En une de Charlie Hebdo du 2 septembre 1976, Reiser dessine un Beauf cabuesque, nu, à quatre pattes, fesses en l’air, résigné à être sodomisé par les impôts. 3000 ans avant notre ère, l’égyptien qui ne pouvait pas payer l’impôt était déjà bastonné nu (1). Si Héraclite ne se baigne jamais dans le même fleuve… Contribuable, lui... Victime de la « Pompe à Phynance » chère au Père Ubu, cible du ministre Guillaume Tell (2) et autres percepteurs, le contribuable se fait voler, écraser, étrangler, dépecer, dénaturer. De son squelette même, on tire profit. C'est ce que montrent les innombrables caricatures sur le sujet que nous avons glanées dans la presse française et européenne des 19e et 20e siècle. Si les dessinateurs utilisent une grande variété de métaphores pour évoquer l'impôt, nombre d'images sont récurrentes, sinon répétitives.
L’impôt, c’est le vol.
Dans Le Fouet d’avril 1896, les poches sont vidées (3). Montre,bourse, portefeuille, chapeau sont larronnés (4).
Un état coupe-bourse, qu’il soit dessiné par Quillenbois ou par Gilbert-Martin, menace du revolver pour mieux opérer (5). Le percepteur anglais, dans la gravure en couleur «The Taxman’s visit» menace de faire sauter la cervelle du père de famille. Dans Le Cri de Paris (6), l’Etat sous les traits de Robert Macaire s’autorise à dévaliser le contribuable, tout comme les trois percepteurs à l’allure de marlous dans une image publiée par le Comité Central d’Etudes et de Défense Fiscale : Des apaches l’attendent au coin de la rue, couteau à la main ce qui permet au Triboulet d’attaquer à la fois La République et La Commune de Paris (7).
Plus fine, Marianne, la colonisatrice, se fait persuasive pour que l’imposé mette lui-même la main à la poche (8). Fisc se cache sous le masque de Robin des Bois dans la Forêt du Trésor.
Contribuable chez les nudistes.
Le contribuable entre avec manteau à col de fourrure et chapeau haut-de-forme chez le percepteur pour en ressortir en chemise (9).
Sans chaussure, avec des chaussettes trouées, il fuit devant les ministres ; le Ministre des Finances, chef de bande suivi de ses acolytes bien chaussés, arrache ce qui lui reste de chemise après avoir pris ses vêtements (10).
On l’a tant volé, dépouillé qu’il ne lui reste plus qu’une feuille de figue pour cacher sa nudité (11). Diogène cache la sienne dans un tonneau après avoir cédé se derniers vêtements (12). Contribuable se demande où il va mettre son reçu puisqu’il est nu (13), nu comme Phryné devant l’aréopage, une des nombreuses parodies du tableau de Gérome ; Tirard, ministre des finances de Jules Ferry que l’on distingue assis parmi les juges, le dénude (14). «Qui paie ses dettes s’enrichit» dit le proverbe, le contribuable français paie ses dettes à l’Oncle Sam mais se retrouve dénudé, par pudeur, on lui laisse son parapluie (15).
Fisc écrase
Contribuable angoisse car il peine à bloquer l’impôt boule de neige qui grossit au fil de la pente et menace de l’ensevelir (16), il angoisse quand il fuit le volcan cracheur d’impôts (17).
Une caricature de 1789 montre le paysan dont le dos ploie sous le poids du noble et du prélat, il porte à lui seul le fardeau des impôts. On retrouve cette inégalité devant l’impôt dans un dessin où le républicain de 1885 porte une charge plus lourde que le conservateur de 1875 (18). Le citoyen britannique né libre est un portefaix qui coltine tout un fardeau de taxes et d’impôts divers, il est juché sur le «Land Tax», un impôt levé pour financer l’armée au détriment des propriétaires terriens. En 1773, le britannique pauvre, même de cheveux, dos courbé, doit se soutenir avec des béquilles pour supporter les poids imposés par de beaux messieurs perruqués.
