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Dessin de Luz, Charlie Hebdo du 1 juillet 2009

Dessin de Siné et Delépine, Siné Hebdo du 1 juillet 2009

 

Une fois n’est pas coutume, cette semaine, nos deux hebdos consacrent à leur « une » un même et unique sujet : la mort de Michael Jackson, roi de la pop, qui aura déclenché une ferveur médiatique sans précédent que seule, en France, le crash d’un Airbus transportant des passagers comoriens et français atténue.

Mais Luz d’un côté et le tandem Siné-Delépine de l’autre ne choisissent bien évidemment ni tout à fait les mêmes moyens graphiques, ni le même angle d’attaque.

Aucun des deux hebdos n’échappe à la représentation du king. En pied pour Charlie, et par le truchement d’un gros plan focalisant sur le buste chez Siné Hebdo. Dans les deux cas, Michael Jackson est présenté de face et caractérisé par une coiffure sombre et abondante. Cheveux très compacts chez Luz, plutôt désordonnés et effilochés sous le crayon de Siné. Les visages demeurent caractérisés par leur extrême blancheur, aspect que renforce l’utilisation du noir pour dessiner les divers éléments constitutifs de l’identité faciale.

Là s’arrête la communauté d’esprit entre les deux dessins. Une différence fondamentale oppose les deux représentations : Siné figure Michael Jackson vivant, tandis que Luz imagine le même, mais mort, au stade ultime de la décomposition, alors que le temps a totalement nettoyé les os du squelette. Ainsi le chanteur de Siné arbore une bouche peinte en rouge, des lunettes noires et un costume caractéristiques de l’homme de scène, tandis que Luz, en plus de la chevelure, caractérise son squelette d’un seul détail significatif : le fameux gant argenté, si symptomatique du chanteur.

Dans cette charge, la posture joue un rôle fondamental. Contrairement à la « une » de Siné Hebdo, chez Charlie le king, bien que mort, n’est pas devenu passif. Premier élément comique, ce squelette, censé traduire l’idée de mort et donc d’immobilité, exécute un pas de danse. Jambes fléchies, tête légèrement inclinée sur la droite, le Michael de Luz adopte, outre tombe, une position inséparable de son image scénique construite de son vivant, et notamment au niveau de ses deux bras : une main touchant son sexe, une autre, dressée, l’index vers le haut.

Tandis que Siné Hebdo ne recourt à aucun paradoxe visuel, Luz opère sur le terrain du comique par un gag graphique efficace. La « caricature » est ici renforcée par le traitement squelettique du visage : sans chercher à figurer le volume, Luz applatit la face. Il « triche » avec la représentation des yeux (en amende et fortement inclinés, surmontés de sourcils que seul un individu en bonne forme pourrait arborer…) pour atteindre la ressemblance. Luz aplatit également le système maxillaire, qui donne à la face une expression étrange, une sorte de sourire forcé, qui participe évidemment du comique.

Luz et Siné recourent donc à des moyens assez différents pour évoquer la popstar mondiale. Siné opte pour le détail et le réalisme d’un portrait quasi officiel, tandis que Luz joue plutôt sur l’expression et joue sur les pardoxes.

Du point de vue visuel, la couverture de Charlie adopte le dynamisme (posture du personnage, jeu des bandes de couleurs obliques, dissymétrie du dessin, violence des contrastes colorés), tandis que Siné Hebdo construit une représentation étagée, statique et symétrique fondée sur le contraste noir/blanc/violet.

Ces différences fondamentales du point de vue plastiques servent deux points de vue très différents sur la mort du king. Luz s’intéresse à un trait fondamental de la personnalité de Michael Jackson qui très tôt, et comme de nombreux noirs américains, a cherché à se décolorer la peau, c'est-à-dire à acquérir, par divers artifices chirurgicaux, une physionomie de « blanc », sans y parvenir tout à fait réellement. Cette quête obsédante et maladive trouve donc, sous le pinceau de Luz, une conclusion heureuse dans la mort, puisque comme le rappelle si bien Nougaro dans sa chanson « Amstrong », le squelette ne porte pas les stigmates chromatiques sur lesquels sont fondées le discriminations raciales.

Le dessin de Charlie, en énonçant le nom du chanteur dans son accroche se montre redondant (est-ce bien utile ?), contrairement à Siné Hebdo qui évoque « son corps », considérant de toute évidence qu’aucun lecteur ne pourrait éprouver de difficultés à identifier le personnage mis en scène.

Siné invoque également le problème « racial » de Michael Jackson par le biais du « black is bad », qui tranche avec la blancheur du visage. Mais le titre du dessin évoque tout autre chose : Siné et Delépine font référence à la loi hadopi qui poursuit le téléchargement illégal. Les deux compères se moquent du « téléchargement » de ce corps médiatique et non plus du piratage d’une quelconque mélodie. Le lecteur peut comprendre là une vive critique de la surmédiatisation qui s’opère autour d’une mort énigmatique. Jamais sans doute un aucun décès n’aura joui d’une telle dimension médiatique et mondiale. Exit donc l’intimité du deuil, dorénavant accessible et consommable sur n’importe quel média et de n’importe quel coin de la planète.

A moins que nous ne comprenions pas bien l’image, il nous semble assez contradictoire de dénoncer l’énorme médiatisation autour de la mort du king… tout en l’alimentant. Siné Hebdo, mais également son confrère dans un dessin certes efficace et drôle, s’inscrivent dans ce « buzz » mondial, sans chercher à éclairer ou amuser leur lecteur à propos de sujets peut-être plus fondamentaux (mais moins vendeurs ?), comme par exemple ce qui se passe en Iran et qui n’a pas encore obtenu les faveurs des « unes » de nos deux hebdos, malgré la gravité et l’importance des événements.

 

Guillaume Doizy, le 3 juillet 2009

 

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