Le journal Le Figaro relaie la "colère" de l'Armée contre Charlie Hebdo. Le crime ? Avoir publié des dessins parodiant la campagne de recrutement de l'armée, détournée suite à la collision de deux hélicoptères au Mali. On ne s'étonnera pas du manque d'humour de l'armée, ni de la réaction éruptive de l'institution face à ces dessins qui enfreignent le tabou de la mort. La morale actuelle exige le respect du deuil et des souffrances individuelles, à quoi l'armé ajoute évidemment sa petite musique sur la défense de la patrie, de la République, du pays tout entier.

Charlie Hebdo a été de nombreuses fois la cibles des critiques du Ministère de la Défense. D'autres journaux ou dessinateurs depuis le XIXe siècle ont été poursuivis pour des dessins visant l'Armée. On peut citer Alfred Le Petit, Delannoy ou Grandjouan, les deux premiers ayant effectivement goûté à la prison, bien que les caricatures visées aient été publiées bien après l'entrée en vigueur de la loi de 1881 sur la presse, considérée comme un modèle en matière de liberté d'expression...

La différence avec l'époque actuelle et Charlie Hebdo, c'est que depuis 2015, on attend de Charlie qu'il se montre redevable : après avoir été soutenu dans la rue et les médias par la population et les grandes institutions du pays, Charlie est sommé de se montrer reconnaissant envers tous ces soutiens, police et armée comprises. L'humour de Charlie paraissait déjà incompréhensible aux centaines de milliers de nouveaux lecteurs du journal. Pour des institutions pour lesquelles le soutien à Charlie Hebdo semblait a priori contre nature, le manque de respect en retour est insupportable. Bref, face au deuil "national", Charlie devrait mettre en berne le drapeau de l'humour.

Enfin... tout cela doit être lu également dans une perspective politique. L'Armée, championne de l'opacité et dont la mission première reste le recours à la destruction et à l'homicide au prétexte de maintenir la paix, se doit de "protéger" ses soldats. Au moins l'honneur de ses soldats, puisqu'elle se montre incapable d'empêcher que de temps en temps l'un d'eux "meurt pour la France".

Évidemment, 13 d'un coup, ça fait tâche. Rien ne vaut une petite polémique autour de dessins de Charlie Hebdo pour focaliser les regards sur un aspect secondaire de l'affaire et se refaire une santé morale à bon compte. La mort de 13 soldats passe encore, des dessins sur le sujet, totalement insupportable ! Tout comme les terroristes du 7 janvier, l'Armée feint d'accorder plus d'importance aux dessins plutôt qu'à la réalité. Une attitude bien pratique pour occulter les vraies questions et justifier tous les mauvais coups. Les polémiques artificielles autour de dessin de Charlie Hebdo sont devenues un sport national et international. L'Armée a bien le droit d'en croquer elle aussi.

Cinq ans après l'unanimité autour du "Je Suis Charlie", le journal satirique prend régulièrement la place du grand Satan. Triste revirement !

Guillaume Doizy

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