John Bull est l’Hercule moderne terrorisé par le nouvel impôt qui vient s’ajouter à sa trop lourde charge. Pendant la révolution de 1789, comme sous Louis Philippe ou la Troisième république, les sacs s’accumulent, chaque ministre ajoute son sac et les dos ploient. Sac sur le dos, boulets aux chevilles, adieu liberté (19). Les contribuables sont écrasés, décapités par la locomotive «La Vorace» alimentée par des sacs d’argent (19b).
Contribuable, oiseau déplumé, peine à retenir la charrette lourde d’impôts pour qu’elle ne l’écrase pas au bas de la pente où nul Jean Valjean ne viendra à son secours (20). On retrouve cette charrette dans Le Rire, dans Le Pélerin (21) avec un Clemenceau qui conduit son attelage dans l’abîme ; dans L’Assiette au Beurre des hommes nus peinent à tirer la charrette Impôt ,embourbée, écrasante, surchargée de victimes (22).
Être écrasé par les fesses d’une Marianne obèse (23) ou par celles de Monsieur Prudhomme (24), est peut-être la façon la moins désagréable d’avoir le souffle coupé, moins désagréable certainement que d’être écrasé par les poids de l’athlète de foire (25), ou le poids du canon acheté avec les impôts qui alimentent les dépenses de guerre (26), moins désagréable que d’être écrasé par les nombreux rochers qui aplatissent les cochons de payeurs (27).
En 1789, la noblesse et le clergé sont sur une pierre, le paysan est dessous. Le journal italien L’Asino montre un paysan écrasé par un rocher de 250 millions (29). Le percepteur lui-même est écrasé sous le poids des impôts qu’il doit récolter :
«Tout faire ne puis / Las qu’on me plaigne / Percepteur suis» (30).
Les seuls contribuables qui sourient sous les taxes sont les patriotes défenseurs de la patrie ; John Bull est heureux de participer à l’effort de guerre (31). Harpagon dessiné par Willette vide volontiers sa cassette pour que la France en fasse «mitraille pour écraser les ennemis» (32).
Les presses d’imprimerie et les presses à main sont les outils dont se servent abondamment caricaturistes et soutireurs d’impôts dans toute la presse satirique européenne ; pour que l’aplatissement soit plus radical, on s’installe sur l’engin, on se met à plusieurs pour tourner la manivelle transformée parfois en barre des poids et haltères. De la presse au pressoir, il n’y a qu’un coup de crayon. Pressé comme le raisin, il ne reste rien du contribuable «même pas le marc».
Sans être aussi extrémiste, on peut également le tordre comme un linge mouillé (33), ou bien lui serrer le cou pour le faire cracher au bassinet (34), lui pressurer le ventre, les exemples ne manquent pas : avant Coluche et son Premier Sinistre, Lavisne dessine un sinistre des finances, Rouvier, qui appuie sur un ventre pour faire déféquer dans un pot de chambre le contribuable dont la main serre son bas de laine vide. L’or sort par tous les orifices du corps (35).
On n’a pas toujours un pressoir à disposition, la moulinette chère à Jean-Christophe Averty fera l’affaire (37) ou bien un rouleau à gazon (38), ou bien un laminoir (40).
Autre méthode d’extraction, l’alambic ; le peuple appauvri, victime de l’alcoolisme, poussé vers le crime et le suicide ne peut s’échapper, le bouchon des monopoles l’emprisonne. Chauffé par un feu attisé par le diable, le produit distillé tombe dans le réservoir de Fisc, vieillard aux griffes de rapaces (42).
Autre décoction : dans l’antre d’un alchimiste sorcier, un four alimenté par des sommations de payer et des avertissements chauffe un alambic ou mijotent les impôts sur les chiens, les portes, les fenêtres,les timbres, les journaux, le tabac. L’élixir tombe dans le grand coffre de la finance orné de têtes de mort (43).
La méthode Shadock
L’Etat pompe, pompe, pompe : la pompe à eau se transforme en Pompe à Phynance, miracle de l’eau changée en or. En 1903, Rouvier, est le pompeur (44) : les dessinateurs Alfred Le Petit, Gilbert-Martin, et Lemot utilisent la pompe ainsi que le journal suisse Nebelspalter (45) et le journal italien L’Asino par deux fois en 1902. L’Europe siphonne. L’or tombe dans un tonneau, percé comme il se doit, c’est le tonneau des danaïdes, image qui rejoint celle du gouffre sans fond et de l’appétit insatiable (46); nous ne sommes plus dans l’instant mais dans l’éternité.
