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Dessin de Riss, Charlie Hebdo du 19 novembre 2008
Dessin de Siné et Loup,
Siné Hebdo du 19 novembre 2008

Pour une fois, nos deux hebdos satiriques s’accordent sur un sujet : celui du dessin de « une », portant sur le PS qui tenait ce week-end son congrès à Reims et durant lequel la lutte des places a fait rage.
S’il y a accord sur le sujet, les deux journaux n’ont bien évidemment pas choisi la même manière de commenter l’événement. Une fois de plus, le ton de Charlie se montre plus mordant, tandis que Siné et Loup privilégient une saillie plutôt bon enfant. Comme nous l’avons déjà souligné, la revue de Val vise systématiquement une personnalité, tandis que celle de Siné met en scène un type générique. Les deux hebdos combinent une fois encore deux actualités.
Le dessin de Riss (déjà en « une » la semaine dernière), s’inscrit dans une double tradition : d’abord celle du portrait-charge avec sa grosse tête sur un petit corps, typique de la caricature du XIXe siècle. Enfin le dessinateur reprend, par esprit de dérision, la figure du « couteau entre les dents » largement utilisée par l’imagerie anticommuniste pour fustiger le dangereux bolchevik. Riss, comme la semaine précédente, s’en prend à Ségolène Royal, centre de toutes les tensions au Congrès de Reims, plutôt que de mettre en avant les rivalités qui déchirent le PS, ces derniers temps de manière très visible. Il faut dire que l’ex candidate malheureuse à la présidentielle de 2007 ne manque pas d’étonner par son… inconstance. Après avoir proposé à Bayrou de devenir son premier ministre en cas de victoire, après avoir défendu « l’ordre juste » et s’être revendiquée du drapeau tricolore, courant après Sarkozy, Ségolène Royal s’est mise très récemment à défendre « l’interdiction des licenciements et des délocalisations » pour les entreprises bénéficiaires et a même invoqué le Front populaire à la tribune du Congrès de Reims !
Le journal, qui par ailleurs met en cause la manière dont le gouvernement et la presse ont traité « l’affaire » de l’ultra-gauche censée être à l’origine du sabotage des TGV, choisit de brocarder la pseudo gauchisation de la présidente de la région Poitou-Charentes. Ségolène Royal incarnerait en effet ce retour de l’ultra-gauche au PS. Il faut dire que les candidats à la tête du Parti et leurs épigones ont tous revendiqué la nécessité d’ancrer le PS plus fortement à gauche, pour bien sûr se démarquer de Royal, qui depuis quelques temps gauchit elle aussi son langage. Riss aurait pu viser d’autres « éléphants » du PS, tel Delanoé, notamment, qui s’était revendiqué du… « libéralisme ».
Mais le TSR (Tout Sauf Royal) semble fonctionner à plein et le dessinateur use de divers procédés pour flétrir sa cible. En premier lieu, Riss place un crucifix (au lieu d’un couteau) entre les dents de la diva du PS. Le couteau évoque généralement les crimes de ceux qui en sont affublés. Le stéréotype remonte à la fin du XIXe siècle dans la caricature française, donc bien avant la révolution de 1917 en Russie. L’arme de Ségolène n’est pas un couteau, nul ne pourrait l’accuser d’avoir versé le sang, mais le symbole même du christianisme. C’est que, pour Riss, Royal gauchit son discours avec des armes… bien inoffensives, en appelant à la « fraternité », dans un élan christique loin de s’inspirer des théories de la lutte des classes. Riss peut vouloir rappeler également la culture familiale catholique très stricte dans laquelle a baigné la prétendante au siège suprême du PS, et dont les idées demeurent très marquées… à droite finalement.
Autre procédé, très courant dans la caricature, la diabolisation physique. L’ancienne ministre de la Famille (notamment) qui affiche toujours un sourire enjoleur, se voit attribuer une dentition aux formes agressives, ainsi que des sourcils en pointe qui lui confèrent une apparence peu amène. Mais Riss nous entraîne sur le terrain du comique en surdimentionnant le nez, et surtout, en décollant les oreilles de la militante, dont le caractère agressif est contrebalancé par ces éléments ridicules.
La parodie du bolchevik, couteau entre les dents, vise bien sûr ici à souligner le caractère opportuniste, dérisoire et si peu sincère de la radicalité à laquelle se réfère soudain Ségolène Royal. L’ex rivale de Sarkozy ne fait peur à personne et ne fait guère illusion !
Le dessin de Loup et Siné se montre moins agressif. Référant à l’actualité du beaujolais nouveau (l’équipe du journal manifeste avec insistance son attrait pour le vin et la table), les deux auteurs soulignent que le PS nouveau, lui, n’est pas encore « arrivé », comparant au final l’organe politique à un produit… commercial. L’image se compose principalement du personnage traditionnel de Siné, que l’on peut considérer, au fil des semaines, comme une sorte de mascotte du journal. Le personnage sans âge à l’air maussade semble mécontent du tire-bouchon que le dessinateur facétieux lui a planté dans le crâne. Mais comme l’indique la bulle, c’est bien la situation du Parti Socialiste qui déplait à notre homme. Pour autant, les deux auteurs se montrent avares de pistes pour éclairer le lecteur. Quels seraient les contours de ce nouveau PS, que les uns et les autres appellent de leurs vœux, non pas en mettant en avant un programme qui se distinguerait de celui de ses concurrents, mais en disant vouloir faire la part belle à une nouvelle génération de dirigeants ? En tout état de cause, Siné Hebdo fustige les luttes au sein de l’appareil, les querelles de personnes qui dégoûtent l’opinion, comme le rappellent également les sondages. Le PS nouveau n’étant pas « arrivé », il ne pourra donc pas être consommé, c'est-à-dire attirer à lui les électeurs, abreuver leurs pensées ou bonifier leur conscience (le tire bouchon fiché dans le crâne peut être ainsi compris). Mais les amateurs de bons vins objecteront qu’un vieux nectar surperforme un cépage trop vert… Notons que sans le contenu de la bulle, aucun élément ne permettrait de faire le lien avec le PS...
Une fois de plus Charlie Hebdo dans un dessin vindicatif et riche de références prend le contre-pied de l’opinion en visant une personnalité qui jouit encore d’une certaine estime à gauche (et notamment parmi les militants), tandis que Siné Hebdo sur le ton de la blague désabusée reflète le désarroi des électeurs socialistes face à un PS qui, continuellement miné par ses divisions et ses guerres des chefs, semble ne pas pouvoir rivaliser avec la droite aux prochaines élections. Charlie en attaquant deux fois de suite Ségolène Royal pourrait servir les intérêts de Martine Aubry tandis que Siné Hebdo refuse de choisir l’un ou l’autre des prétendants à la direction du PS et dit son amertume face au spectacle qu’il offre ces derniers temps.

Guillaume Doizy le 19 novembre 2008.

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