Tu as créé le journal "Ilegal Times", à quel moment as germé ce projet ? Pourquoi un tel journal ?
Illegal Times veut être un cri, une réponse à une situation exceptionnelle en Catalogne et en Espagne. La réponse du gouvernement Espagnol au défi Indépendantiste a été de restreindre certains droits fondamentaux. Et il faut le dire, la démocratie est en danger. Je sais que pour le public français la situation en Catalogne soit difficile à comprendre, car ça peut  ressembler tellement à n’importe quel nationalisme. Mais il-y-a une question de fond plus importante encore : c’est démocratie contre autoritarisme. Il y a une vraie régression sur les droits fondamentaux, et la liberté d’expression a été gravement restreinte (pas seulement en Catalogne mais aussi dans toute l’Espagne) : des gens ont été arrêtés à cause de tweets ou de gags dans des programmes comiques, d’autres ont été traduits en justice pour avoir publié des blagues ou des caricatures. Pendant ce temps, les nostalgiques de l’extrême droite du régime franquiste agissent librement. Après des manifestations – avec des saluts nazis et des bannières franquistes – certains citoyens ont été harcelés et attaqués, mais ces cas restent non résolus par la police et ignorés par la justice espagnole. Les manifestants d’extrême droite menacent constamment les journalistes …

Le contexte est celui du bras de fer entre le gouvernement espagnol et les indépendantistes catalans. Et pourtant, titre en anglais, dessinateurs internationaux, le site en quatre langues... à qui s'adresse le journal, au monde entier ?
Le journal est la réponse de journalistes et de caricaturistes à cette situation. Il n’a de lien avec aucun parti politique. Il se concentre sur la défense des droits civiques en danger, donne la parole aux caricaturistes et journalistes pro-indépendantistes, mais aussi aux caricaturistes et aux journalistes anti-indépendantistes qui ne tolèrent pas la violation des droits fondamentaux, comme la liberté d’expression. J’insiste : tout le monde dans Illegal Times a été libre d’exprimer tout ce qu’il voulait à ce moment où le gouvernement espagnol s’est permis des comportements que l’on n’avait pas vus en Espagne depuis le franquisme : des dessinateurs, des chanteurs de rap, des twittos ont été poursuivis en justice, des expositions ont été interdites… la situation est exceptionnelle, il faut le dire aux citoyens de l’Espagne et aux démocrates du monde entier.

Pourquoi avoir choisi de diffuser gratuitement le journal ? D'autres numéros sont envisagés ?
La publication a été diffusée à beaucoup de gens (avec un tirage de 10.000 exemplaires sur papier, et une version numérique sur le web en catalan http://illegaltimes.org et en version française et anglaise…). L’idée était de faire un numéro unique… mais on est surpris par le bon accueil, et on voit que la situation est chaque fois pire… peut-être qu’il sera nécessaire d’en faire d’autres.

Comment le journal a-t-il été perçu en Catalogne et en Espagne ?
Il a rencontré un grand succès en Catalogne, les exemplaires papier ont été enlevés en presque trois jours, et les téléchargements sur le web ont été très nombreux. On est ravis et satisfaits de ça.

Quel peut-être le rôle du dessin satirique dans un tel contexte de crise politique et social ?
Le dessin de presse est toujours nécessaire dans les contextes de crise politique ou sociale, et d’autant plus en Espagne, où la presse a été historiquement surveillée pour la censure. A de nombreux moments de l’histoire de l’Espagne, la presse satirique a été le support unique dans lequel le public a pu trouver des idées contestataires, des messages qui échappent au contrôle du gouvernement. Et maintenant il-y-a quelque chose de similaire. Tout le monde sait qu’avec le dessin, on peut faire passer des idées controversées, on peut s'attaquer aux tabous, faire avancer la société. En puis, l’humour permet de combattre la peur, il fait voir le coté ridicule et comique du pouvoir, de l’autorité, du gouvernement et de la religion. Alors, ça aide a les remettre en question...

Les dirigeants indépendantistes s'intéressent-ils au dessin de presse comme moyen de diffuser leurs idées ?
Pas du tout. Il faut dire que des dirigeants indépendantistes sont des politiciens médiocres (comme la plupart des dirigeants non indépendantistes, aussi). Mais le mouvement indépendantiste de la Catalogne est aussi le fait des gens : la population est plus indépendantiste que les dirigeants, et chaque mouvement indépendantiste s’est réalisé parce qu’il n’y a pas le choix. Les gens, en Catalogne, aiment beaucoup l’humour. La Catalogne a une grande tradition de dessin d’humour qui est encore aujourd’hui très apprécié (les livres que j’ai publiés sur la presse satirique ancienne ont rencontré un vrai succès), et le public aime beaucoup partager des dessins dans les réseaux sociaux.

Actuellement, nous préparons avec 50 dessinateurs de presse un livre contre la répression…
Il me semble que pour l’avenir, les dessins expliquent mieux que les articles des journaux cette période de l’histoire de la Catalogne...

Propos de Kap, recueillis par Guillaume Doizy

Tag(s) : #News, #Interviews
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