Journaux de Poilus, Benoît Prot, GéoHistoire, 222 pages, 19,99 euros.

Livre disponible chez les marchands de journaux jusqu'au 25 avril 2018.

Benoit Prot est un collectionneur récidiviste. Après son ouvrage sur les "Trésors de presse" publié en 2013, voilà un opus dévoilant un autre pan de sa collection : les journaux de tranchées français de la Grande Guerre. En s’installant dans la durée, la guerre de position a imposé aux hommes de nombreuses heures d’inactivité, entre deux période d’engagements actifs. L’art de distraire ou de se distraire est le pendant de l’art de faire la guerre. Aux loisirs individuels (entretenir les relations humaines et amicales, lire, écrire, dessiner, bricoler, etc.) se sont greffés des activités plus institutionnelles : pratique de la musique, concerts, théâtre, etc. Les journaux de tranchée relèvent d’un entre deux et ont rapidement fait à l’époque l’objet de commentaires élogieux et passionnés de la part des journalistes de l’arrière même si, assez rapidement, des critiques contre le « bourrage de crânes » ont pu s’exprimer dans cette presse artisanale, élaborée dans des conditions difficiles, avec des moyens techniques rudimentaires et des compétences limitées.
Les journaux de tranchées et ici dits de « poilus », témoignent d’un aspect de ce quotidien de guerre et des représentations de soi. Un aspect, car sur les millions de soldats engagés dans le conflit, très peu ont participé à l’élaboration de ces journaux – des soldats « éduqués » surtout- , dont le tirage est resté la plupart du temps extrêmement limité (quelques dizaines d’unité). Comme l’explique Benoit Prot en introduction, sur les 500 journaux qui ont vu le jour approximativement pendant le conflit, la moitié seulement nous est parvenue, l’ouvrage présentant une sélection d’une soixantaine d’entre eux.
Le lecteur ne trouvera pas dans ce recueil une étude des journaux de tranchées. Ce livre de collectionneur propose une immersion subjective et sensible dans cet ensemble époustouflant de créativité, d’humour, d’autocensure, d’humanité, de haine aussi bien sûr. Poèmes, courts récits, brèves, blagues, dessins de témoignage, dessins d’humour, l’ensemble des documents présentés ici témoigne du besoin de se raconter et surtout de donner au quotidien une forme connue qui renvoie à la vie d’avant guerre, à une époque où la presse papier - et parmi eux les journaux satiriques et humoristiques - tiennent une place centrale dans la vie des individus.
Cette presse reflète globalement l’état d’esprit des élites guerrière de ce temps, même si le journaliste de tranchée se targue d’une vision plus réaliste de la guerre, loin des discours de salons et du patriotisme de pacotille de l’arrière. L’humour côtoie la gravité, la fraternité des combattants s’y exprime, comme la presse de l’arrière peut difficilement le faire.
Benoit Prot a pris le parti de reproduire nombre de pages de ces journaux, les plus illustrées, en les accompagnant d’une sélection de textes les plus emblématiques, les plus forts, les plus poignants. L’ensemble est classé en trois grandes parties thématiques : "le poilu", "les combats" et "la vie quotidienne au front", sans oublier en fin d’ouvrage un savoureux « dictionnaire des tranchées ». Quelques précisions en bas de page ou en incise donnent des indications sur le déroulement du conflit ou sur les conditions de publication des journaux.
Un bel ouvrage indéniablement.

Guillaume Doizy

Tag(s) : #News, #Presse "satirique"
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