Je (Guillaume Doizy) prends une fois de plus la liberté de republier sans autorisation un nouveau commentaire public d'Henri Viltard à propos de ma "réponse" à son premier commentaire (tout le monde suit ?). Rendre compte d'une publication n'est jamais chose facile. Eh oui, on s'érige en juge. On juge un ouvrage, sa structure, son contenu. Caricaturesetcaricature.com n'a pas pour vocation de pulbier des notes de lectures de type universitaire, comme on les trouve dans les revues savantes. Les habitués du site savent qu'ils trouveront dans mes présentations le point de vue d'un passionné de caricature politique qui a l'impudence de vouloir partager ses coups de coeur, ou ses déceptions de lecteur (et non de savant). Il se trouve qu'en règle générale, les éditeurs m'envoient leurs ouvrages pour ça. Dans la profession, il se dit même qu'un mauvais compte-rendu reste toujours préférable au silence. Cela explique peut-être pourquoi Finitudes, malgré mes critiques envers le Foetus récalcitrant, a choisi de me faire parvenir Sauvages Blancs !
Je n'ai pas ici d'autre prétention que de rendre compte de certaines publications qui m'intéressent ou qui me sont adressées, et d'en rendre compte au travers de mes œillères d'humble passionné... Et je ne vois toujours pas pourquoi m'interroger sur la sincérité de Jossot (le terme est peut-être mal trouvé) au regard du registre caricatural dans lequel il s'inscrit pendant une période très courte de sa vie, ou douter de ses qualités littéraires, mérite de telles flèches !
En tous cas, au delà de l'intérêt que peut représenter une discussion périphérique sur Jossot qui prend pour base mes quelques remarques, je trouve indispensable de donner aux points de vue qui ne sont pas les miens, et qui ne manquent pas d'arguments contre moi, la possibilité de s'exprimer sur ce site ! Ce souci me porte régulièrement à interviewer des dessinateurs (ou des auteurs) dont je sais pertinemment qu'ils ont un avis différent du mien.
Voici donc :
Sortir mon commentaire de son humble statut de commentaire est un acte éditorial abusif parce qu'il fait fi de ma volonté et tire ouvertement le débat du côté de la polémique publique. Comment y répondre maintenant ? Valoriser l’œuvre d'un artiste, c'est passer beaucoup de temps à la rassembler et à l'étudier, à convaincre qu'elle est intéressante et que cela vaut le coup de la publier et de l'exposer. Il se peut qu'à la longue le chercheur finisse par s'aveugler dans un enfermement monomaniaque. Si les médias ont parfois porté Jossot au « génie », je crois n'avoir jamais employé ce mot.... ?
Tout le monde est libre de juger que Sauvage blanc !
est un ouvrage inintéressant du point de vue littéraire. C'est une affaire de
sensibilité personnelle et cela renseigne sur le goût individuel d'un lecteur. Si j'ai voulu faire connaître ces textes et si j'ai pu les publier, c'est que nous sommes plusieurs à partager un
avis contraire. Nous verrons bien si l'ouvrage rencontre d'autres enthousiasmes, « jossolâtres » ou non !
On peut déplorer que Daumier soit misogyne et conformiste, que Jossot soit faux, antipathique ou opportuniste : ce sont là des jugements de valeur qui, je crois, renseignent davantage sur
l'opinion du critique que sur l'univers de l'artiste en question. Il me semble plus intéressant de s'interroger sur ce qui a conditionné les idées et les comportements des uns et des autres. Il
me paraît plus stimulant de prendre un regard de sociologue ou d'anthropologue et d'essayer de comprendre à partir de quels modèles comportementaux, et suivant quelle stratégie de distinction,
Jossot s'est fabriqué une identité d'artiste provocateur, plutôt que de déplorer son « nombrilisme » et son « antipathie »... Avoir « une opinion tranchée » sur un
artiste qui avait des opinions tranchées... n'est-ce pas passer l'histoire à la machette ? Loin de tout dogmatisme, je préférerais me demander pourquoi Jossot aimait présenter des idées
fortes et contrastées... n'y a-t-il pas quelque chose de suspect dans cet affichage même ? …
Opportunisme : « Ligne de conduite politique dans laquelle la tactique se détermine d'après les circonstances, en transigeant, si nécessaire, avec les principes » (TLF)
Je ne crois pas que l'on puisse raisonnablement qualifier Jossot d'opportuniste : sa tactique professionnelle n'a pas été une réussite ; dès 1898 il n'est plus en quête d'argent et il
méprise les lauriers... j'ai au contraire été étonné de la pérennité de ses idées, de la constance de sa démarche et de son esthétique. Le plus difficile est bien de comprendre ce manque
d'opportunisme au regard des innombrables libertaires pacifistes d'avant-guerre qui ont avantageusement reniés leurs idées. Par ailleurs combien de penseurs de salon n'ont jamais pratiqué leurs
idées ?...
Je n'ai jamais eu l'intention de qualifier mon aimable contradicteur de « communiste désabusé par les crimes du stalinisme ». Il s'agissait seulement là d'une comparaison afin
d'imaginer la déception de qui renonce douloureusement à un mythe. A quoi bon, là encore, déformer les propos et tirer un débat intéressant du côté de la polémique ?
Nul besoin d'une grosse caisse pour défendre des idées. Avoir une approche d'historien ce n'est pas nécessairement entretenir une distance froide et dissimulatrice, mais tout simplement
considérer que nos idées personnelles sont moins intéressantes que la possibilité que nous donnons au lecteur de se forger son propre jugement. Mais me voici rassuré : je suis un piètre
propagandiste si j'en juge par ce premier compte-rendu !
Henri VILTARD