Laurel et Hardy
On ne peut être qu’amaigri après de telles médications. Dans Aux Ecoutes (47), on se met la ceinture, référence au train parisien qui entourait Paris. Le contribuable entre riche chez le percepteur pour en sortir dépouillé sous le buste hilare de Marianne (9) qui dans Le Triboulet du 02-08-1885 lui fait subir une cure progressive d’amaigrissement ; séductrice et colonialiste, elle prend son argent puis le quitte pour un tunisien, un tonkinois, un malgache en le laissant dos au mur; au centre du dessin on remarque le renard et la cigogne (49). «Plus je maigris, plus mon député engraisse» dit une légende du Cyrano (50). Est-il besoin de rappeler la célèbre lithographie de Daumier : Louis-Philippe, gras Gargantua insatiable, engloutit l’argent que les contribuables vendangeurs viennent déverser comme des chenilles processionnaires dans sa bouche grande ouverte (48). Grande ouverte également dans un dessin de Molynck la bouche du parlementarisme bedonnant pour ingurgiter l’or qu’une ribambelle de contribuables, petits pots à pattes, vient déverser dans une gueule aux dents de requins (51) ; soit l’équation: Im-pôt égale pots que multiplie l’infini.
Plus le budget est gros, plus Contribuable est squelettique, il n’a plus que la peau sur les os dans le dessin où Rouvier le tient à bout de bras (52).
Le Cri de Paris (53) reprend cette image laurel et hardyesque. Si on se souvient de l’obèse Marianne, on peut aussi penser à Dubout.
Les lions dans leur fosse, eux qui n’ont pas mangé Daniel, hésitent à croquer une proie aussi maigre (54).
S’il est efflanqué, il peut aussi être rondelet, grassouillet : on le vide de son or mais on l’engraisse d’impôts. John Bull, obèse pour avoir mangé trop d’impôts, voit s’accumuler sur sa tête les dettes des princes et autres profiteurs et pas question de rouspéter (no grumbling). Le même John Bull qui a des difficultés à respirer se fait ordonner d’avaler la pilule d’impôts supplémentaires par son médecin Gladstone (55). Peel donne à bébé John Bull en pleurs du sucre de la marque «Income Tax»(56) ; On le gave et on l’infantilise ; le père Noël Caillaux apporte ses joujoux-impôts «Il y en aura pour tout le monde» (57). Mauvaise idée pense Aristide Briand de priver Bébé Contribuable de sa sucette, au moment ou son berceau se couvre d’impôts (58).
Impôt, mon bourreau
Être privé de sa sucette est la moindre des souffrances, comparé à la menace de l’épée de Damoclès (59). Contribuable peut être assommé comme John Bull, être étranglé, la tête prise dans la main de fer du fisc (60), ou dans des tenailles (61), il peut être écrasé par le train de la République (62). Marianne Diafoirus le saigne à mort, un bol de sangsues sur son bureau (64) ; son sang est empoisonné, une éruption cutanée d’impôts lui couvre tout le corps (65). Dans un dessin du Triboulet, Blass lui perce le ventre, le poignarde, et glisse une discrète allusion à une coprophagie monétaire(66). Le taxé est scalpé, écorché vivant (67). Fisc cagoulé chauffe ses pieds pour lui faire avouer où il cache son argent (68). Il peut être frit, grillé, passé à la casserole (69). En 1896 Bourgeois (président du conseil) et Doumer (Finances) le rôtissent à petit feu et Jaurès s’en lèche les doigts (70).
Sur une carte postale satirique, un militaire armé d’un soufflet insuffle de l’air jusqu’à faire éclater le ventre d’où éruptent pièces et billets; l’argent est le nerf de la guerre, il faut donc bien financer la campagne du Maroc (71). Lorsque l’assujetti est assis sur l’instrument de torture qu’est le chevalet, les poids de l’impôt et des taxes attachés à ses membres facilitent l’écartèlement (71bis).
