Alban Poirier était un grand ami du dessin de presse. Il nous a quittés en lisant son journal, comme chaque matin, alternant en fonction du jour Charlie Hebdo, Le Monde, Libération, Le Canard enchaîné… Comme un dessinateur de presse, Alban avait les yeux et le cerveau rivé sur l’actualité. Pilier de l’Eiris (Équipe Interdisciplinaire de Recherches sur l’Image Satirique) qu'il avait rejointe en 2004-2005, il était également un fidèle du Salon de Saint-Just-Le-Martel (pour qui il avait développé un site web), et aussi de Papiers Nickelés (site web également), sans oublier quelques coups de mains à la revue Humoresques (site web encore) et ses amitiés à France Cartoons et Iconovox.
A l’Eiris, Alban participait aux discussions, fort de ses vastes connaissances historiques et politiques (Alban était un grand lecteur, passionné de science, de technologie autant que du passé), fort de son goût pour l’histoire de la caricature et du dessin de presse, mais aussi pour la photo et le cinéma et plus généralement l'audiovisuel (son métier). Il a apporté à l’Eiris des compétences que lui seul possédait, développant et animant pour l’équipe un site web fort riche en ressources. Il a conçu pour l’Eiris une base de données qui a permis de concevoir une bibliographie française de l’image satirique, une base de données qui facilitait le travail collaboratif, et c'était en 2007, bien avant la généralisation de Zoom ! Il est le co-auteur de la version papier de cette Bibliographie, parue en 2008. Alban a été une ressource inestimable pour préparer des expositions, pour le traitement de l’iconographie dans les publications. Nombre d’amis témoignent de sa fidélité, de sa générosité, de sa bienveillance et de son extrême disponibilité. Et encore de sa culture, de son goût pour les idées, de la force de ses convictions aussi. Dans la discussion, Alban avait du répondant !
Fan de Steinberg, Mose, Chaval (plus que de tout autre), Bosc et Maurice Henry (pour le traitement des archives duquel il a conçu une… base de données), il affectionnait l’humour élégant et intellectuel de la nouvelle vague d’après la Seconde Guerre mondiale, un humour aux antipodes des blagues faciles et des dessins sans âme de l’Almanach Vermot. Alban collectionnait tout particulièrement les recueils de dessins des années 1945 à nos jours, sans renier bien sûr les pionniers du XIXe siècle, les Daumier, Gill ou Léandre. Sans oublier Sennep, pour le talent duquel il concevait une grande admiration (que je partage !). Il assistait à des colloques et avait tissé des liens avec nombre de dessinateurs de presse, ne manquant aucun vernissage d’expositions à Paris.
Alban vous pondait une base de données ou un site internet comme d’autres vous offrent un bouquet de fleurs. Il a conçu, nourri, chouchouté une base personnelle spécifique qu’il a alimentée pendant une vingtaine d’années. Une base relationnelle dite « Humour », qui reflète sa vive intelligence du dessin de presse, un outil dans lequel il a intégré un peu plus de 7 000 dessins, principalement du XXe siècle, des années 1940 à nos jours. Il découpait, scannait et indexait avec assiduité les meilleurs dessins de Willem, était à l’affut de ce que la production actuelle proposait de percutant et d’original sur papier comme sur le web. Cette base dorénavant orpheline valorise autant les dessinateurs (1550 noms recensés), les supports (2550 journaux, recueils, sites internet), que les procédés graphiques et l'histoire du genre. Un outil formidable pour l’amateur qu’il a mis plus d’une fois à disposition d'étudiants ou d'universitaires souhaitant compléter leur corpus d’étude. Un outil dont auraient dû s'inspirer nombre de chercheur... Le témoignage d’une passion vive et intelligente, d’une réflexion permanente pour percer les mystères de cette matière qui, depuis une vingtaine d’années, enflamme régulièrement la planète.
Alban était Charlie, il est resté Charlie, jusqu’au bout. Comme nombre d’anciens de sa génération, il déplorait bien un fossé grandissant entre le dessin de presse des années Hara Kiri et du premier Charlie Hebdo, et celui d’aujourd’hui. Mais il restait viscéralement attaché au dessin satirique, à cette performance de l’esprit, quelques traits qui peuvent à ce point réjouir, éclairer, déranger, offusquer, provoquer.
C’est que, son amour du dessin de presse remontait à loin. En témoigne son film documentaire « Lorraine cœur d’acier », une radio pirate syndicaliste fondée en 1979 à Longwy menacée de fermeture par l’État et ses CRS et qu'il était allée filmer sur place avec son ami Jean Serres. Un film pour lequel il avait demandé à Cabu – au regretté Cabu - de concevoir l’affiche. C’était en 1981, quarante ans déjà !
Alban aimait le dessin de presse, il nous aimait.
Alban, nous étions nombreux à t’aimer, et nous t’aimerons encore longtemps.
G. Doizy