce numéro et jusqu'à la séparation. Cela continuera quelque temps dans le nouveau Charlie-hebdo.

Auditeur fidèle du dimanche matin (L'oreille en Coin puis le Vrai-faux Journal de Claude Villers puis de Rien à Cirer), j'étais donc heureux de retrouver dans mon journal les signatures de Laurent Ruquier, Patrick Font, Jacques Ramade et Anne Roumanoff.

Je n'ai jamais retrouvé plus complet depuis.

Avec l'arrivée du chanteur Renaud dans le numéro 71 (juin 1992), je trouvais dans La Grosse Bertha la quasi-totalité des artistes que je pouvais apprécier à l'époque (je vais en oublier…) :
Les textes de Philippe Val et de Patrick Font (chacun dans leur style) ;
Les anciens de Charlie-hebdo (Cabu, Cavanna, Gébé, Siné, Willem, Kamagurka,…)
Des dessinateurs qui allaient suivre le chemin de leurs illustres ainés (Charb, Luz, Tignous, Riss, Lefred-Throuron, Honoré, Bernar…)
Quelques autres un peu plus rares (Cambon, Delambre, Brito, Kafka, Gorce, Berth…)
Des rédacteurs venus d'horizons différentes avec chacun leur univers (Oncle Bernard, Xavier Pasquini, Renaud, Gérard Biard, Olivier Cyran, Fredo Manon-Troppo, Jean-Jacques Peroni, Albert Algoud, Laurent Ruquier…)
Remarque : je n'ai jamais su qui se cachait derrière Paul Gerbus !?

Une sacrée brochette de talent, très hétéroclite, mais à la fois bête, méchant, intelligent et drôle (je pouvais vraiment avoir des fous rires en lisant !).

Les quelques textes de Jean-Cyrille Godefroy, éditeur et directeur de publication, étaient souvent pertinents et drôles. La formule "Jean-Cyrille Godefroy avait été très ferme…" pour introduire une chronique de Val ou Peroni laissait entrevoir une certaine complicité. J'étais loin de la réalité.

La séparation

J'ai appris le lancement de Charlie-hebdo en juillet 1992 dans "Rien à cirer" par Patrick Font.

Jean-Cyrille Godefroy (La Grosse Bertha n°75 – juillet 1992) : " […] Conçue comme le Journal qui salit tout, la Grosse Bertha entend rester le journal de l'irrespect, sans "ligne" et sans vergogne. […] Comment faire coexister les buveurs guéris non fumeurs supporters de la Bosnie et les fumeurs invétérés bourrés défenseurs de l'Herzegovine ? […]"

Philippe Val (Charlie hebdo n°1 – juillet 1992) : "[…] J.-C. Godefroy entouré d'un quarteron de généraux félons, a décidé de mettre un terme à notre collaboration. Accusés de vouloir faire un "torchon écolo-rosâtre", un "journal favorable à l'establishment", une "feuille tiers-mondiste", un "brûlot lycéen", nous voilà à la rue. […]"

Arthur (Henri Montant, ancien de Charlie-hebdo première version, pilier de la Gueule Ouverte, que l'on retrouvera dans le Hara-kiri hebdomadaire de 1993, dans CQFD,…) sur le site Bakchich.info en juin 2008 : "[…] A la surprise générale, dont la mienne, Philippe Val ne tarda pas à prendre le pouvoir, se faire nommer "rédacteur en chef" d'une équipe de libertaires (!) et imposer une "ligne" avant, n'y arrivant pas, de quitter la Grosse pour relancer Charlie avec l'aide du chanteur Renaud. […]"

Bien que la Grosse Bertha et la suite (cf chapitre suivant) garda un bonne dose de talent, je ne pouvais que suivre Cavanna, Val, Font, Renaud, Gébé, Siné, Willem, Charb, Tignous, Luz,… au sein de Charlie-hebdo renaissant. Je laissais donc finir mon abonnement et ne rachetais que deux ou trois numéros. C'était une connerie !