Les chirurgiens de Plantu le mutilent: «après les primaires, les mammaires» les seins impôts et taxes de Marianne sont prélevés (72).
Rouvier écorche le cadavre de Contribuable pour donner une leçon d’anatomie rembranesque à Reinach, Brisson et Poincaré (73).
La torture a pour résultat la mort, mais même mort, le squelette peut encore servir. Au conseil de révision, le squelette de celui qui paie les «dividendes des efforts consentis» (74) est encore bon pour le service...fiscal (75). Le budget de la République est le thème d’une leçon d’anatomie comparée qui aide à comprendre pourquoi les contribuables sont réduits à l’état de squelette (76),
ce qui ne les empêche pas de tirer encore le char de l’état conduit par une Marianne joyeuse délapidatrice (77).
Fisc cannibale
Squelette, il peut encore servir de nourriture, on le démembre pour mieux lui ronger les os (78 ). Un monstre à gueule d’enfer et aux doigts griffus va avaler les 309 milliards d’une Italie empalée au bout d’une fourche (79).
Voltaire prenait le parti des «pauvres cultivateurs à qui on fait payer le tiers au moins de ce que produisent leurs sueurs et leurs larmes» et traitait de monstres les petits officiers de finance rapaces :
«Je gémis en voyant...la voracité de tant de harpies»(80).
Le Petit Poucet et ses frères doivent se cacher pour échapper au couteau de l’ogre (81); plus tard ce sont les petits rentiers qui se cachent sous un rocher pour éviter d’être mangés (82).
Une République, ogresse opportuniste, est attablée devant un plat de contribuables ; bonne fourchette, elle ingurgite et se désaltère à la sueur du peuple versée par le Ministre des Travaux Publics, Yves Guyot ; la République évacue par le bas l’or que le Ministre des Finances récolte sous son siège, nouvelle allusion scatologique. Le Président Carnot, en position de cocher de fiacre, tient les deux bouts du ruban qui enserrent les cheveux de Marianne, ce sont des rênes qui guident la jument du char de l’état (85).
Dans un dessin de Collot, le bloc national croque à belles dents le contribuable qui ne peut s’échapper de la mâchoire d’acier (86).
Si Contribuable croque au lieu d’être croqué, il croque des pilules, les pilules de l’impôt, soigné par Gladstone, hypocrite docteur ; les croquettes du Diable, médecin richement paré, vont être fatales à son malade terrorisé, un pot de chambre discrètement gris est glissé sous le lit. (87)
Contribuable, cet animal.
Animaliser l’être humain est une autre façon de le déshumaniser. Grosso modo, du plus petit au plus grand, la parade défile.
Il est ver de terre sous le rouleau à gazon de Punch, il est poisson dans la poêle, il est cochon d’Inde auquel l’Etat injecte une dose de nouveaux impots (88), il est dinde de Noël déplumée accrochée à la vitrine du boucher (89 ), il est oie, coq, poule ou poulet à la merci du couteau alors que, dans le ciel, l’aigle noir chargé d’or est hors de portée du cuisinier (90).
En France en 1930, il est mouton tondu (91 ), dépecé au Canada en 2007. La caricature parque des troupeaux entiers d’ovins taxés (92).
Il est âne croulant sous la charge : fouetté par Mégère Marianne, le pauvre baudet n’a que son bulletin de vote pour toute avoine (93) ; seule solution pour qu’il trottine souriant : diminuer les impôts (94 b). Le bœuf tiré par Marianne ne veut plus avancer (94), la vache sue de l’or (95), la vache que l’on traie enverrait bien paître Mitterand et Delors, ses soutireurs (96) ; «ce n’est pas une traite, c’est un meurtre» meugle la vache de Bernard Partridge (97).
Politique égyptienne oblige, les chameaux surchargés sont très utilisés par les caricaturistes anglais ; illustration du proverbe anglais «C’est la dernière paille qui casse le dos du chameau», l’équivalent de notre dernière goutte qui fait déborder le vase (98 ).
L’impôt est lui aussi animalisé.
