Depuis une quinzaine d'années, le dessin de presse traverse une période difficile comme le confirme cette série d'entretiens réalisés par Fabienne Desseux dans un ouvrage publié par les éditions Iconovox. Après une préface et un avant propos assez désolants, le lecteur se réjouit d’explorer de l’intérieur l’univers du dessin de presse actuel au travers des réponses, réflexions et analyses d’une quinzaine de dessinateurs professionnels. Il s’agit avant tout de cerner le cataclysme du 7 janvier 2015 et avant cela celui provoqué par la crise dite des "caricatures de Mahomet" de 2005-2006, et leurs conséquences sur la profession. Cinq ans après, que penser de ces événements ? Comment ont-ils influé sur le quotidien du dessinateur de presse en particulier et sur les médias en général ?
Après avoir présenté chaque dessinateur par une note biographique, Fabienne Desseux donne la parole aux uns et aux autres autour de grandes questions : que signifie la vague « je suis Charlie » ? Comment comprendre la croisade de Charlie Hebdo pour la liberté d’expression autour des caricatures de Mahomet ? Qu’en est-il de la liberté d’expression aujourd’hui ? De l’influence des réseaux sociaux ? De l’avenir du dessin de presse ? Du statut du dessinateur de presse, de la précarité généralisée ? Question de l’engagement également, de l’appartenance au monde du journalisme.
Fabienne Desseux, en s’adressant à cette belle brochette de dessinateurs (une seule dessinatrice, Camille Besse), les invite à explorer les questions récurrentes de notre époque, qui titillent autant les journalistes que les amateurs. On s’étonnera des réactions très différentes des uns et des autres face à ces événements dramatiques, face aux prémisses annonciatrices du grand cataclysme de janvier 2015. On s’étonnera également de la grande sensibilité des dessinateurs face aux feed-back que leurs renvoient les réseaux sociaux. N’est-il pas étonnant que le dessinateur assène ses coups en s’offusquant des polémiques suscitées par certains dessins sur les réseaux ? Mais il est vrai que depuis 2005 et la première affaire des caricatures dites de Mahomet, le dessinateur a perdu de son innocence, les dessins de presse étant régulièrement surinterprétés et instrumentalisés à des fins polémiques. Dessiner aujourd'hui constitue presque un acte de guerre, tant les tensions autour de la caricature ont faussé le processus de réception des images happées par le maelstrom médiatique.
Même si les réponses apportées par les dessinateurs dans cet ouvrages sont celles que l'on peut lire dans d'autres interviews depuis l'attentat de 2015, l'ensemble ne manque pas d'intérêt. Il faut saluer ce travail réalisé grâce au talent et à l’énergie de James Tanay, grand prêtre des éditions Iconovox. On s’interrogera néanmoins sur le panel de dessinateurs : aucun dessinateur étranger, et par ailleurs pour la plupart, des dessinateurs français « de gauche ». Ce choix exclut des points de vue et des trajectoires très diverses, que ne reflètent donc hélas pas ce livre. Certes, l’auteure explique avoir constitué son corpus de dessinateurs au fil des rencontres. Il s’agit donc d’un livre de réseau, un certain entre soi, avec en conséquence, les défauts de ses qualités : une forme de connivence entre l’interviewer et l’interviewé et au bout du compte, pour le lecteur le sentiment d’une trop grande unité. Par soucis de pertinence, n’aurait-il pas été judicieux d’interviewer quelques dessinateurs anti-Charlie ? Quelques dessinateurs d’extrême droite ou franchement islamo-gauchistes ? Autre constat : chaque dessinateur propose une vision particulière, sa propre expérience. Certains, de par leur position dans les médias, disposent d’un point de vue plus pertinent que d’autres, plus général. Dessiner dans un quotidien n’a pas le même sens que de travailler pour un « petit » journal satirique ou pour internet. Ne manque-t-il pas quelque chose à un recueil d’interviews dans lequel n’apparaît ni le dessinateur le plus connu (Plantu) ni le plus lu (Chaunu) en France, ni aucun dessinateur de Charlie ?
N’empêche, ce travail trouve toute sa place dans les bibliothèques s’intéressant au dessin de presse. Il fait suite à d’autres publications du même type, centrées sur les interviews de dessinateurs (Dessinateurs de presse de Numa Sadoul notamment). Néanmoins, cet opus de Fabienne Desseux opte pour le principe des interviews croisées, confrontant les nuances et les points de vue et les différentes expériences, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites. On insistera également sur la qualité et la profusion des illustrations !

Guillaume Doizy

Tag(s) : #Comptes-rendus ouvrages
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :