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Dessin de Riss, Charlie Hebdo du 25 novembre 2009

Dessin de Siné et Jiho, Siné Hebdo du 25 novembre 2009

 

Le dessin satirique fourbit de nombreuses armes pour fouailler ses cibles : associer par exemple au personnage un terme (objet, personnage, symbole) négatif qui brouillera et même dégradera son image ; le représenter dans une situation difficile (une situation réelle ou souhaitée) et donc dégradante ; voire encore dévoiler sa « véritable » nature en mettant en scène le résultat funeste ou risible de ses intentions plus ou moins cachées, plus ou moins publiques. Dans tous les cas, la caricature vise son adversaire, comme objet physique ou symbolique principal du dessin.

Charlie Hebdo met en scène le résultat possible d’une annonce fracassante de Darcos à propos des entreprises qui emploient des sans papiers, quand Siné Hebdo préfère, en jouant sur une condensation, mettre en scène ses espoirs de revanche sociale contre Sarkozy. Les deux dessins, comme la semaine dernière, visent la droite au pouvoir.

La charge de Siné et Jiho de cette semaine peut être comprise comme la suite logique de celle imaginée 8 jours plus tôt. Après un Sarkozy haïssable fêtant la croissance retrouvée (un 0,3% bien étique) sur le « dos » de la classe ouvrière, le même reçoit cette fois une véritable fessée, à comprendre surtout au sens figuré et prophétique. Il faut rapprocher cette mise en scène du coup de pied au derrière représentant, la semaine dernière en « une » de Charlie, une également hypothétique et souhaitable parade contre le virus que représente la droite.

La caricature ne limite pas sa critique au dénigrement, elle invite souvent ses lecteurs à partager ses intentions plus ou moins militantes…

Comme le « coup de pied au cul », la métaphore de la fessée remonte à la fin du XIXe siècle, en fait vers 1870, alors que le coup de pied parait bien avant dans la gravure satirique et semble plus répandu comme métaphore du rejet. Sans préjuger de la présence de telles mises en scènes dans la caricature politique (et non pornographique…) pendant la Révolution française par exemple (nos recherches demeurant hélas très parcellaires), disons que la fessée induit deux procédés connexes pouvant gêner le dessinateur, ou au contraire l’intéresser tout particulièrement : l’infantilisation dégradante et la nudité immorale (pour la fessée déculottée).

 

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Feuille volante allemande contre Napoléon III et ses proches, vers 1870.


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Dessin de LAMBOURSAIN J. (?-?), « Le petit père et le Saint-Père », Carte postale, 1905 - Combes Emile et Pie X.


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Dessin de HENRY André (), sans titre, Le Moderniste n° 23, 83/9/1889. Boulanger se fait "corriger" par un ouvrier.

 

Siné et Jiho, dans un dessin plutôt centré et étagé comme il se doit (titre en haut, dessin en dessous, comme chez Charlie), reprend à son compte un récent sondage sur les préférences des « français » en matière d’éducation au sein de la famille. La fessée symbolise évidemment le rejet d’une politique et permet aux dessinateurs de faire coup double : ridiculiser le chef de l’Etat (via l’infantilisation, la posture dégradante, l’humiliation que génère la fessée, en plus de la douleur qu’elle occasionne) reconnaissable à son visage (dont l'expression s'oppose en tous points à celle du fesseur) et à sa montre, mais également laisser penser que 82% des sondés rejetteraient Sarkozy, en bien mauvaise posture dans les sondabes

Comme souvent dans ce genre de dessin, la jubilation primaire fondée sur l’avilissement de son adversaire, l’emporte sur la réflexion politique. Nous le signalions pour le dessin de Riss de la semaine dernière : comment comprendre le coup de pied au cul et donc également la fessée ? Comme un appel aux luttes sociales, comme l’espoir d’un sursaut électoral, comme la traduction d’un rejet exprimé dans les sondages ces derniers temps ?

Et comme souvent, le comique enlève à l’image son potentiel propagandiste et critique. L’absence d’élément signifiant permettant de décrypter la nature du fesseur dans le dessin de Siné et Jiho, donne à la charge la tonalité d’une simple boutade contre le chef de l’Etat.

Nous signalions dans le « match » de la semaine dernière une certaine tendance de nos hebdomadaires à adopter un cahier des charges très strict et redondant quant à la manière de construire la « une ». Avec un bémol pour Siné Hebdo, capable depuis sa fondation d’expériences graphiques assez intéressantes et diverses, avec notamment le recours à la photographie ou le détournement de symboles.

Nous montrions pour le plus grand bonheur des internautes médusés, quelques couv’ pas si anciennes, en tous cas datant du Charlie II, très diverses dans leur mise en page, dans la manière de traiter leurs sujets.

Cette semaine, Charlie abandonne la sacro-sainte caricature d’homme politique. Riss accorde une place secondaire au ministre Darcos au profit d’un objet : une carte géographique. Il ne s’agit évidemment pas d’une innovation. Charb à l’occasion du bac en juin dernier avait privilégié une mise en page axée sur la calligraphie, tandis que Riss, dans un dessin combinant les élections européennes et le crash de l’avion d’Air France (Rio Paris), avait exclut toute personne humaine de sa charge.

Aucun de ces deux dessins ne comportait de gag visuel, contrairement au dessin de Riss cette semaine. Le dessinateur joue sur une multitude de procédés graphiques : le transfert, la réification, le changement d’échelle et, la combinaison/fusion de deux espaces symboliques différents.