De Gaulle est le chef des enzymes gloutons, référence à une publicité célèbre de l’époque (99). Des sangsues couvrent le dos du malade (100). Une araignée fait les poches (101), Daumier lâche les chiens sur le contribuable alité (101-2). Dans une gravure de Rowlandson, les hommes politiques sont des chiens terriers en chasse de nouveaux impôts ; du haut de sa fenêtre John Bull les regarde et déclare que seule sa peau reste à taxer (101-3). Les chiens noirs et féroces du berger des finances ramènent dans leurs crocs les blancs moutons (102). Un vautour déchiquette les entrailles pour en sortir des billets de cent francs (103).
Tout comme La Leçon d’Anatomie de Rembrandt, la statue grecque Laocoon et ses Fils a été parodiée par les dessinateurs de presse allemands, américains,anglais ,autrichiens, canadiens ; Louis Philippe, Guillaume II, Lesseps, Mussolini, Hitler,Churchill, Eisenhover, Lyndon Johnson, entre autres, ont été les victimes du serpent. A cette longue liste non exhaustive, ajoutons John Bull étranglé par le serpent de la taxation (104).
Dans son antre, Louis-Philippe, vieux lion fatigué, retient entre ses pattes crochues, les sacs qu’on lui apporte (105) .
Dans une carte postale éditée par le Comité Centrale d’Etudes et de Défense Fiscale, l’état collectiviste est une pieuvre rouge qui use de toutes ses tentacules.
Restons dans la mer avec le requin de Ralph Soupault qui s’apprête à croquer un contribuable vêtu de son seul chapeau (106).
Plongeons dans le fantastique : une bête incertaine, araignée, pieuvre ou hydre, baptisée «budget 1884», plonge son bec d’oiseau de proie dans la gorge d’une France vaincue (107). Malgré sa rangée de dents acérées, le dragon anglais Impôt paraît moins redoutable que cet hybride.
Contribuable, cette chose
Moins violente et moins courante que l’animalisation, la réification déshumanise tout autant. Le contribuable peut être balle de tennis entre Chambre et Sénat (108) ou marionnette dont la République tire les ficelles (109).
Saint Contribuable est statufié, Léon Jouhaux, Secrétaire Général de la CGT, vient prier au pied de sa statue (111). De la fontaine perpétuelle nommée Fisc s’écoule l’or par la bouche des Saints Innocents contribuables (112).
Les contribuables sont des poires ; dans un dessin de Molynck, le sirop avalé par la Chambre des Députés et le Sénat est un sirop de poires pressées (113). Le jardinier Mayer, souriant Ministre des Finances, cisaille une poire grimaçante (114). Un bourgeois essaie de convaincre un paysan que l’impôt sur les bénéfices agricoles est juste, ce dernier lui réponds :
«J’aurions peur que la culture des poires devienne ben difficile». (115)
A l’école des contribuables, on apprend à l’enfant l’obéissance et la docilité, à sa majorité, il sera enrôlé dans la grande armée des poires. (116)
Contribuable fait de la résistance
Si Contribuable refuse de payer l’impôt, Nob le voit condamné aux travaux forcés (117). S’il veut échapper au dragon « Income Tax) qui avale tout, le citoyen britannique peut choisir d’émigrer (118). Il est Don Quichotte qui part à l’assaut des moulins à vent de la fraude fiscale (119). «Ils m’ont tout pris» : le pis de la vache est sec (119b), n’ayant plus rien à perdre, il peut sourire.
Avant l’élection, les hommes politiques sont tout sourire, après l’élection, leurs matraques vous persuadent de remplir l’urne transformée en tire-lire . «Dans l’exercice de ses ponctions, M. Mayer se paie notre tirelire» titre Le Canard Enchaîné (120).
N’allez pas voter, suggère le n°287 de France Nouvelle. Nouail, dans un dessin du Charivari, met les agriculteurs, les industriels et les commerçants en grève (121).
Le peuple peut être plus actif et donner une fessée cul nu au porteur d’un projet d’impôts (122). En traitant d’idiots les contribuables masochistes, flagellants à genoux devant la Chambre des Députés, une confrérie, succursale antisémite Ku Klux Klanique, incite à la révolte appliquant la méthode d’un Baudelaire qui assomme le mendiant pour qu’il retrouve son orgueil et la vie (123).
