Vous venez d'éditer un recueil avec des dessins depuis le début de votre carrière jusqu'à aujourd'hui. Comment êtes-vous devenu dessinateur de presse ?
J'ai décidé de devenir dessinateur de presse pendant mon armée en Allemagne en 1985-86. Je venais de passer quatre années en Droit à Grenoble et je ne me voyais pas devenir huissier ou notaire... A l'époque j'étais très influencé par Wolinski et Cardon. Et j'aimais bien la satire et l'humour noir... Trente ans ont passé et je me rends compte que ma carrière est derrière moi car je n'ai pratiquement plus de commandes dans la presse.


Vous avez dessiné pour la presse syndicale, vous définiriez-vous comme un dessinateur militant ?
J'ai en effet dessiné pour Force Ouvrière hebdo pendant 20 ans et suite à une restructuration du journal j'ai été viré ainsi que mes camarades. Je suis donc passé de dessinateur plus ou moins engagé (à gauche) à dessinateur dégagé. Certains dessinateurs sont assassinés physiquement et d'autres, beaucoup plus nombreux, le sont économiquement. J'ai commencé à travailler pour FO hebdo en 1993 grâce à un ami qui dessinait déjà pour eux (il s'agit de Lionel Brouck, un vrai dessinateur engagé qui a plusieurs recueils de dessins d'actualité au compteur) Jusqu'en 2013 cet hebdo de 16 pages (format 28 x 36) contenait pas mal d'illustrations dans des styles très différents et ce grâce à Dominique Hingant, un formidable maquettiste qui a fait travailler de nombreux dessinateurs. Je lui dois une fière chandelle, nous sommes devenus amis au fil des années et nous avions un point commun, la gravure. Il est décédé depuis peu et je tiens à lui rendre hommage.Il avait une façon originale de nous faire travailler à savoir qu'il ne passait pas de commande. On lui envoyait des dessins sur les grands thèmes (conditions de travail, salaires, santé, retraites,licenciements...), il les stockait par année dans ses archives et sa mémoire lui permettait de mettre la main sur un dessin précis pour illustrer un sujet. Et puis il a pris sa retraite, et puis la direction a décidé de réduire l'hebdo à six pages sans dessin, et puis il a fallu se grouper à plusieurs dessinateurs pour négocier au mieux nos indemnités...

On peut distinguer plusieurs types de dessins de presse certains axés sur la caricature, d'autres sur le trait d'humour, etc. Vous optez souvent pour des dessins sans texte combinant collage et peinture. Comment définiriez-vous votre style ?
J'ai pratiqué, je crois, plusieurs types de dessins de presse (humour noir, caricature...) et j'en suis venu tout naturellement à une sorte de dessin poétique, sans texte et avec un mélange de techniques.

Pour vous quel doit être le rôle du dessinateur de presse ?
Je ne suis pas sûr que les dessinateurs de presse aient un rôle dans notre société. Les attentats contre Charlie ont clairement montré qu'une armée de crayons dressés comme des baïonnettes ne faisaient pas le poids contre une kalachnikov... Comme disait Brassens "Mourir pour des idées, d'accord, mais de mort lente." Je n'aurais pas le courage de continuer à dessiner avec des menaces de mort au-dessus de ma tête. Même si l'équipe actuelle de Charlie ne me fait pas rire (ce qui est un comble pour un journal satirique) je dis" Chapeau bas" d'arriver à travailler dans de telles conditions.

Depuis longtemps existe un clivage entre Charlie Hebdo et Mediapart autour de la question des caricatures de Mahomet. Que pensez-vous de la polémique actuelle ?
Par rapport à la question des caricatures de Mahomet je n'ai pas d'opinion tranchée. Mais j'ai l'intuition que la satire, l'humour, la caricature doivent servir à se moquer et à se défouler contre le Pouvoir (religieux ou autre), mais qu'il faut toujours faire attention à ne pas humilier les fragiles, les précaires, tous ces gens victimes du chômage, du racisme, du manque de culture et qui voient dans une religion leur bien le plus précieux...

Propos de Patrick Bonjour recueillis par Guillaume Doizy

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