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Dessin de Riss, Charlie Hebdo du 16 décembre 2009

Dessin de Siné et Jiho, Siné Hebdo du 16 décembre 2009

 

Cette semaine, Charlie et Siné se sont donnés le mot : tous deux s’amusent de manière métaphorique ou non à propos de la santé ou de la mort éventuelle de leurs cibles. Charlie s’intéresse à une actualité « people », quand Siné, plus grave, choisit de moquer le « grand emprunt » de Sarkozy.

Siné et Jiho invoquent la maladie comme un procédé dégradant, permettant de signifier l’échec annoncé d’une politique. Télescopant deux actualités, le récent Téléthon avec l’annonce de l’Emprunt national lancé par Sarkozy, les deux dessinateurs insistent visuellement sur deux points : le terme « Sarkothon », jeu de parodie sémantique (mot-valise proche de la paronomase déjà utilisé dans la presse et largement présent sur la Toile), et la figuration d’un vieillard au teint verdâtre, dans son fauteuil roulant. Symétrie, étagement, plan rapproché d’un élément centré isolé sur un fond de couleur en aplat, erreur dans le jeu de perspective (la roue du premier plan plus fine que sa consoeur plus lointaine), forment les éléments récurrents de la doxa graphique du dessinateur Siné.

Le Téléthon vise à collecter des fonds pour la recherche contre les maladies génétiques neuromusculaires. L’événement caritatif s’appuie sur la mobilisation des malades eux-mêmes, que l’on médiatise généralement en les filmant sur leurs chaises roulantes. Avec ce jeu métaphorique, Siné et Jiho montrent que Sarkozy, par cette quête de milliards (auprès des institutions financières cette fois), cherche à soigner une maladie qui le mine : probablement son impopularité, et au-delà, la situation économique pas très brillante (enfin, tout dépend pour qui).

On imagine sans difficulté la gravité du diagnostic. Le teint du malade ne laisse aucun espoir sur d’éventuelles chances de rémission. Les deux compères dessinateurs s’amusent par ailleurs (une fois de plus) de la petite taille du sénile président (en robe de chambre, comme un convalescent), dont les jambes n’atteignent pas les repose-pieds.

Siné et Jiho prennent le contre-pied de la communication gouvernementale et présidentielle sur ce fameux emprunt, présenté en juin dernier comme une véritable révolution, mais finalement réduit à portion congrue. Bref, Siné et Jiho expliquent à leurs lecteurs que la montagne a accouché d’une souris… et malade de surcroît ! Les deux dessinateurs se portent en faux également contre l’image d’un Sarkozy omniprésident, super actif et au pouvoir incommensurable. L’homme ainsi mis en scène semble réduit à la plus totale impuissance…

Le fauteuil roulant évoquera sans doute une troisième actualité, les problèmes de santé de Johnny Hallyday dont les médias, friands d’infos people, ne cessent de nous rebattre les oreilles depuis quelques jours.

L’événement a manifestement obsédé les dessinateurs de Charlie Hebdo, au point que le sujet inonde les 16 pages de l’hebdomadaire satirique. La « une » s’intéresse à Johnny ainsi qu’un grand dessin en double page de Cabu, mais également des « échappé » et diverses vignettes disséminées ici ou là.

A la surmédiatisation de la presse traditionnelle, Charlie répond par une surmédiatisation… critique et satirique. Il s’agit bien sûr de se moquer du chanteur vieillissant, de la manière dont ses déboires médicaux transformées en véritable saga sont présentés au public. Au travers de Johnny, les dessinateurs visent également et surtout la popularité du chanteur ainsi que les fans, comme on le comprend bien notamment avec le dessin de « une ».

Riss, aux commandes, choisit un gros plan du visage de Johnny, dont la chair, encore bien rose, est criblée de vers.

Riss s’amuse de l’émotion des fans pour leur idole préférée et sa disparition prochaine très probable. Sa charge fonctionne d’abord sur la caricature physique du chanteur : corpulence exagérée frisant l’obésité porcine, traits du visage outrés et composés d’éléments anguleux, nez allongé, regard quasi absent. Le gag provient de la confusion volontaire entre les sentiments d’affection des admirateurs éplorés et les mêmes sentiments, prêtés aux vers qui s’apprêtent à dévorer les chairs de l’éventuel cadavre.

Du point de vue rhétorique, Riss convoque la prolepse. Le chanteur n’est pas encore tout à fait mort, et pourtant, les vers l’assaillent déjà… Riss n’omet pas d’attribuer quelques larmes d’émotion (très hypocrites) aux vers annelés qui s’écrient, comme les fans désespérés, « Johnny on t’aime ». Les insectes semblent pressés, eux, de pouvoir enfin festoyer sur la dépouille du chanteur…

 

Le jeu des couleurs diffère du tout au tout entre les deux « unes » qui nous préoccupent dans ce « match ». Comme souvent, Siné Hebdo choisit une colorimétrie assez sombre, et ici, carrément morose. A l’inverse, Charlie préfère un ensemble plus pétillant, même si les couleurs sélectionnées (sauf le jaune de la banane) demeurent des couleurs claires, des tons plutôt pastel. Dans les deux cas, les dessinateurs tablent sur la jouissance éprouvée par le lecteur de voir une célébrité mise à mal dans son intégrité physique et donc morale. Siné et Jiho adoptent le ton de la critique quand leur confrère Riss choisit celui de la blague décalée à la limite de l’humour noir. L’expression du président de la République, sa posture, les couleurs, créent une ambiance négative et acrimonieuse, presque désespérée, tandis que Riss invite le lecteur au rire de distanciation permis par un élément comique et joyeux : le sourire des asticots (bestioles macabres qui évoquent généralement la putréfaction et la mort) et leurs mines parfaitement réjouies par un jeu d’anthropomorphisation efficace.

