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De gauche à droite et de haut en bas : Coco, Bauer, Berth et Faujour

 

Quarante-cinq dessinateurs/trices ont répondu à l’appel lancé pour soutenir, par leurs dessins et leurs caricatures, les grévistes de PSA. Chacun permettant aux grévistes d’utiliser les oeuvres fournies (mises en ligne sur le blog Dessins en lutte) dans le cadre du mouvement. Coco, Berth, Faujour et Bauer se sont particulièrement engagés dans ce combat… Quatre regards très différents sur la définition de l'engagement du dessinateur de presse.

 

Vous avez rapidement répondu à l’appel que j’ai lancé aux dessinateurs pour soutenir la grève de PSA, pourquoi ?

COCO : Parce que je voulais soutenir les PSA dans leur grève, ce qui leur arrive est tout simplement dégueulasse, et bon nombre d'employés en France sont soumis à cette injustice -Renault, Doux, LeJaby...- Les patrons s'engraissent, les salariés trinquent... Le gouvernement ne fait rien. Ca suffit.

BERTH : J’ai répondu rapidement parce que le dessin était déjà fait, j'ai juste eu à modifier un peu le texte. Et si j'ai répondu positivement, c'est parce que la cause me semblait juste et que j'avais un peu de temps à y consacrer. De plus, il me semble que le microcosme du dessin de presse (dont je fais partie) aime bien avoir le sentiment de se sentir utile en embrassant une cause à travers un petit dessin rigolo ou militant.

FAUJOUR : Pour te filer un coup de main et parce qu'il faut les soutenir les grévistes tout de même non? Sans pour autant donner un chèque en blanc à la CGT...

BAUER : Je participe car il y a des causes qui n attendent pas.... Je ne connais personne dans mon entourage qui bosse à PSA, mais la lutte syndicale m’intéresse, je roule dans une bagnole qui a été fabriquée par des gens, par des humains, et que ces humains je veux qu’on les respecte. Je ne suis pas un anti patron primaire, mais lorsque les patrons usent et abusent de leur autorité, qu’ils licencient a tort et à travers, qu’ils mettent sous pression leurs équipes, ca a une grosse tendance à m énerver. Les mecs (et nanas) de chez PSA (mais ca concerne d'autres boites) ne sont pas des outils intégrés à leur chaine de travail, ce ne sont pas des objets, ils ont une vie de famille, des droits et je me range volontiers à leur côté en leur offrant quelques dessins de soutien. Dans la lutte qui est la leur en ce moment, j’espère que de se sentir soutenus, entre autre par des dessinateurs, leur apporte un (tout) petit peu de réconfort...

 

Le métier de dessinateur de presse est très divers. Commenter l’actualité ou illustrer un article n’est pas obligatoirement exprimer son opinion personnelle. Comment concevez-vous votre rôle et comment concilier les multiples facettes (parfois contradictoires) de ce métier ?

BAUER : Dans la plupart des cas on exprime quand même notre opinion personnelle, en tout cas, c'est mon cas je crois. Disons qu’on apporte notre point de vue imagé sur une situation, en trouvant un décalage qui permet d'y ajouter la touche d humour. Je ne conçois pas de dessiner sans y mettre de ma conviction personnelle. J ai choisi ce métier (ou m a t-il choisi?) pour garder cet espace de liberté. Je ne cherche pas à imposer mon point de vue, mais j essaie de crier ma révolte, de montrer ma hargne, ou d'inclure de l’humour dans des sujets souvent dramatiques. C'est là où je trouve l’essence même de l’intérêt de mon métier. Si ca ne me fait pas « bander », aucun intérêt...

BERTH : En ce qui me concerne, il n'y a aucune contradiction dans la mesure où je n'ai pas d'opinion à défendre. Mon opinion, mes idées étant celles d'un individu lambda, il n'y a aucun intérêt à ce qu'elles transparaissent dans un dessin de presse ou d'actualité. Mon travail consiste uniquement à illustrer ce que j'entends, ce que je lis ou ce que je vois, et ceci si possible de façon un peu décalée, déconnante, ou absurde.

FAUJOUR : Notre rôle c'est a minima. Le politiquement correct est passé par là il y a delà pas mal de temps. Je ne suis pas un dessinateur d'opinion et de toute façon, mon opinion les rédacteurs s'assoient dessus. Je suis juste prestataire de service: je bouche des trous dans les maquettes...

COCO : Quand on dessine dans la presse, notamment la presse satirique et engagée, on se doit d'être en cohésion avec ce que l'on dessine. Ce qu'on dessine, on doit le penser, sinon cela n'a aucun sens. C'est pour cela qu'un dessin de presse peut avoir tant d'impact et mener au débat. Le dessin va plus loin que lui même, il défend des convictions profondes, des idées, des avis politiques... Il est vrai que nous, dessinateurs, pouvons nuancer nos propos dans nos dessins : adoucir, ou pas le message qu'on véhicule. User d'un décalage par rapport au fait traité, afin d'amener un peu de distance et dédramatiser une situation. Dessiner pour un article par exemple, nous oblige à conjuguer avec l'avis du rédacteur (qui n'est pas forcément le nôtre) et notre avis du texte. Notre rôle est là d'apporter à un texte un peu d'humour, de dérision, de sarcasme...

