(Gérald Dumont photographié par Xavier Cantat)
Vous proposez une « lecture améliorée » de plusieurs extraits de l’essai de Charb, Lettre ouverte aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes. Pourquoi ce texte, pourquoi Charb ?
Le 7 Janvier, j'ai été (comme beaucoup) , traumatisé. Le mot n'est pas trop fort. Pour preuve, tout ce que j'avais envisagé dans mon travail (je suis metteur en scène), s'en est trouvé bouleversé. Après quelques mois de paralysie, J'ai sérieusement envisagé de faire quelque chose autour de l'assassinat de l'équipe de Charlie Hebdo, mais je ne savais pas quoi. Je ne voulais pas du larmoyant, ni sensationnaliste. Je voulais être « juste ».Et j'étais incapable d'écrire sur cette tragédie. C'est Franck Vandecasteel, (le chanteur de Marcel et son Orchestre et aujourd'hui de Lénine Renaud) qui m'a offert le livre de Charb. A sa lecture, le contenu du texte m'a paru évident, d'une intelligence et d'une logique implacable. Sa démonstration sur l'Islamophobie était sans faille et Charb faisait des mises au point nécessaires. (Il faut aussi garder à l'esprit que les thématiques abordées dans son livre seront au centre des débats lors de la prochaine campagne présidentielle). Il m'a alors paru plus qu' important de diffuser sa pensé sur la laïcité, le plus largement possible. Les choses auraient pu en rester là, ne m'appuyer que sur le coté « pédagogique » de cette lecture. Mais les semaines qui ont suivi l'attentat, l'acharnement qu'ont subit les victimes de la tuerie, les mensonges, la mauvaise foi autour de Charlie, les attaques récurrentes autour du travail des survivants ont précipité la création de ce spectacle. Aujourd'hui, je sais que mon travail est aussi un hommage.
Quelle place tient votre performance d’acteur et de metteur en scène dans cette « lecture améliorée » ?
Ce n'est pas réellement une performance. Je m'attache à rendre le texte le plus clair et compréhensible possible, en faire ressortir les idées fortes et aussi et surtout, garder l'esprit de Charlie, fait de ludisme et irrévérence. J'ai donc beaucoup travaillé sur le découpage du texte, et donner un rythme au spectacle pour que le spectateur suive la pensée de Charb comme une histoire dont on a envie de connaître la suite. C'est pour cela que ce spectacle est aussi composé de vidéos, de musiques (de Lénine Renaud) et bien sur, de dessins de Charb. Ce n'est pas une conférence, c'est une lecture complètement assumée même si je m'autorise régulièrement de quitter mon pupitre.
Le théâtre K. (ma compagnie), propose également des « soirées irresponsables », avec en ouverture, Lenine Renaud en trio, suivi de la lecture.
C’est un texte difficile, dans le sens où Charb avançait à contre-courant sur la question de l’Islamophobie…
Justement non. Il n'est pas difficile. Et tout dépend de ce que l'on entends par « a contre courant ». Je dirais plutôt qu'elle est devenue à « contre courant ». Ce qu'écrit Charb ne devrait poser aucun problème dans un état laïque, aucune objection ni même contradiction. Qu'il y en ai désormais prouve que la laïcité recule, que le sacré est devenu est enjeu politique que beaucoup espèrent bien mettre a profit. C'est tout simplement terrifiant. C'est comme si l'on disait que la déclaration universelle des droit de l'homme est à contre courant. Pareil pour le blasphème, ou l'humour. Il y a des choses qu'il faut préserver pour le bien de tous. J'en suis convaincu.
Ces lectures s’adressent à un public averti et convaincu… C’est moins le cas lorsque vous intervenez dans le milieux scolaire. Comment réagissent les lycéens à qui vous présentez cette Lettre ouverte ?
Je tiens à ce qu'ils soient préalablement préparés par les profs, qu'ils sachent a peu près ce qu'ils vont entendre, et d’où cela vient. Il m'arrive de le faire moi-même en amont du spectacle. Certains jeunes, notamment musulmans, peuvent être choqués, mais franchement, il y a toujours eu des débats de qualités, ouverts. Et j'ai toujours été étonné par leur curiosité. Cette lecture leur fait découvrir Charlie Hebdo, l'humour de Charlie Hebdo et , chose fondamentale, a relire des dessins qu'ils n'avaient pas compris (ou plus exactement), qu'ils n'avaient pas voulu comprendre (ou que qui leur avaient été mal expliqué). Le découpage du texte et la forme de la lecture, rythmé et ludique, rend le texte de Charb accessible. C'est aussi l'occasion d'aborder d'autres sujets annexes tout aussi important (l'information, la lecture des réseaux sociaux, la citoyenneté, la désobéissance, l'art, l'émancipation, etc...des sujets qui me sont chers.)
Nombre de projets autour de Charlie Hebdo ont été annoncés puis abandonnés. Votre « lecture » ne fait pas peur aux acteurs culturels ?
Il y a des acteurs culturels de toutes sortes. Les acteurs culturels ont peur en règle général. Peur de ne pas remplir les salles, peur de choquer, peur d'avoir une parole clivante dans leurs murs, peur de ne pas être « hype », peur de ne pas être populaire, peur d'être trop populaire, etc....Mais il y a aussi les gens de convictions, ou qui aiment mon travail, et ceux qui, héritiers de l'éducation populaire , ont un rôle capital dans le monde culturel. J'ai créé un spectacle sur la bande de Gaza il y a 2 ans, (Looking for Gaza), et la aussi, il y eu des débats, des craintes, des annulations suite au 7 janvier ou au 13 novembre. A force d'entendre dire qu'il faut avoir peur, la peur devient effective.
Après la Lettre ouverte, vous envisagez un « spectacle » sur l’attentat lui-même…
Oui. Suite aux attentats de Charlie, j'ai voulu écrire un spectacle sur ce sujet. Mais pour la première fois, j'ai été incapable d'imaginer quoique ce soit sur un sujet qui me tenait tellement à cœur. J'ai demandé à Caryl Ferey ( Zulu, Mapuche et plus récemment, Condor » )de collaborer à l'écriture ce spectacle. Nous avions la même idée de ce que nous voulions faire : Écrire sur les millions de personnes qui se rappellent exactement , heures pas heures, de ce qu'ils faisaient le 7 Janvier. Les attentats du 13 novembre ont tout remis en cause. Il était , pour Caryl et moi, inenvisageable de ne parler que de Charlie. Les lignes avaient bougé. Le spectacle sera donc en deux partie. Mais je ne veux pas en dire plus, le texte est en cours d'écriture. A suivre...
Propos de Gérald Dumont recueillis par Guillaume Doizy