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De loin, j’apprécie votre échange avec une certain gourmandise et je me permets de m’y immiscer, en apportant quelques remarques sur l’argumentation de Guillaume Doizy :


-          Michel Dixmier a, depuis 1974 ce qui ne nous rajeunit pas, rectifié cette légende de «  l’Assiette au beurre comme brulôt anarchiste », en mettant au jour des contradictions tout à fait équivalentes à celles remarquées ici chez Jossot. A mon sens, auucun dessinateur ni même auteur polémiste ou engagéde l’époque  n’échappe à ce genre de contradictions.  Ainsi, pour prendre un exemple, il n’est pas rare de trouver des remarques tout à fait ignobles avec les juifs dans le Père peinard de Pouget ou dans L’Egalité sous la plume de Zévaco. Je ne parle pas des femmes, celles-ci n’étant pas souvent traitées respectueusement dans la caricature, et défendues assez curieusement par de purs « réactionnaires » comme Jean-Louis Forain. En fait, les adjectifs de « progressistes » ou « réactionnaires » me semblent ici relever d’une sincérité militante très méritoire mais malheureusement anachronique.


-          L’antipathie envers Jossot, ou l’aversion envers son « opportunisme » importe peu (un peu tout de même mais pas tant que cela). C’est un éternel débat sur le rapport entre un homme et son oeuvre. Autant je suis pleinement d’accord  pour reconnaître des contradictions chez Jossot, autant je ne pense pas que l’ « opportunisme » soit l’épithète première pour qualifier son oeuvre, malgré la part de ses dessins qui peut ne pas sembler « conforme » à la rage de la plus grande partie de son oeuvre...A moins, justement que ce ne soit le contraire et qu’une rage hystérique ravage les cohérences idéologiques et les clivages pré-supposés de notre approche contemoraine.


-          Je réfute totalement le postulat selon lequel «envisager la nature de l’engagement » déterminerait en quoi que ce soit la réception de l’oeuvre, hors le champ restreint d’un petit cénacle à même d’identifier les signatures et d’en décrypter plus ou moins correctement le sens induit. Ceci est en absolu contradiction avec la culture de masse en cours d’élaboration, cette valeur de l’identification de l’auteur relevant purement d’une culture élitiste, celle des Salons ou autres.  Ayant déjà eu l’occasion de confronter quelques idées  avec H. Viltard comme avec G. Doizy, je maintiens, face à leurs différences respectives sur l’importance des conditions de production d’une oeuvre ou son esthétisme (je répugne à parler de « valeur » esthétique en la matière) que la réception d’une image est d’abord déterminée par sa diffusion et sa réception, parfois en forte contradiction avec ce qui l’a inspirée.


Je voudrais enfin conclure sur la mention de « distance froide » sous la plume de Guillaume Doizy. Sur cet aspect, ma sympathie se tourne spontanément vers l’histoire « scientifique » pour en défendre la rigueur et la méthode avec énergie, méthode consistant par exemple à éviter les anachronismes consubstantiels à l’empathie militante. Mais lorsque Doizy parle de « plaisir », il n’a pas tout à fait tort non plus car c’est une notion que les historiens (je n’ose dire « professionnels » ni  « scolaires » alors disons « scolastiques » ce qui nous rapprochera de St Augustin certainement cher à tous ici) ont souvent tendance à perdre. D’oü la rareté de la production de certains, plongés peut-être trop loin dans leurs investigations, (mais également la très vive fécondité de certains autres qui permettent d’exhumer des images par la suite fort utiles).  Une occasion de plus de se réjouir d’un nouveau livre de Viltard, dont on attend avec impatience la parution de son étude sur « caricature et photographie ». 

 

Laurent Bihl "de loin", mars 2013

 


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