 

Avez-vous parfois le sentiment de dessiner contre vos idées ?

COCO : Non, jamais contre mes idées. Je dessine pour des ateliers d'enfants, là, je mets de côté mes idées politiques et religieuses, évidemment. Je m'adapte en fonction d'une ligne éditoriale ou d'une demande, mais j'ai choisi de m'inscrire dans un type de presse qui défend mes idées, qui est en cohésion avec ce que je pense, qui partage aussi l'humour et la liberté d'expression. Je ne vais pas contre ce que je pense.

FAUJOUR : Oui bien sûr c'est ce qui s'appelle dans l'alimentaire une obligation de résultat, ou alors tu ne prends pas le boulot. Bon, bien sûr y'a des limites que je ne franchirai jamais tout de même, faut pas déconner non plus !

BAUER : Dessiner contre mes idées ? Non, jamais, et si c'était le cas, je refuserais le boulot. Je ne suis pas du genre à me renier... Dans les cas présent, les grands patrons de PSA me feraient un pont d’or pour que je dessine contre les syndicats, les ouvriers et employés, je refuserais bien évidemment... Je crois qu’être un dessinateur de presse est un engagement politique, et au minimum un engagement citoyen. On fait en quelque sorte de la résistance aux dictats qui nous font chier (la mondialisation, les pollueurs, les états totalitaires, les dérives intégristes des religions, les magouilles des politiques, les réacs de tout poil, etc., etc.)...

BERTH : Le problème c'est que, pour avoir véritablement des idées sur un sujet, il faut être spécialiste de ce sujet. Or, je ne suis spécialiste en rien, je ne suis pas un expert politique, ni un professionnel du droit, ni un analyste économique, etc. Je m'interdis de faire semblant d'avoir des idées et surtout de les dessiner, ce serait ridicule, ça ne volerait pas plus haut que les propos d'un pilier de comptoir aviné.

 

Avez-vous déjà eu l’occasion de vous engager avec vos dessins, de soutenir d’autres causes ?

BERTH : Oui mais si possible pas dans le cadre de mon travail de dessinateur de presse, uniquement en dehors, dans un cadre comme celui-ci, pour soutenir une cause. Là, il n'est plus question de décalage, il suffit juste d'adhérer à la cause en faisant du dessin au 1er degré. La revendication dit ça, le dessin doit dire pareil, de façon basique. Après, toute la difficulté consiste à être simple et efficace. Ca s'apparente beaucoup plus à de la communication publicitaire qu'à du dessin de presse.

COCO : De mon côté, j'ai dessiné pour l'unicef, pour le DAL (droit au logement),  France Terre d'Asile (vente aux enchères au profit de l'association ),  les Restos du coeur dont on a parlé au grand journal (un impact non négligeable pour ce genre d'action bénévole et solidaire).  J'agis également pour le Téléthon avec une intervention soirée dessin bénévole tous les ans à l'Ecole alsacienne de Paris. Je soutiens RESF, le droit à l'avortement en Espagne (édition de badges et t shirts), et récemment NDDL...

FAUJOUR :On va dire que du dessin gratos et bénévole j'en fais tout le temps ( et même un peu trop parfois : DAL et moultes fédérations syndicales ou associations en tout genre...) et pour tous ceux qui me le demandent. En général,

je ne suis pas forcément d'accord avec les partis et les directions syndicales, mais pour les mecs de la base, oui, j'essaye toujours de filer un coup de main. Mais je ne loupe jamais non plus l'occasion de leur dire que souvent ils ne vont pas assez loin et aussi de leur rappeller qu'à défaut d'avoir un budget, il faut si possible me faire parvenir un exemplaire de la publication,  affiche, tract, etc... Mais ça, c'est pas gagné ! Mon seul militantisme, c'est  pour la liberté totale d'expression et paradoxalement, ce n'est pas dans les mouvements syndicaux que je risque de la trouver un jour, c'est même l'inverse. Trop de chapelles, de manque de courage, trop de politiquement correct de gauche...

BAUER : Soutenir des causes, ca m'est arrivé très souvent... Pour les sans papiers, pas mal de syndicats (Sud, etc), les Restos du cœur, le téléthon, l Unicef, la FIDH (Fédération de la ligue des droits de l homme), des assos... Après, cela reste mon métier, je ne suis pas un bénévole du dessin, et c'est avec mes petits dessins que je donne à crouter à mes trois enfants, donc, je ne fais pas que cela... mais donner un peu de temps pour faire un dessin pour une cause ne me pose aucun souci, bien au contraire....

