Romeyn de Hooghe, Louis XIV/ Lion, 1672, eau forte. (tiré de Guédron-Baridon, L'Art et l'histoire de la caricature...).
Sous Louis XIV, la caricature ne s’attaque pas au roi, personne sacrée. De fait, la censure inhibe les talents critiques. Cependant, les adversaires du Grand Roi, constamment en guerre dans des coalitions qui groupent généralement les Provinces-Unies, l’Angleterre, les Habsbourg, ne manquent pas d’exploiter l’arme de la caricature. Les plus connues et sans doute les plus répandues, qui circulent en France sous le manteau, sont publiées en Hollande.
La personne du roi n’y est pas
déformée. La mode du portrait-charge qui pose une tête énorme sur un corps rétréci n’est pas encore de mise. Pas davantage d’animalisation ou de monstruosité. Le visage lui-même cherche plutôt la
ressemblance avec le modèle. Celui-ci pouvait être observé sur les monnaies, voire les gravures qui circulent au-delà des frontières de la France. La charge tient plutôt aux mises en scène dans
lesquelles le roi est représenté en soleil, soleil attristé, assombri, sans éclat. La métaphore de la devise du roi est donc le référent systématique.
Romeyn de Hooghe, Louis XIV en Apollon conduit par Madame de Maintenon..., 1701, eau-forte (tiré de Guédron-Baridon, L'Art et l'histoire de la
caricature...)
La vie privée et
les nombreuses maîtresses du roi sont l’objet des railleries, comme dans cette Retraite de Louis XIV avec son sérail. Après la critique des amours de jeunesse, contre Mme de Montespan
surtout, viennent les railleries contre les amours de l’âge mur qui s’en prennent à Madame de Maintenon, comme dans ces Nouvelles amours de Louis le Grand de 1696. Le roi lui-même est
plus souvent montré comme le soleil, soleil assombri ou éclipsé. L’éclipse de 1706 offre à cet égard une bonne mise en scène. Les phénomènes célestes annoncent les malheurs de la vie des grands,
avenir sombre en l’occurrence pour Louis XIV. Ainsi La Grande Eclipse du soleil prend appui sur l’éclipse qui s’est produite le 12 mai 1706 pour évoquer la prochaine
« éclipse du roi-soleil ». Il se voulait égal à l’astre du jour et doté d’une monarchie universelle, le voici déclinant. Dans la Conférence entre Louis, Madame de Maintenon et
Philippe, qui fait, elle aussi allusion à l’éclipse, la devise « nec pluribus impar » est détournée en « nunc pluribus impar » : « maintenant »
(nunc), le roi n’est plus inégal à plusieurs.
Anonyme, Louis d'or au soleil, 1693, eau forte (tiré de Guédron-Baridon, L'art et l'histoire de la caricature...).
La critique la plus virulente se manifeste surtout pendant les périodes de guerre : 1672, guerre contre la Hollande, 1690 et suivantes, guerre de la Ligue
d’Augsbourg et, plus acerbes encore pendant la guerre de succession d’Espagne, 1702-1714. Le roi est présenté comme un prédateur. Pour entretenir et renouveler sans cesse des armées de plus en
plus nombreuses, il multiplie les expédients : création d’offices, manipulations monétaires, levées d’impôts dans les régions conquises. De même, peut-on lui reprocher d’utiliser l’arme des
louis d’or pour s’acheter des alliés. Ainsi dans Le Louis d’or au soleil, le graveur a figuré le prince Louis-Guillaume de Bade, portant en sautoir un écu d’or frappé à l’effigie de
Louis XIV. Il pose la main sur des sacs de monnaie venus de toute l’Europe : « ducats d’Allemagne », « guinées d’Angleterre », « doublons d’Espagne »,
« Louis d’or », monnaies qui ont permis au roi d’acheter sa neutralité effective, dit-on, sinon avouée, en tout cas son manque de zèle. Le grand soleil qui l’inonde de ses rayons
l’endort et la lettre de la gravure est explicite : « Tout le crime qu’on m’impose, c’est que le soleil m’endort, Et que les seuls louis d’or qui font tout remuer, font que je me
repose ». Ce filleul de Louis XIV était-il français de cœur ? ou français dûment acheté à denier comptant par le Grand Roi ?
Hélène Duccini, le 31 mars 2007.