Dimanche 22 novembre, Xavier Darcos, ministre du travail, habitué à fermer des classes quand il était ministre de l’Education nationale, annonce vouloir procéder à la fermeture administrative des entreprises employant des travailleurs irréguliers, c'est-à-dire sans papiers en règle. Si le Medef a tout de suite protesté contre une telle mesure, assurant de la bonne foi des patrons abusés par l’efficacité des faussaires travailleurs, divers syndicats ont également dénoncé la manœuvre du ministre, qui aurait surtout pour conséquence de jeter à la rue des milliers de salariés, réguliers ou non.

Riss choisit de montrer l’absurdité d’une telle mesure, suggérant, contrairement à ce que dit le Medef, la généralisation du recours à la main d’œuvre illégale. Fermer les entreprises recourrant à des sans-papiers reviendrait donc à paralyser la France entière.

Le dessinateur exprime cette idée en recourant au symbole que constitue le dessin des frontières de la France, le fameux hexagone. Durant l’été, Siné Hebdo avait également utilisé cette image, pour évoquer les diverses rave party estivales, mais aussi les réactions ouvrières explosives face aux licenciements. Invoquer de cette manière la France physique permet d’échapper aux connotations politiques ou patriotiques d’autres symboles comme Marianne, le coq, ou le drapeau tricolore.

Ici, la carte géographie subit une réification, grâce à un simple effet de relief (en fait une axonométrie, ici assez approximative) et à un jeu de nuance dans le système d’ombres propres de la carte. La carte n’est plus la représentation abstraite d’un espace réel, mais la réalité métaphorique même de cet espace. Cette transformation autorise un nouvel effet, l’adjonction à cet objet d’un trait vertical déterminant de manière très simple ce que le lecteur analyse comme étant deux battants réunis par un fort cadenas, l’ensemble étant surmonté d’une pancarte. Ces deux éléments évoquent de manière stéréotypée (la pancarte tenue par une cordelette, le cadenas à serrure traditionnelle) la fermeture d’un bâtiment, d’un magasin, d’une entreprise…

Le cadenas, inventé il y a plusieurs siècles, apparaît à la fin du XVIIIe dans la tradition satirique pour évoquer soit l’inviolabilité, soit la contrainte, la sujétion, la contrainte, ou l’emprisonnement. Situé à la porte du Trésor, d’une prison, utilisé comme élément de fermeture d’une ceinture de chasteté ou encore enserrant deux lèvres (du visage) comme on le voit ci-dessous, le cadenas apparaît toujours surdimensionné pour être bien visible du lecteur.

 

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Anonyme, « A piece of antiquity painted on the wall adjoining to the kitchen of Winchester College », 1749, British Museum, détail.

 

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Dessin de William Dent, "Spanish Messenger", 1790,

  

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Dessin de Alfred Le Petit, Le Sans-Culotte, n° 28, 24 germinal, an 87, 13/4/1879

 

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Dessin de Willem, Zéro (2e série), n° 1, 10/1986

 

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Dessin de Siné, sd.

 

Remarquons que Siné, contrairement à Riss, ne procédait pas à cette métamorphose de la carte géographique qui, par transfert ici, symbolise toutes les entreprises de France et pas seulement la France elle-même. Et n'oublions pas que la carte géographique a été intégrée depuis le XVIIIe siècle dans l'attirail du dessinateur, notamment pour évoquer les rivalités diplomatiques.

 

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"Geography bewitched! or, a droll caricature map of Scotland", 1793, Brithish Museum, détail . 

 

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Dessin de VERNIER Charles (?-1887), « Actualités », Le Charivari, 22/9/1849.

 

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Dessin de STOP (1825-1899), « Machine à coudre », Le Charivari, 22/9/1868.


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Dessin de CHARLET A.R. (1906-?), « Un beau cadeau du Front populaire ! », L’Espoir français, 16/10/1936.

 

Dans le dessin de Riss, l’astuce graphique se transforme en gag avec la présence de Darcos en bas à droite du dessin. De trois quarts face pour le lecteur, le ministre tourne le dos à son œuvre, en se frottant les mains, heureux d’avoir accompli sa tâche salvatrice, c'est-à-dire, paralyser l’économie du pays !

Par cette association, la France ainsi cadenassée « administrativement » apparaît encore plus comme un vulgaire objet à la merci des fantaisies ministérielles. Grâce au relief de la carte, aux jeux d’ombres propres et d’ombres portées des objets, mais aussi du personnage, grâce au jeu de succession des plans et grâce à l’effet de perspective qu’il permet, le dessinateur confère à l’ensemble un effet de réel et une unité spatiale toute crédible. Notre rapport à l’image est ainsi fait que quelques signes graphiques permettent de suggérer une réalité tangible et intelligible, que le lecteur appréhendera comme un espace schématique et interprété, mais qui fait sens, qui emporte notre adhésion.

De ce point de vue, nos capacités d’abstraction et donc d’imagination qui ont mûri tout au long du XXe siècle avec les avant-gardes notamment, permettent aux dessinateurs (et aux artistes en général) d’inventer les combinaisons graphiques les plus folles sans pour autant multiplier les artifices illusionnistes, tout en pariant sur notre capacité à trouver à la satire crédible, et donc à en rire.

 

Guillaume Doizy, le 26 novembre 2009

 

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