L’âne se rebiffe, Lemot lui fait lancer des ruades (124). Dans une gravure anglaise daté du 19 mars 1816, la bête immonde est occise, les paysans français de 1789 décapitent l’hydre ; nombreuses furent les révoltent paysannes contre l’impôt. Sous la révolution, les rôles sont inversés, c’est le paysan qui chevauche le dos du noble et du prélat : «J’savois ben qu’aurions not tour» (125).
Dans une gravure, qui n’est pas une caricature, les paysans espagnols de Maceda en Galice se coalisent en 1870 pour refuser l’impôt et se barricadent dans leur village (126).
Des taxes et impôts trop pesants peuvent avoir, sans jeu de mot, de lourdes conséquences : que Britannia ne s’étonne pas si le contribuable indien se révolte.
L’excès de fiscalité que l’Angleterre imposait à sa colonie a déclenché la guerre d’indépendance américaine. Une gravure anglaise et une reproduction française illustrent cette thèse ; notons que dans la gravure française le coq qui attise le feu avec son soufflet a été censuré, passé à la casserole. Maintenant, la jeune Amérique, beauté resplendissante, joue de son or alors que la grosse vieille Europe à genoux est «fichue», ses pieds entravés par le boulet de l’impôt (127).
Pour en finir
Les caricaturistes européens ont usé d’un même vocabulaire pour dénoncer les excès du fisc, ce qui n’empêche pas un homme richement vêtu, coq gaulois perché sur un globe terrestre utilisé comme soap-box, de chanter au monde entier que le français est le contribuable le plus imposé de l’univers, le premier contribuable du monde : à lui la médaille d’or (128).
Le fisc exagère, donc les caricaturistes exagèrent dans l’autre sens.
Les cahiers de doléance prônaient une juste répartition des impôts, plusieurs caricatures illustrent cette revendication (129). Ce sont-ils inspirés de Voltaire ?
«Ce ne sont pas les impôts qui affaiblissent une nation, c’est, ou la manière de les percevoir, ou le mauvais usage qu’on en fait»(130).
Les dessinateurs ont des motivations différentes. Certains se servent de l’impôt pour critiquer un parti (131) ou pour renverser la République alors que d’autres défendent les pauvres, combattent les inégalités et les excès. Si après tant de souffrance, de tortures, après tant de mises à mort Voltaire vous semble insuffisamment combatif, peut-être trouverez vous chaussure à votre pied avec Milan Kundéra :
«La satire, c’est de l’art à thèse ; sûre de sa propre vérité, elle ridiculise ce qu’elle se décide à combattre» (132).
Daniel Dugne
NOTES
1-Lecture pour tous 1899 page 746
2-Le Pilori 19-04-1890
3- Le Fouet avril 1896
4-Le Don Quichotte 04-11-1876
5-Le Caricaturiste 07-10-1849
6- Le Cri de Paris 10-03 1907
7-Le Triboulet 22-03-1885
8- Le Triboulet 02-08-1885
9-Le Panache 05-01-1904
10-Tam-Tam 21-02-1903
11- Aux Ecoutes 1920-08-01
12-Le Pèlerin 1926-04-04
13-Le Coup de Patte 24-10-31
14-Le Triboulet 06-01-1884
15-Le Charivari 22-06-1929
16- Le Pélerin 04-07-1937
17-Aux Ecoutes 01-12-1956)
18- Le Gaulois 12-10-1885
19-Le Petit Panache 27-01-1907
19b-Le Triboulet 29-07-1883
20-L’Animateur des Temps Nouveaux 21-10-1932
21- Le Rire 08-03-1924+ Le Pélerin 17-01-1909
22-L’Assiette au beurre 09-08-1902
23-Le Charivari 03-10-1909
24- L’Assiette au Beurre 05-02-1910
24-b Bravo 17-01-1930
25- Le Pilori 21-06-1890
26- France Nouvelle 01-03-1952
27 et 29 L’Asino 07-05-1905
30- dessin «L’éternel sacrifiè» publié par La Situation
31- Punch 19-05-1915
32-La Baïonnette 18-05-1916,
33 -Le Triboulet 30-09-1886
34-Le Rire 07-12-1901
35- Le Rire 24-01-1903
37-Aux Ecoutes du Monde
38-Punch 10-05-1922
39-Le Charivari 13-07-1935
40-caricature anglaise du 18° siècle
42- Le Pèlerin 01 03 1903
43-Le Journal Illustré 28-05-1865
44-numéro 54 de L’Indiscret
45-Nebelspalter le 11,09-1949
46- Le Don Quichotte 11-006-1886
47- Aux Ecoutes 24-12-1947
48-Le Panache 05-08-1885
49-Le Triboulet 02-08-1885
50-Cyrano 11-02-1938.