 

Parleriez-vous dans ce cas de dessins « militants » et jusqu’où iriez-vous dans le fait de mettre votre crayon au service d’une revendication ?

FAUJOUR : Je sais pas... le militantisme ça va ça vient. Tu croises beaucoup de gens casse-couilles et didactiques dans le militantisme, les militants ouverts à l'humour sans limites sont peu nombreux, tout simplement parce que leur humour s'arrete aux limites de leurs convictions politiques. Je te le redis, je file un coup de main, c'est mon coté catho de gauche breton et bon samaritain. C'est aussi un deal, une manière de se couvrir : hé les mecs, je vous ai filé un coup de main mais moi, quand je trangresse vos lignes politiques, ne faites pas chier svp...

COCO : Pour moi, ce sont des dessins militants et engagés, ce sont des causes que j'ai envie de défendre et/ou d'aider. Ce sont des messages de soutien, une possibilité de communiquer sur un fait important, à mes yeux. Le dessin a un réel potentiel impactant, c'est pourquoi il est nécessaire dans ces démarches de soutien et de solidarité. Jusqu'où j'irais? Jusqu'au bout de mes idées et de mes envies.

BERTH : Mon crayon, je le mets au service de ceux qui me le demandent puisque ceux qui me le demandent estiment que je peux mettre mon crayon à leur service ! Je reconnais, c'est un peu naïf comme démarche. Parfois d'ailleurs, j'ai bêtement confiance : j'ai fait dernièrement un dessin pour soutenir les opposants à l'aéroport Notre-Dame-des-Landes. J'avoue ne pas m'être intéressé plus que ça au dossier, j'ai adhéré à la cause sans trop me poser de questions. Si ça se trouve, c'est un très beau projet cet aéroport. Mais comme la demande émanait de gens avec lesquels, potentiellement j'étais en accord, j'ai accepté de faire un dessin.

BAUER : Bien sur que ce sont des dessins militants. Outre les dessins "offerts" pour de justes causes, chacun des dessins que je publie chaque jour dans différents journaux sont des dessins militants, qu’ils parlent de politique, d économie, d'écologie, de social, de religion. Je m’engage à chaque fois que je publie un dessin de presse. Lorsqu’ à la fin de mon dessin j y appose ma signature, je signe mon engagement à l idée que je viens d'exprimer...

 

Quelle peut-être la portée d’un dessin engagé ? Son impact, son rôle, son efficacité ?

COCO : En ce qui concerne les PSA, j'espère que cette mobilisation de dessinateurs leur apportera plus de poids dans leur grève et leur revendication. Nos dessins sont comme des slogans, mais se comprennent sans lire le moindre texte. J'espère que notre soutien leur sera utile à faire entendre leurs droits et leur mécontentement justifié. Un dessin va droit au but, sans détour ni chichi. C'est comme ça que je m'emploie à créer mes dessins. L’Humour est essentiel pour mettre en exergue les situations les plus délicates, tantôt dédramatiser, tantôt pointer du doigt des coupables qui nous semblent évidents.

BAUER : Il faudrait poser la question de l'efficacité de nos dessins aux lecteurs !!! Je pense sincèrement que nos dessins peuvent avoir du poids... Sinon, notre métier aurait depuis longtemps disparu. J’aime être en colère contre ce qui me révolte, et les lecteurs nous demandent d'être indignés, ils ont besoin de voir dans les journaux un esprit contestataire... Etre révoltés, c'est rester libres, et rester libres, c'est être vivants.

FAUJOUR : La portée d'un dessin engagé ? Un dessin n'a jamais changé le monde ni quoi que ce soit ou alors de façon limité, mais c'est tout de même gratifiant quand il fait rire, même un petit nombre de personnes. Dans ce cas, il a au moins servi a ça : créer du lien et un bon moment.

BERTH : Un dessin engagé n'a aucun impact sur quoi que ce soit. Il ne faut pas surévaluer son rôle. Concernant ce conflit, j'imagine mal les dirigeants de Peugeot se dire, en voyant les dessins : "Aaaaargl ! C'est vraiment trop fort, on abdique...". Les dessins ne servent à mon sens qu'à soutenir les grévistes dans le sens d'un soutien moral : les grévistes ne se sentent pas seuls, on leur montre qu'on est là, avec eux. Après, les dessins peuvent être utilisés comme moyens de communication par eux, ou servir à récolter quelques fonds. C'est, à mon sens, aujourd'hui, le seul rôle que peut tenir un dessin dit engagé, dans un conflit. Un dessin n'a jamais changé la face du monde, il n'est que ce qu'il est : une illustration. L'illustration d'un propos, d'un combat, d'un événement. On ne peut pas lui en demander plus.


Blog des dessins en soutien aux grévistes de PSA

 

Propos recueillis par Guillaume Doizy, février 2013

 

 

 

Tag(s) : #Interviews
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