Un peu d'histoire avant de conclure

La Grosse Bertha continua sous la même forme jusqu'au numéro 98 (décembre 1992).
Début 93, une association avec l'équipe du Professeur Choron (Vuillemin, Schlingo, Rosse, Berroyer,…) transforme la Grosse Bertha en une version hebdomadaire de Hara-kiri. Il n'y aura que 10 numéros.

En novembre et décembre 1993, la Grosse Bertha revient en hebdomadaire pour 6 numéros. On y retrouve de la première version : toujours Jean-Cyrille Godefroy comme éditeur et directeur de publication, Arthur, Peroni, Grangil (plus d'autres dont Luis Rego) pour des textes et les dessinateurs Lefred-Thouron, Berth, Fawzi, Kafka.
Un prolongement est tenté avec un mensuel, la Gaule. Il n'y aura, à ma connaissance, qu'un seul numéro en mars 1993.

Je mets aussi dans cette série la version hebdomadaire de Hara-kiri de septembre 1996 (4 numéros) parce qu'on y retrouve beaucoup des participants à la Grosse Bertha. Le rédacteur en chef est François Forcadell qui avait initié la version de 1991. Parmi les rédacteurs et dessinateurs déjà rencontrés : Nicoulaud, Soulas, Jiho, Berth, Arthur, Lecroart, Samson, Loup, Guy Konopnicki.

Enfin, six ans après, sort un ultime (et unique) numéro de la Grosse Bertha dans lequel ne figure aucun des noms qui a fait la renommée du journal jusque-là. Plaidoyer contre la guerre au Kosovo, le journal regroupe principalement des signatures de la mouvance que l'on qualifiait souvent de rouge-brun autour d'Alain de Benoist et de la Nouvelle Droite. Apprenant cela, plusieurs personnalités (dont Renaud) s'étant fait piéger, se désolidariseront de la pétition, publiée dans ce numéro, dans laquelle leur nom figure.

Conclusion

Pages centrales du n°48 – décembre 1991

Pages centrales du n°48 – décembre 1991

Voilà ce qui résume, pour moi, la Grosse Bertha : une concentration de talent subversif, drôle et très varié. Je ne retrouverai jamais cela dans aucun autre hebdomadaire. Dommage ! Toute cette bande (rédacteurs et dessinateurs) m'avait vraiment appris que l'on peut voir les grands sujets d'actualités (sang contaminé, Eurodisneyland, téléthon, jeux olympiques, arrestation de Touvier,….) en faisant "un pas de côté" pour découvrir un autre angle que celui proposé par les médias traditionnels. "Toute la bande", c'est ce qui était mentionné dans l'ours comme rédacteur en chef pendant une quinzaine de numéro. Ils reprenaient alors ce qui se faisait dans Charlie-hebdo de 1974 à 1977 !

Il y avait même la touche "bête et méchante". Que demander de plus ?

Avant d'être "Charlie", j'étais "Grosse" ! (Mémoires de lecteur de la Grosse Bertha, 1991-1992)

Je reprends encore pour conclure les mots d'Arthur, toujours en 2008, parlant du départ de Cabu et Val de la Grosse Bertha : "[…] C'est de là que date la véritable scission de l'internationale satirique et – au-delà des querelles idéologiques – c'est ce que l'on peut reprocher le plus à Val : avoir séparé une bande de copain sans hiérarchie, rigolards, pour en arriver aux procès où le pauvre Choron – qui voulait garder son titre de "Charlie" – fut traité d'escroc par l'avocat de son ami Cavanna […]".

(Lefred-Thouron (jusqu'en 1996), Kamagurka (quelques temps), Rémi (quelques dessins) et Gorce (une planche) seront les seuls à dessiner pour la Grosse et Charlie en même temps.)

Cyril Bosc, juin 2015
Amateur et collectionneur de presse sa
tirique

Petite bibliographie très subjective

La Grosse Bertha (1991-1993, Paris), notice de 6 pages, François Forcadell, nov. 2011, Ridiculosa n°18-2011 "Les revues satiriques françaises"
La Grosse Bertha 1991-1993, entretien avec François Forcadell, mars 2015, dBD hors-série n°14

Tag(s) : #Presse "satirique"
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