Rire et violence de l’histoire dans les images / les œuvres. Appel à communication
pour journée d’études : mardi 23 juin 2015. INHA / 2 rue Vivienne, Paris.
Laboratoire AIAC, (Art des Images et Art Contemporain) EA4010
EDESTA (Ecole Doctorale Esthétique, Sciences et Technologies des Arts), Paris 8.
Si « le rire est le propre de l’homme » comme l’a formulé Aristote et tout comme l’a aussi repris Rabelais un peu plus tard, il semblerait que la barbarie soit également l’apanage de l’être humain qui ne sait pas comment vivre sans «malaise dans la civilisation», selon la terminologie freudienne, c’est-à-dire sans problème relationnel avec ses semblables. Conflits, guerres, violences semblent ainsi des symptômes incurables propres au genre humain en perpétuelle crise relationnelle avec lui-même ; c’est de cela que de nombreuses images témoignent en s’appuyant sur la représentation du rire comme levier dans le processus de monstration de la réalité historique. Alors que la représentation du rire en peinture, et en particulier dans la peinture de portrait, fut longtemps déconsidérée au cours de l’histoire de l’art, ceci pour des raisons religieuses, esthétiques et philosophiques, il semblerait que le XXème siècle lui ait accordé une place considérable.
Aussi, comment questionner la présence du rire dans les images conjointe à celle de la violence de l’histoire, qui, depuis la modernisation des modes de production et de reproduction de l’image se voit de plus en plus représentée, particulièrement depuis le début du XXème siècle ? En effet, le XXème siècle s’est inaugurée sur une guerre des plus sanglantes et aux conséquences les plus monstrueuses les unes que les autres, une guerre qui s’est vue être l’objet d’une représentation à deux visages ; d’un côté, les images atroces des poilus circulant comme pour tenter de conjurer l’aspect inouï de la violence de la guerre et éviter sa répétition, de l’autre, des images plus ironiques, comiques ou satiriques se démarquant de la gravité ambiante pour faire, en dépit des atrocités, trace de l’histoire. En parallèle de la guerre, l’insolence artistique, et en particulier l’insolence dadaïste, ouvre donc le XXème siècle sur ce qui semble être une invitation à la désobéissance, au désordre, à l’invention permanente, au trouble des définitions, de la représentation et des canons en vigueur par le rire. Le ton semble être donné : tout le XXème siècle sera, dans les faits tout comme dans les images, étrangement atroce, c’est-à-dire à la fois violemment drôle et drôlement violent.
Mais définissons rapidement ce qu’est, au juste, le rire. Le rire est un phénomène humain à la fois biologique et spirituel que l’on associe communément à un certain plaisir. C’est aussi un phénomène qui se veut complexe à saisir, dans son effectuation, parce qu’il évolue dans le temps et dans l’espace, au fil des siècles et des cultures dans lequel il s’inscrit et se contextualise. Selon les évolutions civilisationnelles et sociétales le rire se transforme. Ses usages, ses modalités, les émotions et les codes auxquels il est lié et desquels il dépend changent sans cesse. Il évolue parallèlement aux us et coutumes car il en fait quelque peu partie ; le rire de l’Antiquité n’est ainsi pas celui du Moyen-Age, celui du Moyen-Age n’est pas celui de la Renaissance et celui de la Renaissance n’est pas celui de l’époque moderne et contemporaine et inversement. Il y a des choses pour lesquelles nous ne rirons plus à l’heure actuelle et qui faisait rire à la Renaissance, et à l’inverse il y a des choses pour lesquelles nous pourrions encore rire, quand bien même ces choses appartiennent à une époque antérieure, comme par exemple les écrits de Rabelais. Le rire connait donc d’une part, une déperdition culturelle régulière qui nuance et change sa fonctionnalité, d’autre part, elle connait aussi un enrichissement récurent dû aux transformations sociétales, à l’évolution du langage et à la modification des croyances, des valeurs, des mœurs.
Mais indépendamment de ses déperditions et de ses apports continus, le rire est pourvu d’une permanence qui fait sa base. Il semblerait que cette permanence soit issue de son mécanisme lequel s’inscrit dans l’effectuation d’un décalage, d’un pas de côté en dehors de la règle, d’une désobéissance à la norme, à la logique, au cadre, au repère qu’il soit formel, langagier, coutumier, esthétique, situationnel... Car il n’y a pas de rire sans qu’il n’y ait de culture, de repère, de code, de cohérence, de cadre et que le rire vient nécessairement perturber, enfreindre, déjouer. L’image qui représente le rire représente ainsi nécessairement dans son esthétique, une désobéissance à la norme, ou tout du moins une norme. Ainsi la mécanique du rire fonctionne -t-elle sur un principe de déplacement ; déplacement par rapport à ce qu’il est usuel de dire, de faire, de voir, de regarder ou de montrer, déplacement du sens, déplacement simple ou déplacement par inversion ou renversement, déplacement de la proportion par son exagération ou son atténuation, déplacement de la représentation réaliste à une représentation irréaliste ou invraisemblable, déplacement par condensation etc... Un constat initial basique mais néanmoins utile pour commencer à penser l’esthétique des images qui articulent conjointement, dans leur dispositif et dans leur essence, les notions de rire et de violence de l’histoire.