 

Quid de la tradition satirique ? Comment les dessinateurs ont-ils eu recours à la métaphore médicale et plus précisément à celle de la chaise roulante ? Qu’en est-il du vers comme symbole d’une mort prochaine ?

Depuis ses origines, la caricature recourt au blasphème des corps. Elle met en image, via le handicap physique, l’impuissance de tel ou tel à affronter son destin, à répondre aux grands enjeux du moment. La gravure du XVIIe siècle n’est pas avare de ces stigmates physiques infâmants, multipliant les signes de malformations ou encore les prothèses révélatrices, comme cette jambe de bois prémonitoire de Louis XIV, dans une gravure datant de 1692.

 

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Louis XIV, 1692, (British Museum)

 

La chaise roulante, plus tardive, permet de mettre en scène un handicap plus fort encore, celui que subit notamment le cul de jatte. Par cette atrophie, le dessinateur accable Marianne, Emile Combes, mais aussi et surtout l’ennemi allemand en 1870 ou celui de la première guerre mondiale. Plus proche de nous Pinatel vise ainsi de Gaulle dans un savant jeu graphique superposant un mot au véhicule médical. Ces dernières années le dessinateur Willem accablait Le Pen dans un dessin similaire. Dans tous les cas, le handicap physique traduit l’obsolescence, l’impuissance, l’incapacité, la faiblesse, la déchéance réelle ou plus souvent souhaitée d’un adversaire, ainsi nié dans son intégrité physique, souvent amputé d’un ou plusieurs de ses membres, dans une métaphore particulièrement cruelle et violente.

 

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Dessin de LE PETIT Alfred (1841-1909), « Actualité », La Charge n° 17, 6/8/1870.


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Dessin de RENÉ Albert (?-?), « Les justes lois », Le Charivari, 14/3/1901.


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Dessin de RISLY (?-?), « La réforme électorale au Sénat », La Bastille, 23/11/1912.


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Dessin de ORENS (1879-?), « Le ministère cul de jatte », Carte postale, 11/1903.


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Dessin de JEANNIOT (1848-1934), sans titre, Le Rire rouge, 19/10/1918.


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Dessin de PINATEL (1929-?), La Grande Gaullusion, 1969 .

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Dessin de Willem, Libération, 12/9/2008


Charlie Hebdo, on s’en souvient, avait beaucoup amusé ses lecteurs des déboires médicaux de feu Jean-Paul II, lors de sa longue agonie, blaguant sans retenue son anus artificiel. Pour un anticlérical, les turpitudes physiques d’un homme de Dieu (mais finalement également d’un people qui bénéficie d’une idéalisation proche du sacré) semblent paradoxales, et forment donc un excellent terrain d’attaque.

Quant à l’asticot dans la caricature, il semble plus récent et illustre plutôt l’expression « le vers est dans le fruit ». L’invertébré sera en général affublé d’une tête bien reconnaissable et finalement stigmatisé, tandis que chez Willem (contre Le Pen encore) et Riss, le ver passe pour plutôt sympathique. Les asticots dans ce cas, contrairement à ceux du XIXe siècle, rongent cette fois les corps. Ils n’évoquent plus l’animal nuisible corrompant un fruit saint, mais forment, au contraire, les preuves vivantes d’une putréfaction et donc d'une nécessaire disparition prochaine… Bénéficiant d’une inversion parodique, les voilà  presque présentés comme des sauveurs, débarrassant l’humanité d’individus nuisibles.


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Dessin de HADOL (1835-1875), « Mon exposition des insectes nuisibles », Le Charivari, 22/10/1872, détail.


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Dessin de BARRERE A (1874-1931), « Lord Lansdowne », Fantasio, 1/5/1918 .


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Dessin de NOUAIL R (), « Les vers sont dans le fruit », Le Charivari, 19/9/1931.


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Dessin de HONORÉ (1941- ), Jacques Chirac.

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Dessin de Willem, Libération, 24/4/2007.

 

Les deux journaux s’attaquent à leurs cibles sur des tons très différents, grave pour Siné Hebdo, plus léger pour Charlie. Mais remarquons tout de même que la « une » de Charlie vise plus les fans que les médias, pourtant grands responsables de la surmédiatisation actuelle des people. Quant à Siné et Jiho, ils limitent leur charge au seul Sarkozy, sans préciser à qui profitera véritablement le grand emprunt… alimentant un antisarkozysme « primaire », peut-être trop convenu pour étonner et convaincre véritablement le lecteur.

 

Guillaume Doizy, le 17 décembre 2009.

 

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