52-Le Grelot 12-12-1902
53-Le Cri de Paris 11-02-1906
54-Le Rire 19-04-1924
55-Punch 25-02-1860
56-Punch 1845
57-Le Cri de Paris 28-12-1913
58-Le Pélerin 18-04-1926
59- Aux écoutes 22-02-1930
60-Nebelspalter 20-06-1946
61-Le Pilori 06-10-1895
62- Le Triboulet 05- 07 -1885
64-Triboulet 20-03-1887
65-Le Charivari 15-01-1872
66-Le Triboulet 17-10-1886
67-Le Triboulet 30-09-1888
68-L’Espoir Français 26-06-1936
69-Le Pèlerin 10-01-1926 + Le Pilori 13-03-1887
-La Silhouette 01-07-1896
70-Le Pilori 20-03-1896
71-bis-Le Charivari 20 avril 1929
72-Plantu: On a marché sur les urnes 2012
73-Le Pilori 1894
74-Plantu Voleuse de Rêves 2014
75-Le Charivari 04-03-1933
76- Le Triboulet 21-12-1884
77-Le Charivari juin 1960
78- Gassier dans Cyrano
79-Il Travaso 16-12-1951
80-Voltaire Correspondance Pléiade tome IV page 469)
81-Aux Ecoutes 05-01-1925)
82-Aux Ecoutes 05-11-1925)
85-Le Pilori 14-06-1891
86-reproduit dans Le 20°Siècle en 2000 dessins. 2012
87-Le Grelot 08-03-1874.
88-Le Pèlerin 23-01-1938
89- Aux Ecoutes 24-12-1948
90-Le Pélerin 14-07-1907
91- D’Artagnan 28-06-1930
92-Le Pèlerin 30-10-1904
93-Le Grelot 29 03 1903
94-le Rire 28-03-1908
94b-Le Pélerin 17-06-1934
95-Le Grelot 25-12-1904
96-(Jacques Faizant+ Le Loustic 24-10- 1885)
97-Punch 13-05-1914)
98- It’s the last straw that breaks the camel’s back Punch 31-04-1922+02-05-1945
99-Aux Ecoutes d’Aujourd’hui
100- Le Grelot 11-04-80
101-Nebelspalter 11-08-1949
102-La Charette Charrie 15-12-1922
103-Le Charivari 25-02-1933
104-Punch 1848
105-21-09-1834
106- Le Charivari 01-04-1933
107-La Comédie Politique 1882-84
108- Le Don Quichotte 20-12-1890
109-Le Rire 17-12-1910
111- Le Charivari 13-08+1932
112-Aux Ecoutes 06-03-1927
113- carte postale
114-Aux Ecoutes du Monde 09-01-1948
115-Le Rire 31-10-1908
116-Le Rire 23-04-1904
117- Le Rire 23-01-1926
119-Aux Ecoutes 14-03-1952
120-Le Canard Enchaîné 04-02-1948
121-Le Charivari 04-02-1933
122-Le Don Quichotte 01-11-1890
123-Le Rire 20-11-1926
124- Le Pélerin 10-02-1907
125-Antoine De Baecque : La Caricature Révolutionnaire. Presses du CNRS. 1988. pages 71 et 77
126-Le Monde Illustré 09-05-1870
127-La Caricature 04-11-1920
128-Le Panache 07-04-1907
129- Antoine De Baecque : La Caricature Révolutionnaire. Presses du CNRS. 1988. pages 86-87
130-Voltaire Correspondance Pléiade tome III page 55
131-Le Charivari 04-03-190
132- Kundera : Oeuvre Gallimard Pléiade tome 2 page 882