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Par Christian SCHWEYER


La critique du pouvoir

La monnaie porte la marque du pouvoir en place. Il y met ses symboles, et souvent la figure du chef d'Etat quand il s'agit d'un souverain ou d'un dictateur. La monnaie satirique peut être définie comme un détournement du message porté par ces monnaies. Parfois par une simple contremarque, une inscription, un autre symbole. Parfois le portrait est regravé en fonction du message critique envoyé. La monnaie transformée peut être remise en circulation ou bien détournée de sa fonction et portée en médaille, broche ou bouton. Les transformations possibles sont forcément limitées mais l'outillage peut être rudimentaire. Un couteau, un tournevis, un marteau suffisent.
La médaille satirique, par contre, demande les moyens techniques d'un graveur professionnel. En contrepartie, c'est un support qui peut donner plus facilement libre court à la critique. Le dessin est forcément plus sobre que dans une caricature, mais la légende peut se trouver développée de façon importante.

La bataille de Sedan marque la fin de l'Empire
La période reine du médaillage satirique est la deuxième république, 1848. Celle de la regravure des monnaies correspond à la période qui suit la chute de Napoléon III en 1870 après la bataille de Sedan. Cette guerre, Napoléon III l'avait voulue pour redresser son pouvoir chancelant. Pour prendre le pouvoir, il s'était appuyé sur son nom et sur la promesse de restaurer la grandeur de la France. Mais il a rencontré sur son chemin le militarisme prussien en constitution. Bismarck, qui cherchait à unifier l'Allemagne, avait aussi besoin de la guerre. La suite, c'est la déclaration de guerre de la France. Puis le spectacle d'une armée désorganisée, l'invasion et l'enchaînement des batailles perdues. Sedan couronne cette série par une reddition de l'armée et de napoléon III lui-même. C'est l'humiliation, que la population française met sur le dos de Napoléon III, de son incompétence militaire et de sa lâcheté supposée.

La vogue des regravures
C'est sans doute parmi les soldats prisonniers que le mouvement de transformation des monnaies a commencé. Ils avaient, pour chaque échange marchand, la tête de l'empereur haï sur les pièces qu'ils utilisaient. Il s'en est suivi des mutilations de monnaies, des contremarques, en général "SEDAN" (figure 1) mais on trouve aussi "LACHE", « MERDE », "GREDIN", "CON" etc... Dans la même période, sont apparues des transformations du portrait de Napoléon III : des gravures approximatives de casques à pointe (figure 2).
Ce phénomène a dû avoir de l'ampleur étant donné la masse de monnaies regravées frustes qu'on trouve encore aujourd’hui. Ces monnaies, soit circulaient (on trouve des traces d'usure sur les gravures), soient étaient conservées comme médailles, voire portées, comme en atteste les trous de bélière qu'on trouve chez certaines. Probablement même y avait-il un petit commerce autour d'elles. C'est sans doute l'existence d'un marché suite à ces transformation qui a fait que des graveurs professionnels de l'Est de la France, pour des raisons commerciales, se sont mis à en graver. Mais, cette fois avec une qualité de gravure autrement meilleure. (Figure 3)
Enfin, les graveurs se sont mis aussi à frapper des médailles. Celle de la figure 4 était la plus courante. On y voit le casque à pointe, marque fantasmée de la trahison reprochée ; la cigarette, traduit la vulgarité et la désinvolture de napoléon III ; 80 000 prisonniers (le bilan de la bataille) ; une chaîne reliée à un collier marqué « Sedan » (Napoléon III fut prisonnier plusieurs mois).

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Une foule de transformations
Les images jointes représentent les modèles les plus courants des contremarques, des regravures ou des médailles. Il y en a bien d'autres. Citons juste deux autres thèmes de regravure : celle affublant Napoléon III d'une calotte papale suite à son soutien indéfectible au pape Pie IX. La bataille de Mentana, près de Rome, opposa d'ailleurs en 1867, l'armée française aux volontaires garibaldiens. C'est la bataille de Mentana à l'issue de laquelle le général Failly télégraphiera « Nos fusils Chassepot ont fait merveilles ».
Un autre type de transformation coiffe napoléon III d'un bonnet de bagnard, référence aux six années d'emprisonnement au fort de Ham. Il y en a bien d'autres : des casquettes, toutes sortes de coiffes, des modifications de visages, parfois fantaisistes, des regravures d'animaux, des bonnets d'âne...

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Satirisations et révolutions
Ces transformations ne sont cependant pas un phénomène isolé apparu et disparu comme par enchantement. Des médailles satiriques ont été gravées tout au long de l'histoire. Les transformations de monnaies apparaissent cependant avec l'instabilité des pouvoirs à partir de la révolution française. La monnaie se trouve enrôlée dans les batailles de propagande. Parfois, cela fait l'objet d'enquête de police comme ces monnaies de Charles X transformé en curé pour stigmatiser sa subordination à l'Eglise. Après Sedan, le phénomène va reprendre autour de la personne du général Boulanger. Des monnaies au nom de Napoléon III, encore en circulation en 1888, vont être modifiées en soutien ou en critique du général. Puis le mouvement de transformations des monnaies va s'éteindre progressivement avec la disparition, en France, des effigies de tyrans sur les pièces.

A part l'image du jeune bagnard, prise sur le site de la CGB, les pièces photographiées proviennent de la collection personnelle de l’auteur. Pour toute demande d'information sur ces monnaies, écrire à l’auteur : christian.online@gmail.com

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