L’objet de notre réflexion donnera lieu à des investigations réflexives diverses. Ainsi pourrons-nous élaborer une réflexion relative à notre dialectique à partir des questions suivantes :
Mécanismes de décalage-déplacement et rire : quels sont les mécanismes qui animent une image qui fait rire le spectateur tout en étant en lien à la violence de l’histoire ? En quoi réside et s’opère une désobéissance à la norme dans la représentation du rire et de la violence de l’histoire ? Comment, par exemple, une caricature peut parvenir à déjouer les codes de monstration classique sur un sujet historique tragique ? Quels déplacements viennent la structurer, l’organiser, l’animer ? Sur quoi repose et joue l’organisation d’une telle image ? Cette question pourra se basée sur des analyses comparatives qui observeront les similitudes et les différences des procédés entre eux.
Rire et travail mémoriel: La prise en compte de l’histoire par l’image comique, ironique, sarcastique ou tragi-comique se fait chose courante. L’humour et l’horreur flirtent ainsi de plus en plus souvent dans les images. Mais qu’en est-il de la notion de transmission de l’histoire dans et par ce type d’image? Une œuvre humoristique en lien à un sujet historique violent peut-elle faire trace de l’inouï de l’histoire ? Il s’agira de penser en quoi, pourquoi, comment l’image risible se fait ou non mémorielle et permet de transmettre une mémoire des faits passés, ceci en s’appuyant sur des analyses concrètes d’œuvres.
Rire et catharsis : Bien souvent les productions artistiques qui allient représentation du rire et représentation de la violence de l’histoire choquent ou dérangent ; mais elles permettent aussi une catharsis individuelle et collective. En quoi, comment et pourquoi ce type d’image inscrit-elle une nécessité cathartique ? Comment les images qui s’appuient sur une représentation du rire et de la violence de l’histoire articulent cette catharsis ? Il s’agira de s’appuyer sur des exemples qui montrent le dispositif cathartique du rire dans les images relatives à la violence de l’histoire et de montrer en quoi l’image cathartique procède de la participation critique, perceptive et sensible du spectateur plutôt que de son aliénation à l’image/l’œuvre.
Rire et dialogue des formes : L’iconographie articulant la dialectique du rire et de la violence de l’histoire se fait ainsi particulièrement abondante et variée tout au long du XXème siècle, parfois franchement comique ou sarcastique, tragicomique ou cynique, burlesque ou satyrique, elle se fait presque genre en soi, traversant ainsi l’histoire dans son atrocité, documentant l’histoire dans ses bouleversements, elle traverse presque tous les médiums ; allant de la carte postale à la caricature, de l’image cinématographique à la peinture, de la sculpture à la performance en passant par la vidéo. Il s’agira de penser un dialogue des formes possible des images qui représentent le rire et la violence de l’histoire, ceci en s’appuyant sur des exemples différents. Il pourra s’agir aussi de réfléchir, entre autres, à la notion d’inter-caricaturalité par exemple, ou de citations d’une œuvre à l’autre, d’une forme à l’autre et de penser à ce qui perdure et ce qui se perd ainsi dans les images en lien à la dialectique.
Rire et fiction : Pour documenter l’histoire dans ses traumatismes par le rire les artistes s’appuient souvent sur la représentation d’un univers fictionnel. L’imagination par le rire se fait alors support de l’évocation de la violence. Par exemple, dans le film Train de vie de Radu Mihaileanu, tout le ressort comique dépend de la fiction et de sa dimension totalement exagérée qui, loin de retracer l’histoire dans son réalisme violent, la transforme, la rend fantasque et loufoque. Que se joue-t-il ainsi à travers l’élaboration d’une image qui ne cite pas le réel mais le contourne, le détourne, le manipule ? Comment cela se traduit-il dans les images ? Comment l’image risible qui compose une certaine dimension fictionnelle de la violence cohabite également avec la dimension tragique de l’histoire ? En quoi et comment ces deux polarités et tonalités de l’image entrent-elles en altérite par l’aménagement d’un dispositif fictionnel ?
Rire et distanciation : La représentation du rire qui rend compte de la violence de l’histoire dans les images permet souvent, dans son dispositif et son agencement, d’aménager une distanciation. Comment peut se mettre en place une esthétique de la distanciation dans les images qui traitent de la violence de l’histoire ? Comment le rire dans l’image rend cette distanciation pertinente ? En quoi et comment la distanciation favorisée par le rire sollicite chez le spectateur un travail de pensée critique ? Quelle éthique de l’image permet de penser la distanciation opérée par le rire dans les images ? Il s’agira de s’appuyer sur des exemples précis d’images et/ou d’œuvres qui mettent ainsi en collusion rire et violence de l’histoire pour aménager un effet de distanciation et de montrer comment fonctionne, plastiquement, esthétiquement et intellectuellement cette distanciation.
Rire et insolence : La posture de l’artiste qui use du rire comme matériau dans l’image relative à la violence de l’histoire se veut souvent insolente. Comment l’image se fait–elle, dans son dispositif, insolente, à la fois esthétiquement et politiquement ? Comment une image insolente qui a trait au rire et à la violence de l’histoire renouvelle l’image et amène à considérer l’histoire ? Le retournement et l’inversion semblent des procédés qui peuvent exprimer une certaine insolence des images ; quels autres procédés peuvent ainsi être à l’œuvre ? Quelles images de l’insolence par le rire pour dire la violence de l’histoire ? Il s’agira de s’appuyer sur des exemples d’œuvres concrets qui, en se voulant singulièrement perspicaces dans leur mécanisme, se veulent formellement, substantiellement et fondamentalement insolentes.
Ces thématiques sont des pistes possibles d’études sur la dialectique rire et violence de l’histoire dans les images mais d’autres approches de cette problématique sont bienvenues.
10 mai 2015 : rendre résumé des propositions + bio de 4 à 5 lignes.
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